Saisies conservatoires fiscales en relation avec un établissement stable

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 6 septembre 2018

N° de pourvoi : 17-16187

ECLI:FR:CCASS:2018:C201044

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Flise (président), président

SCP Foussard et Froger, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 2 février 2017), que par une ordonnance du 5 juin 2015, un juge de l’exécution a autorisé le comptable, responsable du service des impôts des entreprises de Lyon Est (le comptable public) à procéder à des saisies conservatoires sur les créances détenues par la société Missao Especial Trabalho Temporario LDA (la société) entre les mains de ses sociétés clientes pour garantie du paiement d’une somme due au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; que la société a saisi un juge de l’exécution d’une demande de nullité et de mainlevée de ces saisies conservatoires ;

Attendu que la société fait grief à l’arrêt de juger régulières et fondées les saisies conservatoires pratiquées par le comptable public entre les mains de ses sociétés clientes et de la débouter de sa demande de nullité et de mainlevée de ces saisies conservatoires, alors, selon le moyen :

1°/ que seule une personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ; qu’en l’espèce, le comptable public se bornait à affirmer que le siège de la société Missao au Portugal était fictif, de sorte qu’il y avait lieu de retenir un établissement stable en France, la TVA devant alors être déclarée et payée en France ; qu’elle invoquait de nombreux documents dont il résultait que son siège social au Portugal était réel : extrait K Bis, licence d’agence de travail temporaire, contrats de bail des locaux occupés, fiches de paie du personnel employé, garantie bancaire pour l’activité, factures de téléphone et d’électricité, attestations de la sécurité sociale portugaise établissant les cotisations acquittées, factures de matériel informatique et d’interventions techniques ; qu’en se bornant néanmoins à affirmer que le débat instauré par elle sur son siège social était étranger au litige et relevait du contentieux de fond de l’impôt, de la compétence du juge administratif, tandis qu’elle devait rechercher si la créance du comptable public paraissait fondée en son principe, ce qui impliquait de déterminer, pour les seuls besoins de la procédure d’exécution, si elle avait ou non son siège social au Portugal au regard des circonstances invoquées par cette société à cet effet, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;

2°/ qu’elle exposait que le comptable public ne justifiait pas, comme il le devait, d’une créance paraissant fondée en son principe puisqu’il admettait qu’elle n’avait pas collecté la TVA, tandis que les sociétés clientes qui étaient assujetties à la TVA l’avaient collectée et l’avaient reversée ; qu’il s’en évinçait que la TVA facturée par les entreprises clientes avait été payée, de sorte qu’il n’existait aucune fraude et aucune créance dont pouvait se prévaloir le comptable public ; que la cour d’appel, pour rejeter la demande de mainlevée des saisies conservatoires, s’est bornée à énoncer qu’elle procédait par voie de simple affirmation, ne communiquant pas d’éléments permettant de corroborer ses allégations quant à ces déclarations de TVA ; qu’en statuant ainsi, tandis qu’elle rappelait de façon objective, sans être contredite, les dispositions légales relatives au système d’autoliquidation de la TVA applicable en France dont il résultait que le comptable public ne pouvait se prévaloir d’aucune créance, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants relatifs à la preuve des déclarations de TVA des sociétés clientes qu’il était inutile de rapporter, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;

3°/ qu’enfin, la cour d’appel, pour rejeter la demande de mainlevée des saisies, a relevé qu’elle ne possédait pas en France de biens immobiliers et de comptes bancaires, que la créance était élevée et que la société n’avait pas donné d’information sur ses comptes bancaires portugais ; qu’en statuant par de tels motifs impropres à caractériser une menace pour le recouvrement de la créance, aucun risque d’insolvabilité, d’insuffisance de garantie ou de silence face à une demande du comptable public n’étant justifiée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;

Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel a exactement retenu que la question soulevée par la société sur le siège social et l’absence d’établissement stable, qui concernait la territorialité de la TVA, constituait une contestation sur le fond du droit étrangère à l’appréciation de l’existence d’une créance fondée dans son principe ;

Et attendu, ensuite, que l’arrêt ayant retenu que le principe d’une créance existait lors de la présentation de la requête, la société réalisant sur le territoire français une activité commerciale de travail temporaire dont le chiffre d’affaires était soumis à la TVA, sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes pour la période de janvier 2010 à mars 2015, le moyen sous couvert d’un défaut de base légale ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par la cour d’appel d’une apparence de créance fondée en son principe ;

Et attendu, enfin, qu’ayant relevé que la société ne possédait pas en France de biens immobiliers, ni de comptes bancaires susceptibles de garantir le paiement et qu’elle ne communiquait aucune information sur les comptes bancaires dont elle aurait disposé au Portugal, la cour d’appel en a déduit, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que le comptable public justifiait de menaces susceptibles de peser sur le recouvrement ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Missao Especial Trabalho Temporario LDA aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six septembre deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Missao Especial Trabalho Temporario LDA.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir jugé régulières en la forme et fondées les saisies conservatoires pratiquées le 12 juin 2015 par le comptable des impôts du service des impôts entreprises de Lyon Est entre les mains de la société Entreprise Générale de maçonnerie et béton armée Bertoni, de la société Entreprise Valentin, de la société Bonna Sabla, de la société Ajebat et de la société Régionale de Construction, saisies dénoncées le 18 juin 2015 à la société Missao Especial et d’avoir débouté la société Missao Especial de sa demande de nullité/mainlevée des saisies conservatoires ;

Aux motifs propres que le jugement entrepris sera d’ores et déjà confirmé en ce qu’il a rejeté le moyen de nullité de la saisie conservatoire fondé sur la signification de l’acte de saisie au domicile français du gérant de la société Missao, ce point n’étant pas remis en cause devant la cour ; que selon l’article L 511-1 du code des procédures civiles d’exécution toute personne dont la créance paraît fondée dans son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ; qu’il incombe au créancier de prouver que les conditions ainsi requises sont réunies ; que la cour doit uniquement apprécier, au stade de sa saisine en tant que juge d’appel d’une décision du juge de l’exécution, l’existence d’une créance paraissant fondée dans son principe, le fond du droit n’ayant pas lieu d’être tranché lorsque se trouve en cause une mesure conservatoire ; qu’elle est tenue, par ailleurs, d’apprécier les éléments de la cause existant au moment où elle statue lorsqu’elle vérifie l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance ; que le débat instauré par la société Missao sur le siège social et l’absence d’établissement stable qui touche à la question de la territorialité de la TVA et donc au contentieux de l’assiette de l’impôt, s’avère être étranger au présent litige, comme relevant du débat de fond, à savoir le bien-fondé de la créance de TVA dont l’appréciation relève, en tout état de cause, de la compétence du juge administratif et non pas de celle du juge de l’exécution ; que le comptable du RSI Lyon Est justifie d’un contrôle fiscal initié à l’encontre de la société Missao par l’envoi d’un avis de vérification de comptabilité le 3 juillet 2015, notifié par courrier recommandé avec accusé de réception du 4 juillet suivant ; que ce contrôle a été motivé par le fait que la société Missao réalisait sur le territoire français une activité commerciale de travail temporaire dont le chiffre d’affaires était soumis à la TVA, sans manifestement souscrire les déclarations fiscales correspondantes pour la période de janvier 2010 à mars 2015, la dette de TVA ayant été évaluée à 1 026 138 euros ; qu’il est indifférent qu’aucun avis de mise en recouvrement ou proposition de rectification n’a été émis par le comptable du SIE Lyon Est, la saisie conservatoire supposant exclusivement l’existence d’une créance apparente, et aucunement une créance certaine et liquide ; qu’il appartiendra à la société Missao de contester en temps utile, devant les instances compétentes le principe de la créance de TVA après notification des actes de poursuites, la contestation élevée dans le cadre de la présente instance n’étant pas de nature à faire obstacle à la saisie conservatoire ; qu’enfin la société Missao soutient que conformément au système d’auto liquidation mis en place par la directive TVA, il appartenait à ses clients français de déclarer eux-mêmes la TVA afférente aux prestations qu’elle leur fournissait ; que cependant elle procède par voie d’affirmation, en ce qu’elle ne communique pas le moindre élément permettant de corroborer ses allégations quant à ces déclarations de TVA que cette constatation ne saurait inverser la charge de la preuve qui incombe au créancier quant à l’existence d’une créance paraissant fondée dans son principe, alors même que toute partie au litige est tenue de rapporter la preuve du bien-fondé des moyens de défense qu’elle oppose ; qu’ensuite le comptable du SIE de Lyon Est justifie de circonstances de nature à menacer le recouvrement de cette créance paraissant fondée en son principe en ce que - la société Missao ne possède pas en France de biens immobiliers, ni de comptes bancaires susceptibles de garantir le paiement de cette créance apparente dont le montant est élevé (1 026 138 euros) ; que les sommes saisies à titre conservatoire sont très inférieures à ce montant (381 435,37 euros) ; que la société Missao ne communique aucune information sur les comptes bancaires qu’elle indique disposer au Portugal et sur lesquels pourrait s’exercer l’action en recouvrement de l’État français conformément à la convention d’assistance signée entre la France et le Portugal le 14 janvier 1971 ; que le jugement déféré doit être en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la société Missao de sa demande de nullité/mainlevée des cinq saisies conservatoires pratiquées par le comptable du SIE de Lyon Est le 12 juin 2015, en disant lesdites saisies régulières en la forme et fondées, comme apparaissant justifiées en raison des menaces pesant sur le recouvrement de la créance de TVA qui paraît fondée en son principe (arrêt, pp. 5 et 6) ;

Et aux motifs adoptés qu’il résulte des dispositions de l’article L 511-1 du code des procédures civiles d’exécution que : “toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut sollicite du juge de l’exécution l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur ; sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement ; que la mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire” ; que l’article L 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose pour sa part que : “une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire ; il en est de même en cas de défaut de paiement d’une lettre de change acceptée ; d’un billet à ordre, d’un chèque ou d’un loyer resté impayé dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit de louage d’immeubles » ; que même en ce dernier cas la mesure conservatoire demeure soumise aux conditions des articles précités et suppose une créance fondée en son principe et des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ; qu’en l’espèce, les saisies conservatoires ont été pratiquées sur la base de l’ordonnance du juge de l’exécution du 5 juin 2015 et dénoncées au domicile du gérant de la société Missao Especial, conformément aux dispositions de l’article 654 du code de procédure civile ; qu’il a déjà été jugé que la signification à une personne morale est réputée à personne lorsque l’acte est délivré notamment à son représentant légal ; que si celui-ci est domicilié en France alors même que le siège social de la société qu’il représente est à l’étranger, il n’y a pas lieu à signification à parquet ; qu’a tout le moins la société Missao Especial ne justifie d’aucun grief comme ayant pu exercer un recours à rencontre de la saisie conservatoire ; que le premier moyen de nullité sera en conséquence rejeté ; que le juge de l’exécution n’est pas le juge de l’impôt et ne saurait remettre en cause le principe de séparation des pouvoirs en statuant sur le bien-fondé de la créance du Trésor public ; que ce dernier est en droit de se prévaloir de la mise en oeuvre d’une procédure de contrôle fiscal qui a débuté par l’envoi d’un avis de vérification de comptabilité le 3 juillet 2015 et par sa notification par lettre recommandée AR du 4 juillet 2015 ; que les éléments soutenus par le comptable des impôts du service des impôts des entreprises de Lyon Est à l’appui de sa requête devant le juge de l’exécution sont suffisamment développés et précis pour justifier de l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe ; que de même, les menaces de recouvrement de la créance sont avérées, compte tenu du fait que la société Missao Especial ne dispose pas de biens immobiliers ou d’un compte bancaire en France et que la créance e été évaluée à la somme de 1 026 138 euros ; que la demande de nullité/mainlevée des saisies conservatoires de la société Missao Especial sera en conséquence rejetée ; que la société Missao Especial qui succombe sera condamnée aux dépens de l’instance

1°) Alors que seule une personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement ; qu’en l’espèce, le comptable du SIE se bornait à affirmer que le siège de la société Missao au Portugal était fictif, de sorte qu’il y avait lieu de retenir un établissement stable en France, la TVA devant alors être déclarée et payée en France (concl. adv, p. 3) ; que la société Missao invoquait de nombreux documents dont il résultait que son siège social au Portugal était réel : extrait K Bis, licence d’agence de travail temporaire, contrats de bail des locaux occupés, fiches de paie du personnel employé, garantie bancaire pour l’activité, factures de téléphone et d’électricité, attestations de la sécurité sociale portugaise établissant les cotisations acquittées, factures de matériel informatique et d’interventions techniques (concl. p. 8 et 9) ; qu’en se bornant néanmoins à affirmer que le débat instauré par la société Missao sur son siège social était étranger au litige et relevait du contentieux de fond de l’impôt, de la compétence du juge administratif, tandis qu’elle devait rechercher si la créance du comptable du SIE paraissait fondée en son principe, ce qui impliquait de déterminer, pour les seuls besoins de la procédure d’exécution, si la société Missao avait ou non son siège social au Portugal au regard des circonstances invoquées par cette société à cet effet, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;

2°) Alors que, en outre, la société Missao exposait que le comptable du SIE ne justifiait pas, comme il le devait, d’une créance paraissant fondée en son principe puisqu’il admettait que la société Missao n’avait pas collecté la TVA, tandis que les sociétés clientes qui étaient assujetties à la TVA l’avaient collectée et l’avaient reversée (concl. p. 5 et 6) ; qu’il s’en évinçait que la TVA facturée par les entreprises clientes avait été payée, de sorte qu’il n’existait aucune fraude et aucune créance dont pouvait se prévaloir le comptable du SIE ; que la cour d’appel, pour rejeter la demande de mainlevée des saisies conservatoires, s’est bornée à énoncer que la société Missao procédait par voie de simple affirmation, ne communiquant pas d’éléments permettant de corroborer ses allégations quant à ces déclarations de TVA (arrêt, p. 5 avant dernier §) ; qu’en statuant ainsi, tandis que la société Missao rappelait de façon objective, sans être contredite, les dispositions légales relatives au système d’autoliquidation de la TVA applicable en France dont il résultait que le comptable du SIE ne pouvait se prévaloir d’aucune créance, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants relatifs à la preuve des déclarations de TVA des sociétés clientes qu’il était inutile de rapporter, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;

3°) Alors que, enfin, la cour d’appel, pour rejeter la demande de mainlevée des saisies, a relevé que la société Missao ne possédait pas en France de biens immobiliers et de comptes bancaires, que la créance était élevée et que la société n’avait pas donné d’information sur ses comptes bancaires portugais (arrêt, p. 6 § 2) ; qu’en statuant par de tels motifs impropres à caractériser une menace pour le recouvrement de la créance, aucun risque d’insolvabilité, d’insuffisance de garantie ou de silence face à une demande du comptable du SIE n’étant justifiée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution.

Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon , du 2 février 2017