Délit unitaire - point 43

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 17-82.553
N° de pourvoi : 17-82.553
ECLI:FR:CCASS:2021:CR00024
Publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mardi 12 janvier 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Caen, du 20 mars 2017

Président
M. Soulard
Avocat(s)
SCP Spinosi et Sureau, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° G 17-82.553 FS-P+B+I

N° 00024

EB2
12 JANVIER 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JANVIER 2021

REJET des pourvois formés par les sociétés Bouygues travaux publics, Elco construct Bucarest et Welbond armatures contre l’arrêt de la cour d’appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 20 mars 2017, qui, pour recours aux services de travailleurs dissimulés et prêt illicite de main d’oeuvre, a condamné la première à 29 950 euros d’amende et la troisième à 15 000 euros d’amende et, pour travail dissimulé, a condamné la deuxième à 60 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires en demande, en défense et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Bouygues travaux publics, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Elco construct Bucarest, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Welbond armatures, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l’audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, conseiller référendaire, M. Lemoine, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société Bouygues travaux publics (la société Bouygues), ayant obtenu l’attribution de marchés pour la construction, à Flamanville, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération, a constitué pour leur exécution, avec deux autres entreprises, une société en participation, laquelle a sous-traité à un groupement d’intérêt économique composé, notamment, de la société Welbond armatures (la société Welbond).

3. Ce groupement a eu recours à d’autres sous-traitants, dont la société Elco construct Bucarest (la société Elco), et à une société de travail temporaire Atlanco limited (la société Atlanco).

4. Après une dénonciation sur les conditions d’hébergement de travailleurs étrangers, un mouvement de grève de salariés intérimaires polonais portant sur l’absence ou l’insuffisance de couverture sociale en cas d’accident, ainsi que la révélation de plus d’une centaine d’accidents du travail non déclarés, et l’enquête menée par l’Autorité de sûreté nucléaire, puis par les services de police, les sociétés Bouygues, Welbond et Elco ont été poursuivies pour des faits compris entre juin 2008 et octobre 2012, notamment, des chefs susénoncés devant le tribunal correctionnel.

5. La société Elco a été notamment déclarée coupable du chef de travail dissimulé par dissimulation de salariés, faute d’avoir procédé aux déclarations préalables à l’embauche et aux déclarations aux organismes de protection sociale appropriées.

6. La société Bouygues et la société Welbond ont été notamment déclarées coupables des chefs de recours aux services de la société Atlanco, entreprise de travail intérimaire ayant omis de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés et ayant dissimulé l’emploi de salariés, faute d’avoir procédé aux déclarations préalables à l’embauche de salariés ainsi qu’aux déclarations relatives aux organismes de protection sociale appropriées. Elles ont également été reconnues coupables du chef de prêt illicite de main d’oeuvre du fait de leurs relations contractuelles avec la société Atlanco.

7. Les sociétés Elco, Welbond et Bouygues ont relevé appel, avec le ministère public.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour la société Elco

Sur le premier moyen proposé pour la société Welbond

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission des pourvois au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen proposé pour la société Bouygues

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, 8243-1, 8243-2 et 8241-1 du Code du travail, préliminaire, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale.

10. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la demanderesse coupable pour avoir sciemment eu recours aux services de la société Atlanco, employeur dissimulant l’emploi de ses salariés, et pour prêt de main d’oeuvre illicite, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n’accepte expressément d’être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu’en l’espèce, la citation reprochait à Bouygues TP d’avoir eu recours « aux services des sociétés Elco Construct et Atlanco, employeurs dissimulant sciemment l’emploi d’au moins 460 salariés » et « de s’être fait mettre à disposition au moins 163 salariés par la société Atlanco et 297 salariés par la société Elco » ; que parmi les 460 salariés ainsi visés à la prévention, 297 ont été mis à disposition par la société Elco construct, la société exposante ayant été relaxée pour les faits en lien avec cette dernière société ; qu’il résulte tant de la citation délivrée à la société Atlanco que des termes de la note de synthèse établie à l’issue de l’enquête préliminaire que les 163 salariés restant visés par la citation ont uniquement été mis à disposition de la société Welbond ; qu’en statuant sur des faits relatifs au contrat conclu entre Atlanco et Bouygues TP, qui n’étaient manifestement pas compris dans la saisine, la cour d’appel a violé l’article 388 du code de procédure pénale ;

2°/ que la cour d’appel qui constatait elle-même à plusieurs reprises que la citation comportait une « erreur » ou à tout le moins une « imprécision », ne pouvait s’estimer saisie de faits correspondant à la mise à disposition de salariés par Atlanco à une autre société que Bouygues TP, sans violer de plus fort les textes visés au moyen ;

3°/ que la critique tirée du dépassement de sa saisine par la juridiction de jugement, en violation de la règle selon laquelle cette dernière ne peut s’autosaisir, est distincte de celle tirée de l’imprécision des termes de la prévention, aboutissant à une violation des droits de la défense ; qu’en l’espèce, Bouygues TP faisait valoir que la cour d’appel n’était pas saisie des faits liés au contrat qu’elle avait conclu avec la société Atlanco ; qu’en considérant, pour écarter cette critique, que « la société Bouygues ne peut [...] prétendre qu’elle ne savait pas qu’elle était poursuivie pour recours au travail dissimulé en lien avec la société Atlanco Limited, ce qui suffit pour valider la citation, observation faite que cette connaissance des poursuites était si précise qu’elle est capable de rectifier le chiffre, erroné ou imprécis, avancé par le ministère public », la cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérants ;

4°/ que la note de synthèse établie par le ministère public, à la lumière de laquelle la citation doit être lue, ne comporte le nom que de 460 salariés ; qu’en conséquence, c’est à tort que la cour d’appel a estimé que l’« erreur » commise par le parquet dans la citation porterait sur une « donnée totalement superfétatoire » dès lors que la mention « au moins » permettrait de retenir un chiffre supérieur ;

5°/ qu’enfin, la société demanderesse faisait valoir, dans ses conclusions déposées en première instance, que les salariés visés à la prévention n’avaient été mis qu’à la disposition de la société Welbond Armatures ; qu’il ressort par ailleurs des notes d’audience devant le tribunal correctionnel qu’elle a expressément soutenu au cours des débats ne pas être poursuivie pour les faits relatifs au contrat qu’elle avait conclu avec Atlanco ; que l’argument tiré de ce que les juges ne pouvaient statuer sur ces faits sans outrepasser l’étendue de leur saisine ne pouvait être retenu au motif qu’il n’avait pas été soulevé devant les premiers juges, la cour d’appel a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure. »

Réponse de la Cour

11. Pour écarter l’argumentation proposée par la société Bouygues selon laquelle les seconds juges se seraient à tort considérés saisis de poursuites à son encontre du chef de recours aux services, notamment, de la société Atlanco, employeur dissimulant, avec la société Elco, l’emploi d’au moins quatre cent soixante salariés, l’arrêt énonce que l’éventuelle erreur sur le nombre de salariés concernés ne saurait s’analyser qu’en une simple imprécision, puisque l’autorité de poursuite a indiqué que les salariés concernés étaient « au moins » du nombre qu’elle mentionnait, ce qui permet de retenir un chiffre supérieur, et qu’elle porte sur une donnée totalement superfétatoire.

12. Les juges ajoutent que la société Bouygues ne peut prétendre qu’elle ne savait pas qu’elle était poursuivie pour recours au travail dissimulé en lien avec la société Atlanco Limited, ce qui suffit pour valider la citation, observation faite que cette connaissance des poursuites était si précise qu’elle est capable de rectifier le chiffre, erroné ou imprécis, avancé par le ministère public.

13. En prononçant par ces motifs, la cour d’appel a justifié sa décision.

14. D’où il suit que le moyen ne saurait être admis.

Sur le quatrième moyen proposé pour la société Welbond

Enoncé du moyen

15. Le moyen est pris de la violation des articles 56 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), des articles 13§1 du règlement CE n°883/2004 et 14, § 2, du règlement CEE n°1408/71, des articles 19§2 du règlement CE n°987/2009 et 12 bis du règlement CEE n°574/72, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

16. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à sursis à statuer et à saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, alors :

« 1°/ que la détermination d’une éventuelle fraude aux organismes de sécurité sociale français protégés par les disposions pénales prévoyant et réprimant le travail dissimulé nécessitait bien que soient au préalable éclaircies les conditions d’application des règlements européens n°883/2004 et 1408/71 ainsi que de leurs règlements d’application qui ont pour objectif de fixer des règles communes de détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale ; qu’en affirmant que la cour avait pu trancher le litige sans se pencher inutilement sur l’application des règles de sécurité sociale dans le cadre d’une prétendue activité en alternance, quand la condamnation prononcée reposait sur une interprétation contestée des règles européennes relatives au détachement dont dépendait directement la détermination de la législation sociale applicable, après avoir précisément écarté le régime de l’alternance pourtant revendiqué par la prévenue sur le fondement des règlements européens précités, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision de refus de sursis à statuer et de rejet de la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles ;

2°/ qu’en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il appartient à la chambre criminelle dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande en interprétation des conditions d’application des règlements européens n°883/2004 et 1408/71 ainsi que de leurs règlements d’application, s’il lui apparaît que cette demande est seule susceptible de permettre de déterminer de façon certaine, au regard de la complexité de la situation, si les travailleurs polonais mis à disposition de la société Welbond Armatures par la société Atlanco, devaient ou non bénéficier du régime de protection sociale français comme le soutient le ministère public ; que dans cette hypothèse, il y aura lieu de soumettre à la Cour de justice les questions suivantes. »

Réponse de la Cour

17. Il résulte de la transmission par la Cour de cassation, en la présente affaire, d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (Crim., 8 janvier 2019, pourvoi n°17-82.553), qui a donné lieu à l’arrêt de ladite Cour en date du 14 mai 2020 (affaire C-17/19), que le moyen est devenu sans objet.

Sur le deuxième moyen, pris en sa huitième branche, proposé pour la société Elco

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour la société Bouygues

Enoncé des moyens

18. Le deuxième moyen proposé pour la société Elco est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 56 du TFUE (anciennement 49 du Traité de la Communauté européenne, TCE), L. 1261-1 à L. 1262-5 du code du travail, 111-4, 112-1 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense.

19. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la société Elco Construct coupable du délit de travail dissimulé, par personne morale, par absence de déclaration préalable à l’embauche et par soustraction volontaire aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes habilités, l’a condamnée à une peine d’amende de 60 000 euros et, statuant sur l’action civile, a déclaré la société Elco Construct seule responsable du préjudice subi par l’union départementale des syndicats CGT de la Manche et la Fédération nationale CGT des salariés de la construction, du bois et de l’ameublement, et l’a condamnée à payer à chacune de ces deux parties, à titre de dommages-intérêts, une somme de 1 000 euros et sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, pour l’intégralité de la procédure, une somme de 1 200 euros, alors :

« 8°/ que le délit de travail dissimulé n’est constitué que si l’employeur n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale ; que lorsque, en cas de détachement de travailleurs au sein de l’Union européenne, un Etat a délivré à l’employeur un certificat E101 (devenu certificat A1) celui-ci vaut présomption de régularité d’affiliation et partant de lien organique entre l’entreprise employeur et le travailleur détaché, condition de validité du détachement ; que tant qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E101 s’impose dans l’ordre juridique interne de l’État membre dans lequel sont détachés les travailleurs concernés et lie ses juridictions pénales ; que le juge pénal français, saisi d’une prévention pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l’affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d’un autre Etat, qui a délivré à l’employeur un tel certificat ni le lien organique entre l’entreprise employeur et le salarié, sur lequel il est fondé ; qu’en l’espèce, il résultait des éléments aux débats et ainsi que le faisait valoir l’exposante (ses conclusions, p. 25, dernier alinéa) que la société Elco construct avait fourni à l’Etat d’accueil les attestations E101 (devenues certificats A1) pour les salariés qu’elle avait détachés en France, et que par conséquent il existait une présomption de régularité de ces détachement ; qu’en se bornant pourtant à énoncer, pour juger que la société Elco construct était coupable du délit de travail dissimulé, que les conditions de l’activité des travailleurs concernés n’entrent pas dans le champ d’application matériel du détachement, a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées. »

20. Le troisième moyen proposé pour la société Bouygues est pris de la violation des articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, 111-3, 111-4 et 121-3 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.

21. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la demanderesse coupable d’avoir eu recours sciemment aux services de la société Atlanco, entreprise poursuivie et condamnée par défaut du chef de travail dissimulé, ainsi que de prêt de main d’oeuvre illicite, alors :

« 3°/ qu’il résulte de la jurisprudence récente de la CJUE qu’un certificat E101 délivré par l’institution désignée par l’autorité compétente d’un État membre, au titre de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/7 ; qu’en retenant l’intention de la société Bouygues TP de recourir à une société exerçant un travail dissimulé lorsqu’Atlanco lui présentait pourtant des certificats E101 attestant de l’affiliation de ses salariés au régime de sécurité sociale cypriote, la cour d’appel a méconnu les dispositions du droit de l’Union européenne. »

Réponse de la Cour

22. Les moyens sont réunis.

23. La Cour de justice de l’Union européenne juge qu’en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E101, devenus A1, délivrés par l’institution compétente d’un Etat membre créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s’imposent à l’institution compétente et aux juridictions de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-S... W... GmbH, C-620/15).

24. Elle ajoute que, lorsque l’institution de l’État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l’institution émettrice de ces certificats d’une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci à la lumière d’éléments recueillis dans le cadre d’une enquête judiciaire ayant permis de constater qu’ils ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et que l’institution émettrice s’est abstenue de prendre en considération ces éléments aux fins du réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, le juge national peut, dans le cadre d’une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de tels certificats, écarter ces derniers si, sur la base desdits éléments et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes, il constate l’existence d’une telle fraude (CJUE, arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, C-359/16).

25. Il en résulte, ainsi qu’elle l’a ultérieurement précisé, que le juge national doit d’abord rechercher si la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, du règlement n° 1408/71 a été, en amont de sa saisine, enclenchée par l’institution compétente de l’État membre d’accueil par le biais d’une demande de réexamen et de retrait de ces certificats présentée à l’institution émettrice de ceux-ci, et, si tel n’a pas été le cas, doit mettre en œuvre tous les moyens de droit à sa disposition afin d’assurer que l’institution compétente de l’État membre d’accueil enclenche cette procédure, et que ce n’est qu’après avoir constaté que l’institution émettrice s’est abstenue de procéder au réexamen de ces certificats et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments qui lui étaient présentés, qu’il peut se prononcer de manière définitive sur l’existence d’une telle fraude et écarter ces certificats (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18).

26. La Cour de cassation en a tiré les conséquences et a retenu que le juge, saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, ne peut écarter lesdits certificats que si, sur la base de l’examen des éléments concrets recueillis au cours de l’enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l’institution émettrice saisie s’était abstenue de les prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif par l’absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l’avantage qui y est attaché (Crim., 18 septembre 2018, pourvoi n° 13-88.631, Bull. crim. 2018, n° 160).

27. Les poursuites pour travail dissimulé n’ayant pas seulement été engagées, dans la présente procédure, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l’embauche (DPAE), la Cour de cassation a, par arrêt du 8 janvier 2019, saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle relative à l’incidence de ces certificats sur l’obligation de déclaration préalable à l’embauche et, partant, sur la portée desdits certificats sur l’application aux travailleurs concernés de la législation de l’État membre d’accueil en matière de droit du travail.

28. Répondant à cette question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19) a énoncé que les formulaires de détachement, dits certificats E101 et A1, s’imposent aux juridictions de l’Etat sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale.

29. Elle a précisé que « les certificats E101 et A1, délivrés par l’institution compétente d’un État membre, ne lient l’institution compétente et les juridictions de l’État membre d’accueil qu’en ce qu’ils attestent que le travailleur concerné est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation du premier État membre pour l’octroi des prestations directement liées à l’une des branches et à l’un des régimes énumérés à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 » (§ 47) et conclu que « ces certificats ne produisent donc pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers » (§ 48).

30. S’agissant de l’analyse du droit national et en particulier de la portée de la DPAE, elle a précisé qu’il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer la portée de cette obligation déclarative.

31. Il appartient donc à la chambre criminelle de déterminer si la DPAE « a pour unique objet d’assurer l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale et, partant, à assurer le seul respect de la législation en la matière, auquel cas les certificats E101 et A1, délivrés par l’institution émettrice, feraient, en principe, obstacle à une telle obligation, ou, alternativement, si cette obligation vise également, fût-ce en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail, auquel cas ces certificats n’auraient aucune incidence sur ladite obligation, étant entendu que celle-ci ne peut, en tout état de cause, entraîner l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale » (§ 53 de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne précité).

32. Il convient de rappeler que la formalité de la DPAE a été créée par la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991, à l’article L. 320 du code du travail, recodifié depuis lors, qui prévoyait que « l’embauche d’un salarié ne peut intervenir qu’après la déclaration nominative effectuée par l’employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet », formulation reprise dans toutes les versions successives de ce texte, puis à l’article L. 1221-10 du code du travail.

33. Les travaux parlementaires afférents à la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, qui a généralisé l’extension de l’obligation de procéder à la DPAE à l’ensemble du territoire national, la justifient par la considération que la lutte contre le travail clandestin est une nécessité sociale et économique (Sénat, rapport de M. K... U..., n° 16, p. 56). Une circulaire d’application du 16 septembre 1993 relative à la mise en oeuvre de la déclaration préalable à l’embauche (JO du 23 octobre 1993, page 14733) expose encore que « la déclaration préalable à l’embauche s’insère dans le dispositif de lutte contre les différentes formes de travail et d’emploi irréguliers » et que celle-ci, qui remplace l’attestation d’embauche alors en vigueur, « tend à rendre cette information plus fiable puisqu’un tiers, en l’occurrence un organisme de protection sociale, en est le destinataire et le détenteur ».

34. Or, la lutte contre le travail dissimulé recouvre plusieurs finalités qui ne la limitent pas au financement des différentes branches de la sécurité sociale, puisqu’elle permet en outre de faciliter la lutte contre la fraude fiscale, une société qui procède à une DPAE étant tenue de s’identifier, ainsi que d’assurer une concurrence non faussée entre les entreprises.

35. C’est ainsi qu’en vertu de l’article L. 1221-10 du code du travail susvisé, l’existence d’une DPAE fait présumer l’existence d’un contrat de travail qui ouvre au salarié le bénéfice de l’ensemble des droits et obligations prévus par le code du travail. Cette déclaration tend ainsi à favoriser les contrôles opérés par l’inspection du travail sur le respect desdits droits et obligations, l’employeur devant s’il conteste l’existence d’un tel contrat de travail en établir le caractère fictif.

36. D’ailleurs, en vertu de l’article R. 1221-2 du code du travail, dans sa version applicable sur une partie de la période de prévention, la DPAE permet à l’employeur, non seulement, d’accomplir les déclarations et demandes tendant aux immatriculations et affiliations à divers régimes de sécurité sociale (assurance maladie et assurance chômage), mais également la demande de l’examen médical d’embauche, prévu à l’article R. 4624-10 dudit code, ou, s’il s’agit d’un salarié agricole, à l’article R. 717-14 du code rural et de la pêche maritime.

37. Il résulte de l’article R. 4624-11 du code du travail, dans sa version applicable à la date des faits, que l’examen médical d’embauche a notamment pour finalité de s’assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l’employeur envisage de l’affecter, de lui proposer éventuellement les adaptations du poste ou l’affectation à d’autres postes, et de rechercher s’il n’est pas atteint d’une affection dangereuse pour les autres travailleurs.

38. Obligatoire avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai, cet examen médical doit être réalisé par le médecin du travail. Il assure ainsi l’efficacité du contrôle par la médecine du travail des règles destinées à préserver la santé des travailleurs.

39. Il résulte de ces considérations que la DPAE vise, au moins en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail.

40. Dès lors, il y a lieu d’en conclure que l’existence de certificats E101 et A1 ne fait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé pour omission de procéder à la DPAE.

41. De même, le délit de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d’activité peut être établi, nonobstant la production de certificats E101 ou A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (article L. 8221-3, 2°, du code du travail) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (article L. 8221-5, 3°, du code du travail). Il en est ainsi par exemple, lorsqu’a été omise l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, dans le cas de la dissimulation d’activité.

42. En l’espèce, si les prévenus ont été reconnus coupables au titre de l’omission d’obligations déclaratives ayant pour unique objet d’assurer l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale, ils l’ont été également au titre d’un défaut d’inscription au registre du commerce et des sociétés et d’un défaut de DPAE.

43. La production de certificats E101 ou A1 pour certains ou tous les salariés concernés n’était pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis ces derniers faits, qui à eux seuls suffisent à fonder les condamnations prononcées du chef de travail dissimulé, délit défini de façon unitaire par l’article L. 8221-1, 1°, du code du travail, et de recours au travail dissimulé.

44. En conséquence, et dès lors, s’agissant du grief de la société Bouygues, que la cour d’appel expose que l’intéressée n’a pas tiré les enseignements des observations et réclamations portant sur l’obtention des certificats E101 ou A1 et a poursuivi pendant plus d’un mois, du 10 mai au 27 juin 2011, l’emploi des travailleurs polonais, les griefs seront écartés.

Sur le deuxième moyen, pris en ses première à septième et neuvième branches, proposé pour la société Elco

Sur le deuxième moyen proposé pour la société Bouygues

Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour la société Bouygues

Sur le quatrième moyen proposé pour la société Bouygues

Sur le deuxième moyen proposé pour la société Welbond

Sur le troisième moyen proposé pour la société Welbond

Enoncé des moyens

45. Le deuxième moyen proposé pour la société Elco est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 56 du TFUE (anciennement 49 du TCE), L. 1261-1 à L. 1262-5 du code du travail, 111-4, 112-1 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense.

46. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la société Elco Construct coupable du délit de travail dissimulé, par personne morale, par absence de déclaration préalable à l’embauche et par soustraction volontaire aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes habilités, l’a condamnée à une peine d’amende de 60 000 euros et, statuant sur l’action civile, a déclaré la société Elco Construct seule responsable du préjudice subi par l’union départementale des syndicats CGT de la Manche et la Fédération nationale CGT des salariés de la construction, du bois et de l’ameublement, et l’a condamnée à payer à chacune de ces deux parties, à titre de dommages-intérêts, une somme de 1 000 euros et sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, pour l’intégralité de la procédure, une somme de 1 200 euros, alors :

« 1°/ que, l’article L. 1262-3 du code du travail dans sa version issue de la loi du 2 août 2005 prévoit que seul est exclu du bénéfice des dispositions dérogatoires du détachement de salariés, et peut commettre le délit de travail dissimulé, l’employeur d’un Etat membre de l’Union Européenne dont l’activité est entièrement orientée vers le territoire national ou qui exerce en France une activité de façon habituelle, stable et continue, depuis des locaux et avec des infrastructures situées sur le territoire national ; qu’en l’espèce, il était constant que la société Elco Construct, prévenue, avait eu une activité en France se limitant à la réalisation d’un chantier et que son activité n’avait jamais été entièrement orientée vers le territoire Français, qu’elle n’avait jamais recruté de salariés en France pour son activité, qu’elle n’avait implanté aucune succursale et n’avait pas eu de représentant légal en France, qu’elle y avait exercé une activité temporaire, sans aucun caractère permanent, que sa présence se limitait à la réalisation du chantier de Flammanville et avait pris fin avec la fin du contrat de sous-traitance en 2012 ; qu’il s’en déduisait que la société prévenue pouvait légitiment bénéficier des dispositions sur le détachement et n’avait pas commis d’infraction de travail dissimulé ; qu’en jugeant cependant que la société prévenue ne pouvait bénéficier des dispositions dérogatoires sur le détachement des salariés en France et qu’elle avait commis l’infraction de travail dissimulé, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

2°/ qu’en vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, une loi nouvelle qui étend le champ d’une incrimination pénale est défavorable au prévenu, et n’est pas applicable aux faits commis antérieurement à sa promulgation et non encore définitivement jugés ; qu’en déclarant la société Elco Construt coupable du délit de travail dissimulé pour la raison que la gestion administrative des salariés détachés n’avait pas été assurée par la société roumaine, quand une telle condition d’exclusion des dispositions sur le détachement n’avait été prévue que dans la version de l’article L. 1262-3 du code du travail, issue de la loi du 6 août 2015, modifiant dans un sens plus sévère l’incrimination du comportement de la société employeur de droit étranger, et qui par conséquent ne pouvait s’appliquer rétroactivement aux faits poursuivis commis entre juin 2008 et février 2012, la cour d’appel a violé le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, ensemble les textes précités ;

3°/ que la contradiction de motifs équivaut à l’absence de motifs ; que la cour d’appel ne pouvait sans se contredire affirmer, d’une part que la société Elco Construct n’avait pas en France de réelle activité de gestion ou administrative et, d’autre part, juger que la société Elco Construct avait en France une réelle activité de gestion administrative des salariés Roumains pour retenir le délit de travail dissimulé ;

4°/ qu’en vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, une norme nouvelle qui étend le champ d’une incrimination pénale est défavorable au prévenu, et n’est pas applicable aux faits antérieurement commis et non encore définitivement jugés ; qu’en se fondant sur le guide pratique de la législation applicable aux travailleurs dans l’espace économique européen en date de novembre 2012, estimant à 25 % le chiffre d’affaires maximum pouvant être réalisé dans l’Etat d’envoi, et pour se prononcer sur l’activité de la société Elco Construct en Roumanie et dire qu’elle était accessoire par rapport à celle qu’elle avait en France sur le chantier litigieux et retenir l’incrimination de délit de travail dissimulé, la cour d’appel s’est fondée sur un texte postérieur à la période de prévention et a violé le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, ensemble les textes précités ;

5°/ qu’en tout état de cause les juges du fond sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ; que la demanderesse, faisait valoir que les règlements communautaires n° 883/2004 et n° 987/2009 n’étaient pas applicables à la question du détachement de salariés d’une entreprise ; qu’elle soutenait d’abord que lesdits règlements avaient pour but de coordonner les systèmes de sécurité sociale des différents pays et de poser les règles de conflits de lois en matière de sécurité sociale et non de définir les règles applicables au détachement ; qu’elle ajoutait que ces règlements s’appliquaient pour régler les cas de salariés pris individuellement en déterminant la loi sociale applicable mais n’avaient pas une portée générale, ne pouvaient pas viser un ensemble de salariés et donc certainement pas la question du détachement des salariés d’une entreprise ; qu’elle observait enfin que lesdits règlements n’avaient aucune portée pénale ; qu’en statuant sur l’existence de l’infraction de travail dissimulé, sans aucunement examiner cette question de l’inapplicabilité des règlements litigieux au litige, la cour d’appel a omis de répondre à une articulation essentielle du mémoire de la prévenue ;

6°/ que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que le juge pénal n’a pas le pouvoir de suppléer par analogie ou induction aux silences de la loi, ni d’en étendre le champ d’application en dehors des cas limitativement prévus par le texte ; que le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que le texte de l’article L. 1262-3 du code du travail - déterminant les cas d’exclusion du bénéfice des règles du détachement et donc déterminant ce qui relève du délit de travail dissimulé - soit interprété en ayant recours à des règlements communautaires et à un guide pratique communautaire ; que la cour d’appel, en se référant aux règlements communautaires n° 883/2004 et n° 987/2009, ainsi qu’à un guide pratique communautaire en date de novembre 2012, pour interpréter l’article L. 1262-3 du code du travail dans sa version en vigueur au moment des faits, a retenu qu’il fallait prendre en compte plusieurs critères cumulatifs tournés vers le pays d’origine pour se prononcer sur la question du détachement : le salarié doit être détaché pour une période maximale de 24 mois, il doit, préalablement au détachement, avoir exercé une activité dans le pays d’implantation de l’employeur, et enfin l’employeur doit avoir une activité réelle dans son pays d’origine qui soit le support de vie économique de l’entreprise et non une activité de pure administration ; qu’elle a estimé qu’en l’espèce les salariés avaient été embauchés juste quelques jours avant leur départ et ne travaillaient pas ou plus pour l’employeur depuis un certain temps, que l’activité de la société Elco Construct en Roumanie était devenue accessoire par rapport à l’activité qu’elle avait en France, que la gestion administrative des salariés n’était pas assurée par la société Roumaine et que quatre salariés sur plus de 800 avaient eu une période de détachement supérieure à 24 mois, pour en conclure que la société prévenue avait une activité habituelle, stable et continue en France, pour laquelle elle avait recruté des salariés et qu’elle n’avait qu’une activité secondaire en Roumanie et retenir à l’encontre de la société prévenue le délit de travail dissimulé ; qu’elle a ainsi fait une interprétation large des conditions d’exclusion du bénéfice du détachement ajoutant au texte précité en violation du principe de l’interprétation stricte de loi pénale et des textes susvisés ;

7°/ que la société prévenue faisait valoir (ses conclusions, pp. 34 à 36) qu’elle avait en Roumanie une activité réelle ; que pour cela elle critiquait le fait de retenir sur la base d’un simple guide pratique communautaire, un seuil minimal de 25% du chiffre d’affaires pour considérer comme substantielle l’activité d’une entreprise dans son Etat d’établissement et soutenait qu’il fallait recourir à une évaluation globale prenant en compte un ensemble d’éléments pertinents ; qu’elle alléguait que la chute de la part de son activité en Roumanie en 2009 et 2011 s’expliquait par les circonstances exceptionnelles du chantier de Flamanville, qu’elle ajoutait qu’il fallait tenir compte de l’évolution du chiffre d’affaire de la société en Roumanie après la fin du chantier de Flamanville ; qu’elle démontrait qu’elle avait depuis plus de dix ans une activité substantielle de construction en Roumanie ; qu’elle en inférait que la société Elco Construct avait en Roumanie une activité présentant toutes les caractéristiques d’une activité normale, réelle, au sens des dispositions des Règlements n° 883/2004 et n° 987/2009 ; que la cour d’appel, en ne répondant pas à cette articulation essentielle, a entaché sa décision d’un défaut de réponse à conclusions ;

9°/ que pour être constitué le délit de travail dissimulé doit être caractérisé dans son élément intentionnel, ce qui signifie qu’il doit être établi que son auteur a eu recours au dit travail dissimulé en connaissance de cause ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu à l’encontre de la société Elco Construct le délit de travail dissimulé sans caractériser l’élément intentionnel de cette infraction en la personne de la société prévenue. »

47. Le deuxième moyen de cassation proposé pour la société Bouygues est pris de la violation des articles 56 et 57 du TFUE, des articles 14 du règlement (CE) 1408/71, 12 du règlement (CE) 883/2004 et 14 du règlement (CE) 987/2009, des articles 111-3, 111-4 et 121-2 du code pénal, L.123-1 du Code de commerce, L. 1261-1 à L. 1263-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.

48. Le moyen critique l’arrêt en ce que la cour d’appel a déclaré la demanderesse coupable des chefs de travail dissimulé et de prêt illicite de main d’oeuvre en lien avec la société Atlanco Limited, alors :

« 1°/ que l’immatriculation d’une société étrangère dépourvue de siège en France ne s’impose qu’autant qu’existe un établissement en France et donc une activité stable ; qu’en déduisant l’existence d’une situation de travail dissimulé résultant d’un défaut d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés en considération du seul fait que les conditions fixées par le Code du travail permettant à un employeur étranger de bénéficier du régime dérogatoire du détachement n’auraient pas été remplies par la société Atlanco en l’espèce, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

2°/ qu’en tout état de cause, l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne consacre le principe de la liberté de prestation de services ; que la cour de justice de l’Union européenne a pu juger que l’intervention durant trois années sur le territoire d’un Etat membre pour les besoins d’un chantier ne relève pas d’une activité stable mais d’une prestation de services (CJUE, 11 décembre 2003, N..., aff. C-215/01) ; qu’en s’abstenant d’examiner si la société Atlanco avait exercé une activité stable au sens du droit de l’Union européenne avant de la condamner pour défaut d’immatriculation, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard du droit européen ;

3°/ que par ailleurs, la cour d’appel, qui s’est bornée à relever que l’entreprise Atlanco avait des liens avec quatre Etats distincts en affirmant que « la complexité des relations ainsi établies fait que le principe de base préalable au détachement, à savoir le lien entre le travailleur et son employeur, n’est nullement respecté, n’a pas exclu l’existence d’une relation réelle entre celle-ci et ses salariés ;

4°/ que de plus, la cour d’appel ne pouvait péremptoirement affirmer que « la société Atlanco Limited n’avait aucune activité de travail temporaire à Chypre (ni d’ailleurs en Irlande) sans répondre aux conclusions qui faisaient notamment valoir qu’Atlanco disposait bien d’un siège social à Chypre, dont dépendaient les salariés mis à disposition, que deux de ses trois dirigeants résidaient à Chypre, que la gestion des salariés était elle même réalisée depuis Chypre, ou encore qu’elle était rattachée aux autorités fiscales et sociales cypriotes ;

5°/ qu’enfin, le « détachement » au sens du droit de l’Union européenne comprend notamment le régime de l’alternance prévu aux articles 14§2, b) du Règlement 1408/71 et 14§5 du Règlement 987/2009, qui permet à un salarié d’exercer des activités dans plusieurs Etats membres, et qui conduit à l’application du régime de sécurité sociale de l’Etat de résidence ou de l’Etat du siège social ; qu’à l’instar d’Atlanco devant les juridictions prudhommales, Bouygues TP faisait valoir dans ses conclusions que ce régime trouvait à s’appliquer ; qu’en excluant son applicabilité au regard de seules considérations de droit interne, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision et omis de répondre à une articulation essentielle des écritures qui la saisissaient. »

49. Le troisième moyen proposé pour la société Bouygues est pris de la violation des articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, 111-3, 111-4 et 121-3 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.

50. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la demanderesse coupable d’avoir eu recours sciemment aux services de la société Atlanco, entreprise poursuivie et condamnée par défaut du chef de travail dissimulé, ainsi que de prêt de main d’oeuvre illicite, alors :

« 1°/ que l’article L. 8221-1 du code du travail incrimine « le fait de recourir sciemment aux services de celui qui exerce un travail dissimulé » ; qu’il doit être tenu compte, pour l’appréciation de l’élément intentionnel, des spécificités de la situation de la société utilisant les salariés d’une société d’intérim située à l’étranger, la première disposant d’informations nécessairement limitées à l’égard de la seconde ; qu’en retenant que « la particularité du contrat de recrutement des travailleurs polonais, mettant en cause trois, voire quatre pays, avec la volonté évidente, pour l’employeur, de rechercher la législation sociale la moins contraignante » aurait dû conduire Bouygues TP à « s’étonner, et au besoin, interroger les autorités français », la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

2°/ que la cour d’appel ne pouvait affirmer que « les sociétés françaises sont allées au-delà des obligations légales leur incombant à l’époque [
], réclamant des pièces et documents devant être communiqués avant toute entrée du travailleur intérimaire sur le site », et déduire la connaissance de Bouygues TP de l’exercice d’un travail dissimulé par Atlanco du fait qu’il n’avait été satisfait que de manière « incomplète » à ces demandes, sans s’expliquer sur l’impact de l’absence desdits documents sur l’élément moral de l’infraction. »

51. Le quatrième moyen de cassation proposé pour la société Bouygues est pris en la violation des articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L.8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, 111-3, 111-4 et 121-2 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.

52. Le moyen critique l’arrêt en ce que la cour d’appel a déclaré l’exposante coupable d’avoir eu recours sciemment aux services de la société Atlanco, entreprise poursuivie et condamnée par défaut du chef de travail dissimulé, et de prêt de main d’oeuvre illicite, alors « qu’il appartient aux juges du fond de démontrer que les faits poursuivis ont été commis par un organe ou un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal ; que la Cour d’appel ne pouvait se borner à désigner M. B... sans expliquer à quel titre celui-ci aurait agi. »

53. Le deuxième moyen de cassation proposé pour la société Welbond est pris de la violation et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 56 du TFUE, des articles 14.1 et 14.2 du règlement CEE n°1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, et 12.1 et 13.1 du règlement CE n°883/2001 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, des articles L. 1262-2, R. 1263-2, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8222-1, L. 8222-4, L. 8222-5, D. 8222-7 et D. 8222-8 du code du travail, des articles 121-2 et 121-3 du code pénal, et des articles préliminaire, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale.

54. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a confirmé la déclaration de culpabilité de la société Welbond Armatures du chef de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé pour les faits en lien avec la société Atlanco Limited, et l’a condamnée au paiement d’une amende de 15 000 euros et prononcé sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation ; que ce principe justifie qu’un prestataire de services puisse librement s’installer dans l’Etat membre de son choix, et développer son activité partout en Europe ; qu’il permet ainsi à une entreprise établie dans un Etat membre de l’Union européenne d’exercer de manière temporaire dans un autre Etat membre sans y être établie ; qu’en considérant que l’activité de travail temporaire de la société Atlanco constituait le délit de travail dissimulé, en raison notamment de son défaut d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés en France, quand la mise à disposition de salariés intérimaires en France, par une société établie à Chypre ne pouvait être analysée que comme une prestation de services au sens du traité, et que les salariés mis à disposition sur le site de l’EPR par la société Atlanco ne pouvaient être considérés comme des travailleurs détachés sur le fondement de la directive 96/71du 16 décembre 1971, la cour d’appel a méconnu le principe de la libre prestation de services tel que garanti par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et privé sa décision de toute base légale ;

2°/ que les règlements européens CEE n°1408/71 du 14 juin 1971, puis, à partir du 1er mai 2010, CE n°883/2004 du 29 avril 2004, en vigueur au moment du litige et directement applicables en droit interne, définissent le détachement temporaire comme la situation dans laquelle une personne exerce une activité salariée dans un Etat membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail dans un autre Etat membre ; qu’il résulte de cet article que le détachement suppose une relation impliquant deux Etats membres, celui de l’Etat habituel de travail, à partir duquel le salarié est envoyé en mission et vers lequel il va revenir à l’issue de celle-ci, et l’Etat temporaire de travail ; que tel n’était pas le cas des salariés mis à disposition par la société Atlanco, qui ne pouvaient être considérés comme détachés au sens de la sécurité sociale, puisqu’ils travaillaient dans plusieurs pays d’Europe sans avoir de pays habituel de travail ; qu’en affirmant néanmoins, pour justifier de la culpabilité de la prévenue du chef de travail dissimulé, que les salariés mis à disposition par la société Atlanco, étaient clairement placés sous le régime du détachement, la cour d’appel a méconnu les règlements européens précités, et privé sa décision de toute base légale ;

3°/ qu’il résulte des articles 14.2 du règlement n°1408/71 du 14 juin 1971 et du règlement n°883/2004 du 29 avril 2004, en vigueur au moment du litige et directement applicables en droit interne, qu’il peut être également dérogé au principe de territorialité selon lequel les cotisations sociales sont dues à titre obligatoire dans l’Etat du lieu de travail du salarié lorsque la personne exerce « normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres » ; que l’article 14, § 5, du règlement d’application n°987/2009 précise que l’exercice normal d’une activité salariée dans deux Etats membres renvoie notamment au cas d’une personne « qui exerce, en alternance, pour la même entreprise ou le même employeur ou pour différentes entreprises ou différents employeurs, une ou plusieurs activités différentes dans deux Etats membres ou plus » ; que dans ses conclusions d’appel régulièrement déposées, la société Welbond Armatures avait mis en évidence que les salariés de la société Atlanco se trouvaient bien en situation d’alternance dans la mesure où leur contrat de travail prévoyait expressément qu’ils travailleraient sur divers sites d’Atlanco dans l’Union européenne, qu’il était établi qu’une partie des salariés mis à la disposition de la société Welbond Armatures avait travaillé auparavant sur le chantier de l’EPR en Finlande, et que le chantier de l’EPR à Flamanville ne pouvait être considéré comme leur lieu habituel de travail dès lors qu’ils ne travaillaient en France que pour une période limitée ; que cette analyse avait été confirmée, d’une part, par l’avis du professeur M. O... qui avait clairement affirmé que les salariés mis à disposition par la société Atlanco en France exerçaient bien des activités alternantes dans au moins deux Etats membres et étaient, en conséquence, couverts par l’article 13.1 du règlement 883/2004, et d’autre part, par l’avis de l’Avocat général près la CJUE qui, à l’occasion d’une question préjudicielle posée par l’Etat chypriote opposant un salarié polonais à la société Atlanco, avait affirmé que ces salariés relevaient du régime de l’alternance et non de la lex loci laboris ; qu’en écartant néanmoins toute situation d’alternance en affirmant que le débat ne pouvait se situer que sur le terrain du détachement, nonobstant les analyses concordantes précitées corroborées par les termes mêmes des contrats de travail des salariés d’Atlanco, la cour d’appel a méconnu les dispositions précitées de l’article 13.1 b) du règlement n°883/2004 et privé sa décision de toute base légale ;

4°/ que la charge de la preuve de la culpabilité du prévenu incombe à la partie poursuivante et que le doute profite à l’accusé ; qu’en adoptant expressément les motifs par lesquels le tribunal correctionnel avait reproché aux sociétés prévenues de n’avoir apporté aucun élément permettant d’établir pour les salariés concernés une situation d’alternance qui dérogerait au principe général, quand les parties prévenues avaient au contraire démontré que près de 75 salariés avaient travaillé sur l’EPR de Finlande et que la charge de la preuve de l’inexistence prétendue d’une situation d’alternance incombait en tout état de cause au ministère public, la cour d’appel a méconnu les règles gouvernant la charge de la preuve ensemble le principe de la présomption d’innocence ;

5°/ que toute contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu’après avoir expressément affirmé que les salariés mis à disposition par la société Atlanco étaient clairement placés sous le régime du détachement et non, sous celui de l’alternance pourtant revendiqué par la société Welbond Armatures en raison de l’inapplicabilité des règles relatives au détachement en l’espèce, la cour d’appel affirme que le délit de travail dissimulé est constitué dans la mesure où la législation relative au détachement ne pouvait leur être applicable ; qu’en affirmant dans le même temps que les salariés de la société Atlanco relevaient du régime du détachement et que la législation du détachement ne pouvait leur être applicable, la cour d’appel a statué par des motifs contradictoires privant incontestablement sa décision de toute base légale ;

6°/ que si l’émission d’un certificat E101 crée une présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs à la sécurité sociale de l’Etat émetteur liant le juge pénal, qu’il soit consécutif à un détachement ou à l’exercice d’activités sur le territoire de plusieurs Etats membres, l’absence de ce certificat ne présume en aucun cas de l’illégalité de la mise à disposition du salarié étranger et ne suffit pas, en tout état de cause, à disqualifier la situation de pluriactivité ; qu’en déduisant la culpabilité de la prévenue du chef de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé du simple fait qu’elle n’a pas été en mesure de présenter pour chaque salarié un certificat E101 en cours de validité, quand cette production n’était pas une condition légale de régularité du travail à l’étranger et qu’elle avait par ailleurs obtenu la preuve que la société Atlanco s’était bien acquittée à Chypre de l’ensemble de ses cotisations et contributions sociales, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

7°/ qu’il résulte de la jurisprudence européenne que s’il est préférable que l’émission du certificat E101 intervienne avant le début de la période concernée, elle peut aussi être effectuée au cours de cette période, voire après son expiration, rien ne s’opposant à ce que le certificat produise, le cas échéant des effets rétroactifs ; que dès lors qu’il n’était pas contesté que la société Atlanco avait déposé des demandes de formulaires A1/E101 pour l’ensemble des travailleurs polonais visés à la prévention, la cour d’appel ne pouvait néanmoins, sans priver sa décision de toute base légale et méconnaître la jurisprudence précitée, préjuger de la culpabilité de la prévenue du chef de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé du simple fait qu’elle ne disposait pas encore, pour chaque salarié de la société Atlanco, d’un certificat en cours de validité, dans la mesure où la légalité de la mise à disposition des salariés d’Atlanco n’était pas conditionnée à la délivrance de ce certificat, lequel pouvait parfaitement intervenir à l’expiration de leur période de mise à disposition et produire des effets rétroactifs ;

8°/ qu’en vertu des dispositions transitoires de l’article 87 du nouveau règlement n°883/2004, si en raison de l’entrée en vigueur du nouveau règlement, une personne est soumise à la législation d’un Etat membre autre que celle déjà déterminée sous l’emprise de l’ancien règlement, la précédente décision continuera à s’appliquer aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée ; que dans ses conclusions d’appel régulièrement déposées, la société Welbond Armatures faisait valoir que ces dispositions transitoires s’appliquaient aux salariés d’Atlanco puisqu’il s’agissait de salariés pour lesquels la législation applicable avait déjà été déterminée selon l’ancien règlement n°1408/71 sous condition d’un certificat E101 ; qu’il en résultait que ces salariés dont la situation était restée inchangée et qui s’étaient vus délivrer un certificat E101 dans le passé demeuraient éligibles à un certificat A1 ; qu’en persistant à déduire le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé de l’absence de certificats en cours de validité, sans même tenir compte de ces dispositions transitoires permettant de considérer que les salariés s’étant vus délivrer un certificat E101 dans le passé demeuraient éligibles à un certificat A1, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision de condamnation et méconnu les dispositions précitées ;

9°/ que le délit de recours au travail dissimulé est un délit intentionnel qui suppose d’établir la preuve que l’entreprise utilisatrice a délibérément, et en parfaite connaissance de cause éludé les obligations de vérification qui lui sont imposées par le code du travail ; qu’il résulte en l’espèce des propres constatations des juges du fond que la société Welbond Armatures s’était montrée particulièrement vigilante quant à son obligation de contrôle dans la mesure où les contrats conclus avec la société Atlanco exigeaient la communication de documents allant au-delà des obligations légales lui incombant à l’époque et que la communication incomplète de certains documents avait donné lieu à des réclamations et relances insistantes de sa part auprès de la société Atlanco ; qu’il n’est par ailleurs pas contesté qu’à compter de la sommation de l’Urssaf en date du 20 juin 2011, d’enjoindre immédiatement à la société Atlanco de faire cesser la situation d’exercice de travail illégal, la société Welbond Armatures a adressé un courrier en ce sens à la société Atlanco dès le 22 juin et que tous les salariés d’Atlanco ont quitté le chantier le jour même ; que faute d’avoir obtenu la communication des pièces requises, la société Welbond Armatures a suspendu toute collaboration avec la société Atlanco dès le 25 juin 2011 ; qu’en l’état de ces constatations et éléments de fait dont il résulte incontestablement que la société Welbond Armatures avait toujours entendu respecter ses obligations de vigilance comme de diligence imposées par le code du travail, la cour d’appel s’est abstenue de tirer de ses propres constatations les conséquences légales qui s’imposaient, privant sa décision de condamnation de toute base légale ;

10°/ que le délit de recours au travail dissimulé est un délit intentionnel qui suppose que soit établie avec certitude la connaissance de la prévenue de la situation irrégulière de l’entreprise avec laquelle elle a contracté ; que dans ses conclusions régulièrement déposées, la société Welbond Armatures rappelait qu’en 2009, l’ASN et les autres services de l’Etat ont effectué des contrôles relatifs au détachement des travailleurs étrangers sur le chantier de l’EPR sans qu’aucun procès-verbal ne soit dressé ; qu’elle faisait de même valoir que l’accès au chantier de l’EPR était strictement encadré par l’Etat et soumis à une procédure d’autorisation préfectorale après un contrôle rigoureux quant à l’identité du travailleur et à l’existence de papiers en cours de validité ; que la procédure de délivrance du badge d’accès prévoyait ainsi obligatoirement la demande faite par la société Atlanco à l’ASN, la copie de la demande du certificat E101 ou A1 faite par Atlanco à l’organisme chypriote, et la copie du contrat de travail ; qu’il en résulte que si les travailleurs de la société Atlanco avaient été en situation irrégulière, la préfecture n’aurait pas délivré de badge d’accès ; qu’en se bornant à affirmer que la société Welbond Armatures était parfaitement informée des difficultés découlant de la présence des travailleurs polonais sans même répondre à ces éléments déterminants des conclusions de la prévenue de nature à mettre en évidence qu’aucun élément objectif n’avait été de nature à alerter cette dernière sur une quelconque irrégularité concernant la société Atlanco, jusqu’aux contrôles des 10 et 11 mai 2011, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;

11°/ que les personnes morales, à l’exception de l’Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; que toute insuffisance ou contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que pour entrer en voie de condamnation à l’encontre de la société Welbond Armatures du chef de recours au travail dissimulé, la cour d’appel a affirmé que la personne physique ayant agi pour le compte de la société est, « en l’espèce, à défaut d’une quelconque délégation, M. Y..., dirigeant de droit de la société » ; qu’il résulte pourtant des pièces de la procédure que M. Y... avait, le 1er juin 2007 consenti une délégation de pouvoirs à M. C... ; qu’en justifiant la mise en cause de la responsabilité pénale de la société personne morale sur le fondement de motifs erronés contredits par les pièces du dossier, la cour d’appel a méconnu l’article 121-2 du code pénal ensemble l’article 593 du code de procédure pénale. »

55. Le troisième moyen de cassation proposé pour la société Welbond est pris en violation de l’article 56 du TFUE, des articles L. 8241-1, L. 1251-1, L. 1262-2 du code du travail, 121-2 et 121-3 du code pénal, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

56. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que l’arrêt attaqué a confirmé la déclaration de culpabilité de la société Welbond Armatures du chef prêt illicite de main-d’oeuvre pour les faits en lien avec la société Atlanco Limited, et l’a condamnée au paiement d’une amende de 15 000 euros et prononcé sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que la cassation qui ne manquera pas d’intervenir sur le deuxième moyen de cassation entraînera nécessairement la cassation de l’arrêt attaqué en ses dispositions relatives à la condamnation de la société Welbond Armatures du chef de prêt illicite de main-d’oeuvre pour les faits en lien avec la société Atlanco Limited, l’absence de toute irrégularité dans la mise à disposition des salariés d’Atlanco ne permettant pas d’établir une quelconque illégalité de l’activité de travail temporaire de la société Atlanco, laquelle relevait de la libre prestation de services garantie par l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

2°/ que le recours habituel à un prêt de main d’oeuvre n’est illicite que si l’opération a été source de profit pour l’entreprise utilisatrice ; que dans ses conclusions d’appel régulièrement déposées, la société Welbond Armatures avait clairement fait valoir qu’elle n’avait retiré aucun profit financier ni réalisé aucune économie en recourant aux salariés intérimaires polonais mis à sa disposition par la société Atlanco, dans la mesure où le taux de facturation de cette dernière était supérieur aux entreprises de travail temporaire françaises, et suffisamment élevé pour garantir le paiement des salaires conformes à la profession et des cotisations de sécurité sociale ; qu’il n’était par ailleurs pas contesté que les salaires payés aux travailleurs d’Atlanco étaient conformes aux taux horaires pratiqués par l’entreprise Welbond pour son personnel ; qu’en condamnant néanmoins la société Welbond Armatures du chef de prêt illicite de main-d’oeuvre, sans même rechercher à caractériser, comme elle y était pourtant expressément invitée, le but lucratif de l’opération de prêt de main-d’oeuvre conclue avec la société Atlanco, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

3°/ que le délit de prêt de main-d’oeuvre illicite est une infraction intentionnelle qui suppose que soit établie la connaissance du caractère illicite de l’opération de prêt de main d’oeuvre réalisée, et la volonté d’agir malgré tout ; que les premiers juges s’étaient bornés à reprocher à la société Welbond Armatures un simple défaut de contrôle de sa part quant à la transmission des contrats de mission par la société Atlanco, qualifiée « d’abstention fautive » ; qu’en déduisant ainsi l’intention d’une simple faute de négligence, la cour d’appel a transformé le délit de prêt illicite de main d’oeuvre en un délit d’imprudence en violation des exigences de l’article 121-3 du code pénal ;

4°) qu’en l’état des motifs erronés dénoncés à la onzième branche du deuxième moyen s’agissant de la désignation de la personne physique à l’origine du délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé à la société Welbond Armatures, la condamnation pénale de la société Welbond identifiant à nouveau M. Y... comme étant à l’origine du délit de prêt illicite de main-d’oeuvre par renvoi aux motifs statuant sur le délit de recours au travail dissimulé encourt une censure identique. »

Réponse de la Cour

57. Les moyens sont réunis.

58. Pour déclarer la société Elco coupable de travail dissimulé, après avoir constaté que, tout d’abord, la très grande majorité des salariés a été embauchée par la société dans le seul but de venir en France, sur le chantier de l’EPR, quelques jours avant leur départ, la plupart d’entre eux n’ayant pas travaillé ou ne travaillant que récemment pour la société Elco, ensuite que l’activité de celle-ci dans son pays d’origine est devenue accessoire par rapport à l’activité en France, spécialement sur le chantier de l’EPR, le chiffre d’affaires réalisé en France s’établissant à 67% en 2009, 70% en 2010 et 60% en 2011, pendant que celui réalisé en Roumanie était de 17% en 2009 et de 2% en 2011, enfin, que la gestion administrative des salariés dits détachés n’était pas assurée par la société roumaine, certains détachements ayant duré plus de vingt-quatre mois, l’arrêt énonce que la société Elco a eu, en France, une activité habituelle, stable et continue, pour laquelle elle avait recruté, dans cette seule perspective, différents salariés, ce qui ne l’autorisait pas à se prévaloir de la législation sur les détachements.

59. Les juges relèvent que l’absence des déclarations préalables à l’embauche n’est pas contestée et ils ajoutent que l’objectif poursuivi par la société Elco a été, avant tout, la recherche d’un profit en jouant sur le coût du travail en Europe, cette fraude sociale ayant touché, d’une part les salariés concernés, d’autre part les sociétés françaises qui ont subi une concurrence déloyale.

60. Pour déclarer les sociétés Bouygues et Welbond coupables des chefs de recours aux services de travailleurs dissimulés, mis à disposition par la société Atlanco, et prêt illicite de main d’oeuvre, après avoir retenu qu’une société, dont le siège est en Irlande, a, par l’intermédiaire de sa filiale chypriote Atlanco et d’un bureau de cette filiale en Pologne, mais n’ayant aucune activité dans l’un de ces trois pays, recruté des travailleurs polonais, en leur faisant signer un contrat rédigé en grec, en vue de leur mise à disposition de sociétés françaises, grâce à l’intermédiation de deux salariés, basés à Dublin et travaillant en France, de cette filiale chypriote, qui n’était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, l’arrêt attaqué énonce que les sociétés Bouygues et Welbond ont demandé à la société Atlanco les pièces et documents relatifs aux travailleurs intérimaires sur le site, notamment le certificat E101 ou A1, sans en obtenir une communication complète et en poursuivant l’emploi de travailleurs polonais pour lesquels ces certificats n’avaient pas été transmis.

61. Les juges relèvent que, pour disposer d’une main d’oeuvre indispensable au bon déroulement du chantier, qui avait pris un retard considérable, les sociétés Bouygues et Welbond, agissant, la première, par l’entremise du directeur du projet relatif aux lots pour lesquels cette mise à disposition a été réalisée, la seconde, par celle de son dirigeant de droit, qui n’a consenti aucune délégation de pouvoir, ont eu recours à des travailleurs intérimaires polonais en connaissant les conditions de leur recrutement et de leur présence sur le site.

62. Ils concluent que ces sociétés ont fait appel à une main d’oeuvre temporaire, tout en sachant que la société Atlanco ne respectait pas le cadre légal du travail temporaire.

63. En l’état de ces motifs, exempts de contradiction et procédant de son appréciation souveraine des faits ainsi que des circonstances de la cause, dont elle a exactement déduit que l’activité des sociétés Atlanco et Elco ne relevait pas du détachement défini à l’article L.1262-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au moment des faits, mais des dispositions relatives à leur établissement en France, la cour d’appel, répondant aux chefs péremptoires des conclusions, a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnels, les délits de recours aux services de travailleurs dissimulés et de prêt illicite de main d’oeuvre reprochés aux sociétés Bouygues et Welbond, ainsi que le délit de travail dissimulé reproché à la société Elco, sans inverser la charge de la preuve ni méconnaître les textes et principes invoqués aux moyens.

64. En effet, d’une part, le délit de travail dissimulé est constitué quand l’employeur a omis d’accomplir l’une ou l’autre des formalités prévues par l’article L. 8221-5 du code du travail à l’égard d’un seul de ses salariés, dès le premier jour de l’embauche.

65. D’autre part, l’argumentation selon laquelle les travailleurs concernés justifiaient être affiliés à un régime étranger de sécurité sociale par la productions de certificats E101, devenus A1 était sans incidence sur l’obligation incombant à la société Atlanco d’être immatriculée au registre du commerce et des sociétés et sur l’obligation incombant aux sociétés Atlanco et Elco de procéder à une déclaration préalable à l’embauche, étant entendu que celle-ci ne pouvait, dans ce contexte, entraîner l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale, ainsi que le précise l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2020 précité (§ 53).

66. Enfin, outre que le moyen proposé par la société Welbond, pris de la délégation qu’aurait consentie son dirigeant de droit, est nouveau, mélangé de fait et de droit, et comme tel irrecevable, la cour d’appel a justifié sa décision quant à la qualité de représentants des deux sociétés Welbond et Bouygues de MM. Y... et B... après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, qu’ils étaient tous deux signataires des contrats engageant leurs sociétés respectives avec la société Atlanco, ce dont il s’évince qu’ils disposaient du pouvoir de procéder à l’embauche des salariés concernés.

67. En conséquence, les moyens doivent être écartés.

Sur le troisième moyen proposé pour la société Elco

Sur le cinquième moyen proposé pour la société Welbond

Enoncé des moyens

68. Le troisième moyen proposé pour la société Elco est pris de la violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, 485, 513 et 593 du code de procédure pénale.

69. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné la société Elco Construct à une amende de 60 000 euros, alors « qu’en matière correctionnelle le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; que la cour d’appel a condamné la société Elco Construct à une peine d’amende de 60 000 euros, sans aucunement motiver le choix du quantum de l’amende, au regard des ressources et des charges du prévenu ; qu’elle a méconnu les dispositions précités. »

70. Le cinquième moyen proposé pour la société Welbond est pris de la violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

71. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a confirmé le jugement sur la peine et condamné la société Welbond Armatures au paiement d’une amende de 15 000 euros, après avoir pourtant renvoyé en cause d’appel la société Welbond Armatures de l’intégralité des poursuites de chef de prêt illicite de main-d’oeuvre en lien avec les faits reprochés à la société Elco Construct dont elle avait été déclarée coupable par les premiers juges, alors « qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; que pour confirmer le jugement sur le montant de l’amende prononcée, nonobstant la relaxe intervenue en cause d’appel du chef de prêt illicite de main-d’oeuvre en lien avec les faits reprochés à la société Elco Construct, la cour d’appel se borne à affirmer, après avoir tenu compte de l’importance économique des sociétés en cause et d’une certaine passivité des autorités françaises, que les amendes modérées prononcées par les premiers juges sont tout à fait justifiées et peuvent être reprises dans leur approche ; qu’en prononçant ainsi, sans s’expliquer sur la situation personnelle de la prévenue, ni sur le montant de ses ressources comme de ses charges, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

72. Les moyens sont réunis.

73. Pour condamner la société Elco à 60 000 euros d’amende et la société Welbond à 15 000 euros d’amende, l’arrêt énonce que, si l’objectif poursuivi par la société Elco était, avant tout, la recherche d’un profit en jouant sur le coût du travail en Europe, et celui des sociétés françaises de disposer rapidement d’une main d’oeuvre importante et qualifiée pour limiter le retard considérable pris par le chantier, les effets néfastes de cette fraude sociale ont touché, d’une part les salariés concernés, d’autre part les sociétés françaises qui ont subi une concurrence déloyale.

74. Les juges retiennent qu’en tenant compte de l’importance économique des sociétés en cause et d’une certaine passivité des autorités françaises, il apparaît que les amendes, modérées, prononcées par les premiers juges sont justifiées et peuvent être reprises dans leur approche sauf à les adapter de façon plus différenciée, pour tenir compte du rôle éminemment moteur de la société Bouygues dans le déroulement de l’opération.

75. En l’état de ces énonciations, la cour d’appel, qui a statué au vu des renseignements dont elle disposait et en l’absence d’éléments produits par les prévenues de nature comptable et fiscale susceptibles de la renseigner sur leurs résultats et leurs patrimoines, a justifié sa décision.

76. Dès lors, les moyens doivent être écartés.

77. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR00024
Analyse

Titrages et résumés
TRAVAIL - Travail dissimulé - Dissimulation d’emploi salarié - Applications diverses - Défaut de déclaration préalable à l’embauche - Règlement (CEE) n° 1408/71 - Article 14 - Certificats d’affiliation - Certificats E101 (A1) - Force obligatoire - Portée - Sécurité sociale - Inopposabilité - Conditions - Retrait par l’autorité d’émission ou caractérisation d’une fraude

Les certificats E101, devenus A1, délivrés par l’institution compétente d’un Etat membre, qui créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État, ne s’imposent aux juridictions de l’Etat sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités qu’en matière de sécurité sociale, ainsi qu’il résulte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2020 (Bouygues travaux publics, C-17/19). Il s’ensuit que lorsque les poursuites pour travail dissimulé n’ont pas seulement été engagées pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l’embauche, laquelle vise, au moins en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail, l’existence de certificats E101 et A1 ne fait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé. De même, le délit de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d’activité peut être établi, nonobstant la production de certificats E101 ou A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (article L. 8221-3, 2°, du code du travail) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (article L. 8221-5, 3°, du code du travail). En effet, ce délit est défini de façon unitaire par l’article L. 8221-1, 1°, du code du travail. Pour autant, dans le cas où des certificats E101 ou A1 sont opposés, la déclaration de culpabilité du chef de travail dissimulé ne peut avoir pour effet d’entraîner l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale, ainsi qu’il résulte l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mai 2020 précité (§ 53). En effet, en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E101 et A1 délivrés par l’institution compétente d’un Etat membre créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s’imposent à l’institution compétente et aux juridictions de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15). Les certificats ne peuvent être écartés, en matière de sécurité sociale, que dans le cas où l’autorité qui les a émis procède à leur retrait ou, en l’absence de retrait, lorsque la fraude peut être caractérisée dans les conditions fixées par la Cour de justice de l’Union européenne dans ses arrêts du 6 février 2018 (Ömer Altun, C-359/16) et du 2 avril 2020 (Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18)

Précédents jurisprudentiels
S’agissant de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne énonçant que les formulaires de détachements, dits certificats E101 et A1, s’imposent aux juridictions de l’État sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale, à rapprocher :
CJUE, arrêt du 4 mai 2020, Bouygues travaux publics e.a., C-17/19.
Textes appliqués
article 14, § 2, du règlement (CEE) n° 1408/71 ; article 19, § 2, du règlement CE n° 987/2009 ; article 12 bis du règlement CEE n° 574/72