Preuve contraire incombant à l’employeur

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 11 octobre 2018

N° de pourvoi : 17-25673

ECLI:FR:CCASS:2018:C201293

Non publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Flise (président), président

SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, qu’à la suite d’un constat de travail dissimulé effectué par la Gendarmerie nationale, la caisse de mutualité sociale agricole Beauce Coeur de Loire (la caisse) a notifié, le 19 octobre 2011, à la société Des Avenages (la société), gérée par M. X..., une lettre d’observations comportant un redressement de cotisations en raison de la dissimulation de quatre emplois salariés, pour la période comprise entre le 1er janvier 2007 et le 4 mars 2010, suivie, le 20 décembre 2011, d’une mise en demeure ; qu’une contrainte lui ayant été décernée le 28 mars 2012, la société a formé opposition devant une juridiction de sécurité sociale ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article L. 725-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige, et l’article 1315, devenu l’article 1353, du code civil ;

Attendu que pour accueillir le recours de la société et confirmer le jugement qui lui était déféré en ce qu’il a retenu le travail dissimulé pour certains salariés, l’arrêt relève qu’il résulte de la procédure diligentée par les militaires de la brigade de gendarmerie de Dreux et, plus particulièrement, de leurs constatations, que M. F... Y..., Mme Z..., Mme A..., M. B... et M. C... se trouvaient tous en action de travail dans la cour de l’exploitation agricole dirigée par M. X... en son nom propre, sur laquelle se trouve un hangar où sont stockées les pommes de terre et céréales commercialisées par la société ; qu’il est précisé que quatre de ces personnes sont en situation irrégulière sur le territoire national et que M. X... ne peut fournir les titres de travail les autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu’il convient de distinguer le travail du personnel qui relève de M. X..., employeur en son nom propre, de celui qui relève de la société ; que seuls M. F... Y... et M. C... étaient déclarés à la caisse et inscrits sur le registre du personnel de la société ; que les éléments produits par la caisse ne permettent pas de déterminer, pour certaines des autres personnes, si elles étaient employées par M. X... lui-même ou par la société ; que si Mme A..., qui a déclaré qu’elle travaillait au conditionnement des pommes de terre, peut être considérée comme ayant été employée par la société, le doute persiste concernant Mme Z..., dès lors que celle-ci a été vue occupée près d’une caisse en bois vide, sans autre précision ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombe à l’opposant à contrainte de rapporter la preuve du caractère infondé du redressement de cotisations, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;

Attendu que pour accueillir le recours de la société et invalider la contrainte, l’arrêt relève que si le travail dissimulé est constitué pour trois personnes, soit M. F... Y..., M. C... et Mme A..., la caisse, qui produit des tableaux très détaillés des sommes dues, période par période, cotisation par cotisation, n’a pas ventilé les sommes dues salarié par salarié ; qu’il est impossible de déterminer quelles sommes resteraient dues pour les trois salariés retenus au titre du travail dissimulé ;

Qu’en statuant ainsi, alors que les tableaux produits par la caisse étaient établis individuellement pour chaque salarié concerné par la dissimulation d’emploi, la cour d’appel a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a débouté la société Des Avenages de sa demande en dommages-intérêts, l’arrêt rendu le 6 juillet 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Des Avenages aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Des Avenages à payer à la caisse de mutualité sociale agricole Beauce Coeur de Loire la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la caisse de mutualité sociale agricole Beauce Coeur de Loire.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir invalidé la contrainte décernée par un organisme social (la mutualité sociale agricole Beauce Coeur de Loire, l’exposante) à un cotisant (la société des Avenages) et de l’avoir débouté de l’ensemble de ses demandes en paiement des cotisations et majorations de retard ;

AUX MOTIFS QUE, abstraction faite des procès-verbaux annulés, il résultait de la procédure diligentée par les militaires de la brigade de gendarmerie de Dreux et, plus particulièrement, de leurs constatations que M. F... Y..., Mme Z..., Mme A..., M. B... et M. C... se trouvaient tous en action de travail dans la cour de l’exploitation agricole dirigée par M. X... en son nom propre sur laquelle se trouvait également un hangar où étaient stockées les pommes de terre et céréales commercialisées par la société des Avenages ; qu’il était précisé que quatre de ces personnes étaient en situation irrégulière sur le territoire national et que M. X... ne pouvait fournir les titres de travail autorisant ces personnes à exercer une activité salariée en France ; que, interrogée par les enquêteurs de la gendarmerie, la MSA leur faisait savoir, le 12 mars 2010, que M. B... et Mme Z... étaient inconnus de leurs services, que M. C... était déclaré par la société des Avenages depuis le 15 janvier 2008, que M. F... Y... avait été déclaré par la société des Avenages du 20 mars au 31 octobre 2007 et du 2 janvier au 30 septembre 2008, puis par M. X..., depuis le 1er octobre 2008 ; que, comme le tribunal l’avait observé très pertinemment, il fallait distinguer le travail du personnel qui relevait de M. X..., employeur en son nom personnel, de celui qui relevait de la société des Avenages ; que la MSA produisait les déclarations de salaires renseignées par la société des Avenages pour les années 2008, 2009 et 2010 (pièces 22,23 et 24) et le registre unique du personnel de la sociétés des Avenages, qui confirmaient les éléments fournis aux enquêteurs, tels que rappelés ci-dessus ; qu’il résultait des constatations des militaires de la gendarmerie ayant effectué le contrôle que M. F... Y... figurait sur le registre du personnel de la société des Avenages et était déclaré à la MSA ; qu’il avait déclaré travailler six jours par semaine, huit heures par jour, soit, comme l’avait noté le tribunal, 48 heures par semaine ; que Mme Z... (qui aurait travaillé aussi sous l’identité de Mme D...) ne figurait pas sur le registre du personnel et n’était pas déclarée à la MSA ; qu’elle indiquait travailler selon les mêmes horaires de M. F... Y... ; que Mme A... n’était pas déclarée à la MSA et ne figurait pas sur le registre du personnel ; qu’elle avait indiqué travailler selon les mêmes horaires que les deux précédents salariés ; que M. B... ne figurait pas sur le registre du personnel et n’était pas déclaré à la MSA ; qu’il travaillait aussi huit heures par jour et six jours par semaine ; que M. C... avait été déclaré à la MSA et figurait sur le registre du personnel de la société ; qu’il avait indiqué percevoir un salaire de 900 euros payé en espèces, et travailler selon les mêmes horaires que les autres salariés ; que, par conséquent, seuls M. F... Y... et M. C... étaient déclarés à la MSA et inscrits sur le registre du personnel de la société des Avenages ; que le contrat de travail à durée indéterminée, signé entre M. C... et la société des Avenages, le 15 janvier 2008, pour un travail de 35 heures par semaine, était produit ; qu’il fallait préciser que la MSA avait évoqué, par erreur, dans la lettre d’observations, M. C... sous le nom de “M.G... C...”, alors que G... était son prénom ; que, cependant, pour ce qui concernait ces deux salariés, le travail dissimulé était constitué par minoration de leurs heures de travail, puisque toutes les personnes contrôlées avaient déclaré travailler 48 heures par semaine ; que, par ailleurs, les éléments produits par la MSA ne permettaient pas de déterminer, pour certaines des autres personnes, si elles étaient employées par M. Alain X... lui-même ou par la société des Avenages ; que Mme A..., qui avait déclaré travailler au conditionnement des pommes de terre, pouvait être considérée comme ayant été employée par la société des Avenages ; que pour ce qui concernait Mme Z..., le doute persistait dès lors qu’elle avait été vue occupée près d’une caisse en bois vide, sans autre précision ; que, enfin, en ce qui concernait M. B... qui réparait un tracteur à l’arrière de l’exploitation, le même doute était permis, d’autant plus que dans la lettre d’observations, il était précisé que l’intéressé était déclaré sur l’entreprise individuelle de M. X..., que ces deux personnes seraient écartées du redressement, ainsi que le tribunal l’avait retenu ; que le travail dissimulé était donc constitué pour les trois personnes susvisées (M. F... Y..., M. C... et Mme A...) puisque celles qui étaient déclarées ne l’étaient qu’à raison de 35 heures de travail par semaine (soit 151,67 heures par mois), voire moins à partir de 2009, ainsi que cela résultait des déclarations des salaires produites par la société des Avenages, et que Mme A... n’était pas du tout déclarée ;

ALORS QUE, d’une part, il incombe à l’opposant à contrainte de rapporter la preuve du caractère infondé de la créance dont le recouvrement est poursuivi par l’organisme social ; qu’en retenant que, pour certaines personnes, dont Mme Z..., les éléments produits par l’organisme social ne permettaient pas de déterminer l’identité de leur employeur de sorte qu’il n’administrait pas la preuve de l’infraction et donc le bien-fondé du redressement, la cour d’appel a violé ensemble les articles 1315 du code civil et L. 725-3 du code rural et de la pêche maritime ;

ALORS QUE, d’autre part, est salarié du cotisant celui déclaré comme tel à la caisse de mutualité sociale agricole, y compris sous une autre identité ; qu’en retenant que l’identité de l’employeur de Mme Z... et donc du cotisant ne pouvait être déterminée sans vérifier que celle-ci avait été déclarée à la caisse de mutualité sociale agricole comme salariée de la cotisante sous le nom de Mme D..., de sorte que l’identité de son employeur était connue, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 722-29 et L.725-3 du code rural et de la pêche maritime ainsi que de l’article L.242-262 du code de la sécurité sociale.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir invalidé la contrainte décernée par un organisme social (la mutualité sociale agricole Beauce Coeur de Loire, l’exposante) à un cotisant (la société des Avenages) et de l’avoir débouté de l’ensemble de ses demandes en paiement des cotisations et majorations de retard ;

AUX MOTIFS QUE le travail dissimulé était donc constitué pour les trois personnes susvisées (M. F... Y..., M. C... et Mme A...) puisque celles qui étaient déclarées ne l’étaient qu’à raison de 35 heures de travail par semaine (soit 151,67 heures par mois), voire moins à partir de 2009, ainsi que cela résultait des déclarations des salaires produites par la société des Avenages, et que Mme A... n’était pas du tout déclarée ; que, cependant, là encore, la cour ne pouvait qu’observer que la MSA qui produisait des tableaux très détaillés des sommes dues, période par période, cotisation par cotisation, n’avait pas ventilé les sommes dues salarié par salarié tandis que, précisément, le tribunal avait déjà relevé cette difficulté et que devant elle, la caisse ne le faisait pas davantage ; que, dans ces conditions, la cour se trouvait dans l’impossibilité, comme le tribunal l’avait été, de déterminer quelles sommes resteraient dues pour les trois salariés retenus au titre du travail dissimulé ; que la contrainte ne pouvait être validée même à titre partiel ;

ALORS QUE, d’une part, la cassation d’un chef de dispositif entraîne, par voie de conséquence, l’annulation de plein droit des dispositions s’y rattachant par un lien de dépendance nécessaire ; qu’en l’espèce, pour invalider la contrainte délivrée par l’exposante, le juge a retenu que l’infraction était constituée non pour quatre salariés mais pour trois d’entre eux et que, n’ayant pas le détail des cotisations appelées, individuellement, pour chacun, il était dans l’impossibilité de déterminer le montant des cotisations dues par le cotisant ; que la censure à intervenir sur le premier moyen, en ce qu’elle tendra à établir le bien-fondé de la contrainte portant sur le redressement des cotisations dues pour quatre salariés en situation de travail dissimulé, entraînera donc, par voie de conséquence, l’annulation de plein droit de l’arrêt attaqué ayant débouté l’organisme social de sa demande en paiement, en application de l’article 624 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, d’autre part, le juge ne peut dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que, pour invalider la contrainte, l’arrêt attaqué a relevé que l’organisme social produisait des tableaux très détaillés des sommes dues, période par période, cotisation par cotisation, sans toutefois ventiler ces montants salarié par salarié ; qu’en se prononçant ainsi, quand, établis individuellement pour chaque salarié, les tableaux litigieux opéraient cette ventilation et détaillaient très précisément les sommes dues par le cotisant pour chacun d’eux, la cour d’appel a dénaturé ces documents en violation de l’article 1134 du code civil ;

ALORS QUE, enfin, le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu’en énonçant que l’abstention de l’organisme social de communiquer le montant des cotisations dues individuellement pour chaque salarié, la plaçait « dans l’impossibilité de déterminer quelles sommes resteraient dues pour les trois salariés retenus au titre du travail dissimulé », la cour d’appel a violé l’article 4 du code civil.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 6 juillet 2017