Travail dissimulé - redressement cotisations sociales - pas d’obligation pour l’Urssaf de transmettre

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 14 février 2019

N° de pourvoi : 18-12150

ECLI:FR:CCASS:2019:C200243

Publié au bulletin

Cassation

Mme Flise (président), président

SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article R. 243-59, alinéa 5, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable aux opérations de contrôle litigieuses ;

Attendu, selon ce texte, qu’à l’issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l’employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l’objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle ; que ce document mentionne, s’il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l’indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements envisagés ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’à l’issue d’un contrôle portant sur les années 2007 et 2008, l’URSSAF Provence Alpes-Côte d’Azur (l’URSSAF) a notifié, le 4 janvier 2010, à la société Ambulances Manière (la société), une lettre d’observations suivie, le 31 août 2010, d’une mise en demeure au titre, notamment, de la dissimulation d’emplois salariés ; que la société a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que pour accueillir ce recours et annuler la procédure de contrôle, l’arrêt relève que l’URSSAF a précisé, dans sa lettre d’observations, que son contrôle avait été réalisé sur le fondement des articles L. 8221-1 et L. 8221-2 du code du travail et sur la base expressément indiquée d’un « procès-verbal 08110 » du 19 septembre 2008 établi par un contrôleur du travail et joint en « annexe 1 » ; que cette pièce n’a jamais été communiquée à la société, comme celle-ci le fait valoir, ni par le contrôleur du travail, ni par l’inspecteur de l’URSSAF, ni au cours de la procédure judiciaire ; que l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale impose à l’inspecteur de l’URSSAF « de mentionner... les documents consultés, ... les observations faites au cours du contrôle, etc... » ; que s’agissant d’un contrôle sur place, le défaut d’information relatif aux irrégularités relevées par l’inspection du travail constitue un manquement au principe du contradictoire et a privé la société contrôlée de présenter ses observations pendant le contrôle ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’URSSAF n’était pas tenue de joindre à la lettre d’observations le procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé à l’origine du redressement litigieux, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 décembre 2017, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne la société Ambulances Manière aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Ambulances Manière et la condamne à payer à l’URSSAF Provence Alpes-Côte d’Azur la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales Provence Alpes-Côte d’Azur.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône du 16 octobre 2013, et statuant à nouveau, d’AVOIR annulé la procédure de contrôle de l’URSSAF réalisée courant décembre 2009, le redressement notifié dans la lettre d’observations du 4 janvier 2010 et la mise en demeure du 31 août 2010, avec toutes conséquences de droit quant à la restitution des sommes versées dans le cadre de l’exécution provisoire du jugement, d’AVOIR débouté l’URSSAF de ses demandes et de l’AVOIR condamnée à payer à la société Ambulances Manière la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

AUX MOTIFS QUE « L’Urssaf a précisé dans sa lettre d’observations du 4 janvier 2010 que son contrôle avait été réalisé sur le fondement des articles L8221-1 et L8221-2 du code du travail (« recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé ») et sur la base expressément indiquée d’un « procès-verbal 08110 » du 19 septembre 2008 établi par un contrôleur du travail et joint en « annexe 1 ». La Cour rappelle qu’à l’issue d’un contrôle, un contrôleur du travail peut rédiger un simple avertissement ou une lettre d’observations, ou une mise en demeure, ou encore établir un procès-verbal d’infractions ; ce dernier document qui rassemble toutes les données nécessaires pour envisager d’éventuelles poursuites pénales, est établi en deux exemplaires, l’un destiné au préfet et l’autre au procureur de la république. En cas de travail dissimulé, l’article L8271-8-1 du code du travail dans sa version en vigueur en 2010, prévoyait également qu’un exemplaire était adressé à l’organisme de recouvrement. Aucun exemplaire n’était donc remis à l’employeur, sauf lorsqu’il existait des infractions à la législation sur le temps de travail, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dans ses conclusions, l’Urssaf indique que « la requérante ne peut arguer d’un prétendu défaut d’information dans la mesure où la lettre d’observations du 4 janvier 2010 reprend les termes du procès-verbal et que ce dernier y est annexé (annexe 1). En tout état de cause le procès-verbal a été communiqué dans le cadre de la procédure de première instance. ». Par un raisonnement « a contrario », cet argument signifie donc que l’appelante serait fondée à se prévaloir du défaut d’information si le procès-verbal de l’inspection du travail n’était pas communiqué. Or, dès sa réponse à l’Urssaf, et par une lettre recommandée du 3 février 2010, l’avocat de la société Ambulances Manière avait fait valoir que ce document n’avait pas été communiqué à sa cliente (page 2). Dans sa réponse du 1er juin 2010, l’inspectrice de l’Urssaf qui pouvait encore communiquer ce document, se contente de dire qu’il figurait en annexe à la lettre d’observations, et elle renvoie l’intéressé à « exploiter les voies de recours à votre disposition concernant ce procès-verbal », sans expliquer comment il est possible d’exercer des voies de recours contre un document qui n’est pas communiqué. L’Urssaf a produit trois pièces devant la Cour, dont la lettre d’observations du 4 janvier 2010 afférente aux infractions de travail dissimulé. La Cour ne peut que constater que l’annexe 1 de cette lettre d’observations, qui serait donc le procès-verbal de l’inspection du travail, n’a pas été communiquée devant le tribunal qui, dans son jugement, a considéré que « les observations adressées le 4 janvier 2010 reprenaient de façon exhaustive le contenu du procès-verbal de l’inspection du travail » et que ces observations étaient suffisantes au regard des exigences de l’article R243-59 du code de la sécurité sociale. Le tribunal admettait ainsi ne pas avoir eu le document entre les mains et ne pouvait donc pas procéder par affirmation sans en avoir d’abord pris connaissance. La Cour constate que l’Urssaf n’a pas davantage fourni ledit procès-verbal dans les pièces qu’elle a communiquées en appel, et dont elle persiste à prétendre qu’il aurait été communiqué devant le tribunal, tout en admettant, par la citation qu’elle fait du jugement, que le tribunal ne l’avait pas entre les mains. La Cour ne peut que constater que le moyen soutenu par l’appelante est sérieux et qu’il est fondé. Cette pièce n’a donc jamais été communiquée à l’appelante, comme elle le fait valoir, ni par le contrôleur du travail ni par l’inspecteur de l’Urssaf ni au cours de la procédure judiciaire. L’article R243-59 précité, auquel se réfère expressément l’Urssaf devant la Cour, imposait à son inspecteur « de mentionner ‘ les documents consultés, ‘ les observations faites au cours du contrôle, etc... ». Or, s’agissant d’un contrôle sur place comme en témoigne la première page de la lettre d’observations qui énumère les « documents consultés », la Cour constate que le défaut d’information relatif aux irrégularités relevées par l’inspection du travail constitue un manquement au principe du contradictoire et a privé la société contrôlée de présenter ses observations pendant le contrôle, ainsi que cela ressort de la lettre d’observations qui, à aucun moment, ne fait état des commentaires du responsable de la société. L’appelante est donc fondée à se prévaloir du défaut d’information et de la violation du principe du contradictoire. La Cour annule la procédure de contrôle, le redressement et la mise en demeure, et ordonne la restitution des sommes déjà payées par la société contrôlée dans le cadre de l’exécution provisoire ordonnée par le tribunal, dont le jugement est infirmé. »

1/ ALORS QUE le juge ne peut pas dénaturer les conclusions des parties ; qu’en l’espèce, l’URSSAF faisait valoir dans ses écritures qu’il ne lui appartenait pas de communiquer à la société faisant l’objet d’un contrôle le procès-verbal établi par un contrôleur de la Direction Départementale du Travail (conclusions d’appel p.3) ; qu’en énonçant qu’il ressortait des conclusions de l’URSSAF que la société serait fondée à se prévaloir d’un défaut d’information si le procès-verbal de l’inspection du travail ne lui avait pas été communiqué (arrêt p.4§2), la cour d’appel a dénaturé les conclusions de l’exposante, en violation de l’article 4 du code de procédure civile,

2/ ALORS QUE le procès-verbal d’infraction constatant le délit de travail dissimulé et établi par l’inspecteur du travail doit exclusivement être communiqué aux organismes de recouvrement ainsi qu’au Procureur de la République et au représentant de l’Etat dans le département ; qu’en l’espèce, en jugeant que la société était fondée à se prévaloir du défaut d’information et de la violation du principe du contradictoire dès lors qu’elle n’avait pas eu communication de ce procès-verbal, quand aucune disposition ne fait obligation à l’URSSAF de le lui transmettre, la cour d’appel a violé les articles R243-59 du code de la sécurité sociale et L8271-8-1 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige,

3/ ALORS QUE la partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance, qu’à défaut, il peut être demandé au juge d’enjoindre cette communication, qu’en tout état de cause le juge chargé d’instruire une affaire peut mettre en demeure les parties de produire tous documents propres à éclairer la cour ou, à défaut d’injonction, peut toujours inviter une partie à fournir des éléments de nature à l’éclairer ; que ce n’est qu’à défaut de communication d’une pièce malgré l’injonction faite par le juge qu’il peut être tiré par la juridiction toutes les conséquences de ce refus de communication ; qu’en revanche le défaut de communication d’une pièce au cours de la procédure judiciaire sans que la partie défaillante ait été enjointe de communiquer cette pièce ne saurait avoir pour conséquence sa condamnation ; qu’en l’espèce, pour retenir que la société était fondée à se prévaloir du défaut d’information et ainsi annuler le redressement opéré par l’URSSAF, la cour d’appel a constaté que l’URSSAF n’avait pas versé aux débats le procès-verbal d’infraction ; qu’en statuant ainsi, quand aucune injonction de produire ce document n’avait été formulée à l’encontre de l’URSSAF, la cour d’appel a violé les articles 132, 133 et 940 du code de procédure civile.

4/ ALORS QUE l’obligation d’information de l’URSSAF eu égard au redressement opéré est respectée dès lors que la lettre d’observations comporte les informations relatives à l’objet du contrôle, aux documents consultés, à la période vérifiée et la date de la fin du contrôle ainsi que, s’il y a lieu à redressement, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l’indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements envisagés ; qu’en retenant l’existence d’un défaut d’information relatif aux irrégularités relevées par l’inspection du travail sans expliquer en quoi la lettre d’observations ne comportait pas l’ensemble des informations requises pour que la société puisse avoir une connaissance précise des causes du redressement envisagé, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige,

5/ ALORS QUE la lettre d’observations doit comporter les informations relatives à l’objet du contrôle, aux documents consultés, à la période vérifiée et la date de la fin du contrôle ainsi que, s’il y a lieu à redressement, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l’indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements envisagés ; qu’en affirmant l’existence d’une violation du principe du contradictoire du seul fait de l’absence d’observations émises par l’employeur reportées dans la lettre d’observations, la cour d’appel a violé l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige. Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 15 décembre 2017