Confiscation : proportionnalité non établie et justifiée
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 mars 2022
N° de pourvoi : 21-84.056
ECLI:FR:CCASS:2022:CR00328
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle
Audience publique du mardi 22 mars 2022
Décision attaquée : Cour d’appel de Bastia, du 09 septembre 2020
Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Spinosi
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° Z 21-84.056 F-D
N° 00328
MAS2
22 MARS 2022
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MARS 2022
Mme [P] [Z] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 9 septembre 2020, qui, pour travail dissimulé en récidive et blanchiment, l’a condamnée à un an d’emprisonnement avec sursis, et a ordonné une mesure de confiscation.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [P] [Z], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 février 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l’issue d’une information judiciaire, Mme [P] [Z], qui exploitait une entreprise individuelle de bar de nuit, a été renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé par dissimulation d’activité en récidive, travail dissimulé par dissimulation de salariés en récidive, blanchiment.
3. Par jugement en date du 27 mars 2018, le tribunal correctionnel a déclaré la prévenue coupable des faits précités, l’a condamnée à un an d’emprisonnement avec sursis et a ordonné une mesure de confiscation.
4. Mme [Z] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième et cinquième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a ordonné les confiscations suivantes : les sommes saisies de 15 900,00 dollars et de 4 130,00 euros, le véhicule Porsche Panamera d’une valeur de 40 056,46 euros, le compte monégasque détenu par Mme [Z] pour une valeur de 552 654,44 euros, l’appartement sis [Adresse 2] d’une valeur de 120 000,00 euros, et la police d’assurance-vie pour une valeur de 293 624,21 euros, alors :
« 1°/ que le juge qui prononce la confiscation de l’instrument de l’infraction doit, si la garantie est invoquée devant lui, rechercher si cette mesure ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du prévenu au respect de ses biens ; qu’en refusant de rechercher si la confiscation du bien immobilier de Mme [Z], dont elle a jugé qu’il avait été l’instrument de l’infraction, ne portait pas une telle atteinte disproportionnée à son droit de propriété, la cour d’appel, devant qui l’existence de cette atteinte était pourtant invoquée, a violé l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme ;
2°/ que le juge national doit veiller à une application concrète et réelle, et non illusoire, des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et par ses Protocoles additionnels ; qu’en se bornant à énoncer, de façon péremptoire, et sans procéder à aucun examen concret qu’au regard des éléments de personnalité, de la gravité des infractions et de l’importance des sommes qui auraient été soustraites à la solidarité nationale, l’atteinte portée au droit de propriété de Mme [Z] par les mesures de confiscation de son véhicule, de son compte monégasque et de sa police d’assurance-vie, « apparaît nécessaire et proportionnée, le montant des confiscations demeurant encore inférieur au profit retiré », la cour d’appel a, derechef, violé ce même texte ;
3°/ que le produit généré par l’infraction de travail dissimulé est une économie ; qu’en confondant les recettes encaissées avec les droits et cotisations éludés et en retenant que les premières constituaient le produit de l’infraction, la cour d’appel a violé l’article 131-21 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et 593 du code de procédure pénale :
7. Il résulte du premier de ces textes, qu’hormis le cas où la confiscation porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit ou l’objet de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine.
8. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour ordonner la confiscation, à titre de peine complémentaire, de l’immeuble sis à [Adresse 2] dont la prévenue est propriétaire, l’arrêt retient, par motifs substitués, qu’il a servi à la commission de l’infraction de travail dissimulé puisqu’il permettait de loger les salariées non déclarées.
10. S’agissant du véhicule Porsche Panamera, propriété de la prévenue, des avoirs dont elle dispose sur un compte monégasque ainsi que des fonds déposés sur un contrat d’assurance-vie [1], les juges, pour ordonner leur confiscation, sur le fondement de l’article 324-7, 12°, du code pénal, énoncent qu’au regard des éléments de personnalité, de la gravité des infractions et de l’importance des sommes qui ont été soustraites à la solidarité nationale, de l’ordre de 950 000 euros, l’atteinte portée à son droit de propriété par la mesure de confiscation apparaît nécessaire et proportionnée, le montant des confiscations demeurant encore inférieur au profit retiré.
11. En prononçant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
12. En effet, d’une part, la cour d’appel a omis de s’expliquer sur la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété de la prévenue par la mesure de confiscation de son logement alors que celle-ci invoquait dans ses conclusions une telle garantie.
13. D’autre part, le profit du délit de travail dissimulé correspond à la seule économie réalisée par la fraude et non aux montant des recettes dissimulées.
14. Il s’ensuit que la cour d’appel ne pouvait retenir, sans mieux s’en expliquer, comme élément d’appréciation de la proportionnalité des peines de confiscation, que leur montant d’environ 886 000 euros, était inférieur au profit retiré, alors qu’elle estimait les recettes non déclarées à 950 000 euros.
15. Il s’ensuit que la cassation est encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation sera limitée aux peines de confiscation de l’immeuble sis [Adresse 2], du véhicule Porsche Panamea, des sommes figurant sur le compte monégasque détenu par la prévenue ainsi que sur son contrat d’assurance-vie, dès lors que la déclaration de culpabilité et les autres peines prononcées n’encourent pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Bastia, en date du 9 septembre 2020, mais en ses seules dispositions ayant ordonné la confiscation de l’immeuble sis [Adresse 2], du véhicule Porsche Panamera, propriété de la prévenue, des avoirs dont elle dispose sur un compte monégasque ainsi que des fonds déposés sur un contrat d’assurance-vie [1], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mars deux mille vingt-deux.ECLI:FR:CCASS:2022:CR00328