Dommages et intérêts dus par donneur d’ordre malgré relaxe pour recours

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 janvier 2020

N° de pourvoi : 18-86992

ECLI:FR:CCASS:2020:CR02651

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. I... Y...,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 30 octobre 2018, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Darcheux ;

Sur le rapport de M. le conseiller MAZIAU, les observations de la société civile professionnelle NICOLAŸ, DE LANOUVELLE et HANNOTIN, la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LEMOINE ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de l’application des articles 61-1 et 62 de la Constitution ; perte de fondement juridique ;

”en ce que l’arrêt condamne M. Y... à payer à l’Urssaf la somme de 998 611 euros à titre de dommages et intérêts ;

”alors que par un mémoire distinct, il est demandé à la Cour de cassation qu’elle transmette au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « En ce que, dans l’interprétation constante qu’en donne la Cour de cassation, les critères de mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par les articles L. 8222-1 et L. 8222-2 du code du travail et la possibilité de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels est tenu le donneur d’ordre, ne s’appliquent pas ou de manière différente en cas de poursuite pénale pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, ces dispositions, dans la qualification et la portée que leur donne la décision du 31 juillet 2015 n° 2015-479 QPC du Conseil constitutionnel, sont-elles contraires au droit d’exercer un recours effectif et au principe d’égalité devant la justice garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? » conduisant à la perte du fondement juridique de l’arrêt attaqué” ;

Attendu que, par arrêt en date du 18 juin 2019, la Cour de cassation a jugé la question prioritaire de constitutionnalité irrecevable (Crim., 18 juin 2019, QPC n°18-86.992) ;

Qu’il en résulte que le moyen est sans objet ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 509, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale ; des articles 111-2 et 121-3 du code pénal ; des articles L. 8222-1 et L. 8222-2 du code du travail dans la portée que leur donne la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel au considérant n° 14 de sa décision du 31 juillet 2015, n° 2015-479 QPC ; 4 et 5 du code de procédure civile ; ensemble de l’article 1382, devenu 1240, du code civil ;

”en ce que l’arrêt condamne M. Y... à payer à l’Urssaf la somme de 998 611 euros à titre de dommages et intérêts :

”1°) alors que l’action civile ne peut être exercée qu’en réparation d’un dommage causé par un crime, un délit ou une contravention ; qu’en condamnant le gérant d’une société à responsabilité limitée à payer à l’Urssaf les cotisations sociales éludées par une société sous-traitante au visa de l’article 1240 du code civil, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ;

”2°) alors que nul n’est responsable que de sa propre faute ; qu’en condamnant à titre personnel le gérant d’une société à payer à l’Urssaf les cotisations sociales dues par une société sous-traitante pour n’avoir pas vérifié qu’elle était à jour de ses obligations sociales sans que la société dont le prévenu était le gérant ait été mise en cause et sans caractériser le caractère intentionnel ni la particulière gravité de la faute reprochée au gérant, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ;

”3°) alors qu’en ne recherchant pas si la société sous-traitante avait fait l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé, ni si le donneur d’ordre avait bénéficié d’une procédure contradictoire préalable de redressement lui permettant de comprendre et contester la créance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées ;

”4°) alors, enfin, qu’en ne caractérisant pas l’intention du prévenu de recourir aux services de la personne exerçant un travail dissimulé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société de gardiennage et de sécurité AGMS gérée par M. I... Y... a eu recours, pour l’embauche de ses salariés, à une autre société sous-traitante, la société Spart Events gérée par M. F... Y..., frère du précédent ; que la société Spart Events a embauché ses salariés sans observer les formalités déclaratives de nature fiscale ou sociale causant un préjudice à l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales Provence-Alpes-Côte d’Azur (Urssaf Paca) ; que, par jugement du tribunal correctionnel en date du 3 avril 2017, M. F... Y... a été déclaré coupable des faits de travail dissimulé en bande organisée ; que M. I... Y..., initialement poursuivi du chef de prêt illicite de main d’oeuvre et de marchandage, a été poursuivi, après requalification par le tribunal, du chef de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé puis renvoyé des fins de la poursuite de ce chef après que le tribunal a relevé l’absence de tout caractère intentionnel de la faute ; que l’Urssaf, partie civile, a fait appel du jugement ;

Attendu que, pour infirmer le jugement du tribunal correctionnel en ses dispositions civiles et condamner l’intimé à payer à l’Urssaf la somme de 998 611 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, l’arrêt relève que la faute commise dans les limites et à partir du délit de recours délibéré aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé est caractérisée à l’égard de l’intimé, qui s’est abstenu sciemment de vérifier la régularité de la situation de l’entrepreneur dont il a utilisé les services ; que les juges ajoutent que M. I... Y..., en sa qualité de dirigeant de droit de la société AGMS, donneuse d’ordre, avait l’obligation, avant même de conclure le contrat, de vérifier que son cocontractant était à jour de ses obligations de déclaration et de paiement des cotisations auprès de l’Urssaf ; qu’ils précisent qu’à cette fin, il lui revenait d’exiger, non seulement lors de la conclusion du contrat, mais aussi tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant produisait l’attestation de fourniture de déclarations sociales et de paiement des cotisations de sécurité sociale délivrée par l’Urssaf en application de l’article L. 243-15 du code de la sécurité sociale ; qu’ils soulignent que l’intimé ne conteste pas avoir omis de procéder aux vérifications exigées par la loi, lesquelles lui auraient permis de découvrir l’ampleur des omissions déclaratives sans attendre qu’elles soient mises à jour par les investigations de l’Urssaf ; qu’ils énoncent qu’en s’abstenant délibérément de procéder à ces vérifications préalables, M. I... Y... n’a pas exécuté l’obligation légale qui lui incombait et dont ne pouvait l’affranchir le lien de parenté l’unissant à son cocontractant ; qu’ils retiennent qu’il sera tenu de réparer les conséquences dommageables de la faute qu’il a commise dans les limites et à partir des faits poursuivis sur la base de la reconstitution par l’Urssaf du montant des salaires bruts et des cotisations éludées, lequel s’est élevé, au total, à la somme de 612 073,05 euros en 2014 et à celle de 386 538,39 euros en 2015 ; que les juges concluent qu’il sera alloué une indemnité de 998 611 euros à la partie civile en réparation du dommage découlant directement des faits poursuivis ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations et dès lors que les juges, qui ont relevé le caractère intentionnel de la faute du donneur d’ordre et ont constaté la culpabilité du sous-traitant du chef de travail dissimulé, n’avaient pas à s’expliquer sur l’existence d’une faute d’une particulière gravité pour caractériser, comme ils en avaient l’obligation, n’étant saisis que du seul appel de la partie civile d’un jugement de relaxe, l’existence d’une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen ;

D’où il suit que le moyen, qui, pris en sa troisième branche, est nouveau, mélangé de fait et comme tel irrecevable, ne peut qu’être rejeté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. I... Y... devra payer à l’Urssaf Paca en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille vingt ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 30 octobre 2018