Audition consentie obligatoire

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 9 décembre 2021, 20-13.498, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 2

N° de pourvoi : 20-13.498
ECLI:FR:CCASS:2021:C201201
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du jeudi 09 décembre 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes, du 18 décembre 2019

Président
M. Pireyre (président)
Avocat(s)
SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

CIV. 2

CM

COUR DE CASSATION


Audience publique du 9 décembre 2021

Rejet

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1201 F-D

Pourvoi n° K 20-13.498

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 DÉCEMBRE 2021

L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de [Localité 2], dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° K 20-13.498 contre l’arrêt rendu le 18 décembre 2019 par la cour d’appel de Rennes (9e chambre, sécurité sociale), dans le litige l’opposant à la société [3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de [Localité 2], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [3], et l’avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 21 octobre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 18 décembre 2019), à la suite d’un contrôle en vue de la recherche des infractions de travail dissimulé, l’URSSAF de [Localité 2] (l’URSSAF) a adressé à la société [3] (la société) une lettre d’observations du 18 août 2014, portant sur les années 2010 à 2013, suivie d’une mise en demeure du 15 décembre 2014.

2. La société a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L’URSSAF fait grief à l’arrêt d’annuler le redressement, alors :

« 1°/ que si les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues, ce consentement peut être prouvé par tout moyen ; qu’en annulant le redressement litigieux au seul prétexte que le procès-verbal d’audition de M. [V] ne comportait aucune mention relative au recueil préalable de son consentement à son audition, lorsqu’à la date du contrôle, aucun texte n’exigeait que ce consentement soit mentionné dans le procès-verbal d’audition, ledit consentement pouvant être établi par tout moyen, la cour d’appel a violé l’article L. 8271-6-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige ;

2°/ que si les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues, ce consentement peut être prouvé par tout moyen ; qu’en annulant le redressement litigieux au seul prétexte que le procès-verbal d’audition de M. [V] ne comportait aucune mention relative au recueil préalable de son consentement à son audition, même si sa signature y figure, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la preuve de son consentement ne résultait pas de ce qu’il avait été invité sans contrainte par l’URSSAF à se rendre à un entretien dans ses locaux pour y être auditionné et qu’il avait librement consenti à s’y rendre et à répondre aux questions posées, puis accepté de signer ledit procès-verbal d’audition, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8271-6-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige ;

3°/ qu’un procès-verbal d’audition irrégulier ne saurait entraîner la nullité du redressement pour travail illégal en présence d’autres éléments démontrant la réalité des faits reprochés ; qu’en l’espèce, l’URSSAF faisait valoir que les constatations matérielles effectuées par les inspecteurs assermentés suffisaient à caractériser le travail dissimulé et que le redressement litigieux n’était pas fondé sur le procès-verbal d’audition contesté ; que dans sa lettre d’observations du 18 août 2014, elle avait souligné que M. [V] était un ancien salarié de la société ayant liquidé ses droits à retraite et poursuivant son activité dans les mêmes conditions qu’antérieurement à compter du 1er avril 2010 en qualité de travailleur indépendant, que son contrat de prestation conclu avec la société prévoyait 200 jours de travail par an pour la société à compter du 1er avril 2010 et 130 jours à compter du 1er avril 2012, que M. [V] ne supportait aucun risque économique mais était payé forfaitairement à la journée travaillée, que la société prenait en charge les frais engagés dans le cadre de son activité et mettait à sa disposition un ordinateur, un téléphone et un bureau, que M. [V] travaillait dans un lien de subordination juridique et était intégré à un service organisé ; qu’en se fondant uniquement sur l’irrégularité du procès-verbal d’audition du dirigeant de la société pour annuler la procédure de contrôle pour travail dissimulé sans rechercher si le redressement litigieux n’était pas suffisamment, et même exclusivement, fondé sur les autres éléments invoqués par l’URSSAF, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail, ensemble les articles L. 133-4-2, L. 242-1, R. 133-8, R. 133-8-1 et D. 133-1 du code de la sécurité sociale ;

4°/ que toute décision doit être motivée ; que ne constitue pas un motif une affirmation d’ordre général ne faisant que reprendre le dispositif sous une autre forme ; qu’en se bornant à affirmer que les pièces de la procédure ne sont pas suffisantes pour permettre de justifier le redressement effectué, la cour d’appel a privé sa décision de motifs et violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Selon l’article L. 8271-6-1 du code du travail, les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues.

5. L’arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir constaté que la lettre d’observations aussi bien que la convocation de M. [V] faisaient référence aux dispositions des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail, retient que le procès-verbal d’audition de l’intéressé, signé par les deux inspecteurs de recouvrement, ne comportait aucune mention relative au recueil préalable de son consentement, même si sa signature y figure.

6. De ces constatations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve débattus par les parties, la cour d’appel a retenu à bon droit, par une décision motivée, qu’en l’absence de preuve du consentement de la personne entendue, le contrôle était irrégulier, ce dont il résultait que le redressement qui en était la suite devait être annulé.

7. Le moyen n’est, dès lors pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l’URSSAF de [Localité 2] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l’URSSAF de [Localité 2] et la condamne à payer à la société [3] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de [Localité 2]

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest du 1er février 2017 en ce qu’il a annulé le redressement, d’AVOIR dit que le redressement annulé concerne la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013, d’AVOIR dit n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, d’AVOIR condamné l’URSSAF de [Localité 2] aux dépens exposés postérieurement au 31 décembre 2018,

AUX MOTIFS QUE : « Sur le respect de la procédure en matière d’auditions : L’Urssaf s’est inscrit, à partir de la révélation des faits relatifs au travail dissimulé et postérieurement à l’envoi de la première lettre d’observations, dans le cadre légal des articles L.8221-1 du code du travail et non plus dans celui du contrôle d’assiette comptable. L’audition de M. [V] entre dès lors dans le cadre spécifique des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail puisque réalisée après la clôture de la procédure de vérification d’assiette comptable. D’ailleurs, la lettre d’observations porte mention en son en-tête comme objet du contrôle réalisé « Recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées aux articles L. 8221-1 du code du travail ». M. [V] a été entendu le 29 novembre 2013 dans les locaux de l’Urssaf. Or, l’article L. 8271-6-1 du code du travail, dans sa version applicable issue de la loi du 16 juin 2011, dispose que « les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature. De même, ils peuvent entendre toute personne susceptible de fournir des informations utiles à l’accomplissement de leur mission de lutte contre le travail illégal. Ces auditions peuvent faire l’objet d’un procès-verbal signé des agents mentionnés au premier alinéa et des personnes entendues ». Force est de constater que le procès-verbal d’audition de M. [V], signé par les deux inspecteurs de recouvrement, ne comporte aucune mention relative au recueil préalable du consentement de celui-ci à son audition, même si sa signature y figure. La société a donc été privée d’une garantie de fond qui a vicié le procès-verbal des agents de contrôle et le redressement fondé sur leurs constatations. Par conséquent, le redressement résultant de la lettre d’observations du 18 août 2014 et de la mise en demeure du 15 décembre 2014 sera annulé. Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la période de redressement considérée qui s’étend du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013 »,

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « [?], la lettre d’observations en date du 31 octobre 2013 aussi bien que la convocation de M. [M] [V] en date du 31 octobre 2013 font expressément référence aux dispositions des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail relatifs au travail dissimulé, mais sans que soit rapportée la preuve que l’intéressé aurait donné son consentement lors de l’audition du 29 novembre 2013 [?] l’URSSAF [Localité 2] a, en toute hypothèse, conduit une procédure de manière irrégulière sur le plan formel sachant que les autres pièces de la procédure ne sont pas suffisantes pour permettre de justifier le redressement effectué de telle sorte que c’est à bon droit que la société [3] invoque le non-respect de la procédure de contrôle et sollicite l’annulation de la procédure de redressement dans son ensemble »,

1/ ALORS QUE si les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues, ce consentement peut être prouvé par tout moyen ; qu’en annulant le redressement litigieux au seul prétexte que le procès-verbal d’audition de M. [V] ne comportait aucune mention relative au recueil préalable de son consentement à son audition, lorsqu’à la date du contrôle, aucun texte n’exigeait que ce consentement soit mentionné dans le procès-verbal d’audition, ledit consentement pouvant être établi par tout moyen, la cour d’appel a violé l’article L. 8271-6-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige,

2/ ALORS QUE si les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues, ce consentement peut être prouvé par tout moyen ; qu’en annulant le redressement litigieux au seul prétexte que le procès-verbal d’audition de M. [V] ne comportait aucune mention relative au recueil préalable de son consentement à son audition, même si sa signature y figure, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la preuve de son consentement ne résultait pas de ce qu’il avait été invité sans contrainte par l’URSSAF à se rendre à un entretien dans ses locaux pour y être auditionné et qu’il avait librement consenti à s’y rendre et à répondre aux questions posées, puis accepté de signer ledit procès-verbal d’audition, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8271-6-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige,

3/ ALORS QU’un procès-verbal d’audition irrégulier ne saurait entraîner la nullité du redressement pour travail illégal en présence d’autres éléments démontrant la réalité des faits reprochés ; qu’en l’espèce, l’URSSAF faisait valoir que les constatations matérielles effectuées par les inspecteurs assermentés suffisaient à caractériser le travail dissimulé et que le redressement litigieux n’était pas fondé sur le procès-verbal d’audition contesté ; que dans sa lettre d’observations du 18 août 2014, elle avait souligné que M. [V] était un ancien salarié de la société [3] ayant liquidé ses droits à retraite et poursuivant son activité dans les mêmes conditions qu’antérieurement à compter du 1er avril 2010 en qualité de travailleur indépendant, que son contrat de prestation conclu avec la société [3] prévoyait 200 jours de travail par an pour la société [3] à compter du 1er avril 2010 et 130 jours à compter du 1er avril 2012, que M. [V] ne supportait aucun risque économique mais était payé forfaitairement à la journée travaillée, que la société prenait en charge les frais engagés dans le cadre de son activité et mettait à sa disposition un ordinateur, un téléphone et un bureau, que M. [V] travaillait dans un lien de subordination juridique et était intégré à un service organisé ; qu’en se fondant uniquement sur l’irrégularité du procès-verbal d’audition du dirigeant de la société pour annuler la procédure de contrôle pour travail dissimulé sans rechercher si le redressement litigieux n’était pas suffisamment, et même exclusivement, fondé sur les autres éléments invoqués par l’URSSAF, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail, ensemble les articles L. 133-4-2, L. 242-1, R. 133-8, R. 133-8-1 et D. 133-1 du code de la sécurité sociale,

4/ ALORS QUE toute décision doit être motivée ; que ne constitue pas un motif une affirmation d’ordre général ne faisant que reprendre le dispositif sous une autre forme ; qu’en se bornant à affirmer que les pièces de la procédure ne sont pas suffisantes pour permettre de justifier le redressement effectué, (cf. jugement p. 3 dernier §), la Cour d’appel a privé sa décision de motifs et violé l’article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:C201201