Conditions de validité d’une confiscation

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 16 mars 2021, 20-80.290, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 20-80.290
ECLI:FR:CCASS:2021:CR00315
Non publié au bulletin
Solution : Cassation

Audience publique du mardi 16 mars 2021
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 03 décembre 2019

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° K 20-80.290 F-D

N° 00315

CK
16 MARS 2021

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 MARS 2021

M. C... O... et Mme N... O..., partie intervenante, ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 3 décembre 2019, qui, pour travail dissimulé et blanchiment a condamné le premier à deux ans d’emprisonnement, à cinq ans d’interdiction de gérer, a ordonné une mesure de confiscation et a refusé de faire droit à la demande de restitution de la seconde.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme de Lamarzelle, conseiller référendaire, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. C... O... et Mme N... O..., les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’URSSAF Provence-Alpes-Côte-d’Azur, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 février 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme de Lamarzelle, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. O... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé par dissimulation d’activité et de blanchiment liés à l’exercice d’une activité de garagiste non déclarée.

3. Les juges du premier degré l’ont déclaré coupable et condamné. Ils ont également prononcé des mesures de confiscation portant notamment sur des sommes d’argent saisies sur des comptes bancaires ouverts au nom de membres de sa famille.

4. M. O... a relevé appel du jugement de même que le procureur de la République à titre incident. Mme O..., soeur de l’intéressé et partie intervenante devant la cour d’appel, a sollicité la restitution de la somme de 28 600 euros saisie sur ses comptes bancaires et confisquée par le tribunal.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches et sur le quatrième moyen

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné M. O... à un emprisonnement délictuel de deux ans, prononcé une peine d’interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, gérer ou contrôler une entreprise pour une durée de cinq ans, confisqué les sommes saisies sur les comptes bancaires des proches du prévenu et omis de répondre à la demande de M. O... tendant à ce quelles soient attribuées à l’Urssaf alors « qu’il résulte de l’article 486 du code de procédure pénale auquel renvoie l’article 512 du même code que la minute de l’arrêt est signée par le président et le greffier, que l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 3 décembre 2019 duquel il ressort qu’un greffier a assisté aux débats et un autre au délibéré, cependant qu’il ne comporte que la signature de l’un d’entre eux, ne répond pas aux conditions de son existence légale. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des mentions de l’arrêt attaqué que le greffier assistant la cour d’appel était Mme S... lors des débats et Mme W... lors du prononcé de la décision.

8. Il s’en déduit que la signature figurant sur la minute est celle du greffier ayant assisté au prononcé de l’arrêt, seule requise selon les dispositions de l’article 486 du code de procédure pénale.

9. Par conséquent, le moyen doit être rejeté.

Mais sur le deuxième moyen pris en ses troisième et quatrième branches et sur le troisième moyen

Enoncé des moyens

10. Le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné M. O... à un emprisonnement délictuel de deux ans, prononcé une peine d’interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, gérer ou contrôler une entreprise pour une durée de cinq ans, confisqué sur les deux comptes Lyonnaise de banque (CIC) de Mme N... O..., la somme de 28 600 euros, sur ses comptes Crédit lyonnais, la somme de 41 600 euros et sur son PEL la somme de 35 500 euros, sur les deux comptes Société générale de K... O... , la somme de 23 090 euros et sur son PEL, la somme de 52 000 euros, sur le compte SMC et trois comptes Crédit lyonnais de M. J... O..., la somme de 31 600 euros, sur son PEL, la somme de 45 550 euros et sur son compte Crédit lyonnais, la somme de 12 000 euros, et ordonné la confiscation de la créance de 80 000 euros de M. C... O... à l’encontre de M. T... G..., alors :

« 3°/ qu’en ne procédant à aucune recherche d’individualisation de la peine complémentaire de confiscation, la cour d’appel a violé les articles 132-1 et 130-1 du code pénal, ensemble des articles 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ et ce d’autant plus que le produit de l’infraction de travail dissimulé ne représente que les cotisations éludées ; qu’en confisquant la totalité des revenus de l’activité non déclarée, la cour d’appel a privé le prévenu de revenus de son travail qui ne sont pas le produit de l’infraction au sens de l’article 131-21 du code pénal, et a porté atteinte au principe de proportionnalité au regard du droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention des droits de l’homme. »

11. Le troisième moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté la demande de restitution à Mme N... O... de la somme de 28 600 euros saisie sur les comptes bancaires LDD n° [...] et Livret A n°[...], et d’avoir confisqué cette somme, alors :

« 1°/ que l’annulation des peines de confiscation entraînera par voie de conséquence l’annulation du rejet de la demande de restitution du tiers détenteur des avoirs confisqués ;

2°/ d’autre part que lorsque le détenteur des fonds confisqués n’est pas le prévenu, il est présumé de bonne foi ; qu’en jugeant que la détentrice des avoirs confisqués ne rapportait pas la preuve que les fonds versés par le prévenu sur son compte bancaire avaient pour cause le remboursement d’un prêt, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve, et violé l’article 131-21 du code pénal, ensemble les articles 1353, 2274 et 2276 du code civil. »

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

13. Il résulte de ces textes qu’hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit ou l’objet de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine.

14. Il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s’être assuré de son caractère confiscable au regard des conditions légales, de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu.

15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour confirmer sans motifs propres les confiscations ordonnées par le tribunal correctionnel, l’arrêt attaqué adopte nécessairement les motifs des premiers juges, qui prennent en compte, d’une part, le montant total des sommes créditées sur les comptes bancaires du prévenu, d’autre part, le fait que le produit de la vente d’un immeuble financé par les revenus de l’activité non déclarée a été immédiatement réparti par l’intéressé sur les comptes de ses enfants et de sa soeur.

17. Par ailleurs, pour refuser la demande de restitution présentée par Mme O... des sommes d’argent saisies sur ses comptes bancaires, les juges énoncent que ces fonds proviennent de l’infraction de blanchiment du délit de travail dissimulé et qu’il n’est pas établi qu’ils correspondent, ainsi que la demanderesse l’allègue, au remboursement d’un prêt qu’elle aurait antérieurement consenti au prévenu.

18. En statuant ainsi, a cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

19. En effet, en laissant le fondement des confiscations prononcées indéterminé, elle n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de s’assurer que les exigences de motivation rappelées ci-dessus ont été respectées.

20. De surcroît, dans le cas où la confiscation prononcée porterait sur le produit de l’infraction de travail dissimulé, seul le montant des cotisations éludées pourrait être pris en compte.

21. Enfin, en retenant que Mme O... n’avait pas justifié de l’origine des sommes versées sur ses comptes, les juges, qui n’ont pas établi que l’intéressée ait eu connaissance de leur origine frauduleuse, ont inversé la charge de la preuve.

22. La cassation est par conséquent encourue de ces chefs.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation sera limitée aux mesures de confiscation à l’égard de M. O... confirmées par la cour d’appel et au refus de restitution de la somme saisie sur les comptes de Mme O..., les autres dispositions de l’arrêt n’encourant pas la censure.

Examen de la demande fondée sur l’article 618-1 du code de procédure pénale

24. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu’il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de M. O... étant devenue définitive par suite du rejet du premier moyen, il y a lieu de faire partiellement droit aux demandes formées à ce titre.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 3 décembre 2019, mais en ses seules dispositions ayant confirmé les mesures de confiscation prononcées par les premiers juges et celles relatives au rejet de la demande de restitution présentée par Mme O... toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. O... devra payer à l’URSSAF PACA en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale à l’encontre de Mme [...] ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize mars deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR00315