Maître d’ouvrage oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 3 avril 2002

N° de pourvoi : 01-85601

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois avril deux mille deux, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, avocat en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" LA SOCIETE COGEDIM TRADITION,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 12ème chambre, en date du 19 juin 2001, qui, pour recours aux services d’une entreprise exerçant un travail dissimulé, l’a condamnée à 100 000 francs d’amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1984 et suivants du Code Civil, L.324-9, L.362-3 et suivants du Code du travail, 121-2 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction de motifs et défaut de base légale ;

”en ce que la cour d’appel, par motifs adoptés des premiers juges, a condamné la société Cogedim Tradition à une amende délictuelle de 100 000 francs pour avoir recouru à une personne exerçant un travail dissimulé ;

”aux motifs que “si, dans le cadre de la mission confiée par le maître d’ouvrage, le maître d’oeuvre devait contrôler les dossiers administratifs des entreprises et l’exécution des travaux, le maître d’ouvrage délégué ne s’en trouvait pas moins investi de la mission très générale rappelée plus haut, avec mandat d’effectuer toutes opérations d’ordre juridique, administratif, contentieux, comptable, de représenter le maître d’ouvrage auprès du maître d’oeuvre ainsi que des entreprises intervenantes ; que, par cette mission très large assortie d’une importante rémunération, M. Y... a entendu se décharger sur Cogedim Tradition de toute responsabilité pouvant lui incomber en tant que maître d’ouvrage ou donneur d’ordre ; que la Cogedim Tradition ne saurait prétendre à son tour s’en décharger intégralement sur le maître d’oeuvre, avec lequel elle n’a aucun lien de droit ; qu’aucune vérification sérieuse n’a été effectuée sur les conditions dans lesquelles la SA CA&B, déclarant un seul salarié, envisageait d’exécuter un marché de 300 000 francs TTC ; que les seules pièces remises par M. X... ont été un extrait K bis de sa société, un acte de caution, une assurance risques professionnels mentionnant un effectif de deux personnes et une attestation sur l’honneur concernant l’emploi de salariés en règle, alors que M. X... ne travaillait que par sous-traitance ; que, si juridiquement, le signataire du marché est M. Y..., le maître d’ouvrage délégué y a apposé son visa au même titre que le maître d’oeuvre ; que son rôle est d’autant plus important en l’espèce que Michel Beauduc était seul à connaître M. X... ; que sa recommandation ne pouvait qu’inspirer confiance et diminuer la vigilance du maître d’oeuvre, alors que Michel Beauduc n’avait aucune information sur la société et connaissait seulement son

dirigeant pour un bon professionnel ; que cette recommandation donnée sans aucune vérification témoigne d’une légèreté qui se retrouve dans l’ensemble du dossier” ;

”alors qu’aux termes de l’article L. 324-9 du Code du travail, il est interdit d’avoir recours, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce une activité de travail dissimulé ; que l’infraction ne peut être imputable que s’il existe nécessairement un lien juridique entre la personne poursuivie et la personne ayant recours à celui qui exerce un travail dissimulé ; que ce lien juridique ne peut résulter que du contrat liant les différents intervenants ; qu’en l’espèce, la société Cogedim Tradition n’a aucunement contracté avec la SA CA&B, société qui a eu recours à un travail dissimulé qu’il résulte clairement du contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée, signé le 19 novembre 1998, que la société Cogedim Tradition devait se borner à présenter au maître d’ouvrage les entreprises devant intervenir sur le chantier (article 2.1.d du contrat) ; qu’au moment de cette présentation, la SA CA&B ne recourait pas à un travail dissimulé ; que seul le maître d’ouvrage, donneur d’ordre, a contracté avec la SA CA&B ; que cette simple présentation au maître d’ouvrage n’a pas pour effet de transférer la qualité de donneur d’ordre ; qu’ainsi, il n’existe pas de lien juridique, entre la société Cogedim Tradition et la SA CA&B, essentiel pour retenir l’infraction prévue par l’article L. 324-9 du Code du travail ;

que la cour d’appel, reprenant les motifs des premiers juges, qui affirment que juridiquement le signataire du marché demeure le maître d’ouvrage, nécessairement dénaturé le sens et la portée du contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée et n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui en résultaient, violent les articles visés au moyen” ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 362-3 et L. 362-6 du Code du travail, 121-1 et 121-3 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que la cour d’appel, par motifs adoptés des premiers juges, a condamné la société Cogedim Tradition à une amende délictuelle de 100 000 francs pour avoir recouru à une personne exerçant un travail dissimulé ;

”aux motifs qu’aucune vérification sérieuse n’a été effectuée sur les conditions dans lesquelles CA&B, déclarant un seul salarié, envisageait d’exécuter un marché de 300 000 francs TTC ; que les seules pièces remises par M. X... ont été un extrait K bis de sa société, un acte de caution, une assurance risques professionnels mentionnant un effectif de 2 personnes et une attestation sur l’honneur concernant l’emploi de salariés en règle, alors que M. X... ne travaillait que par sous-traitance ; que, si juridiquement, le signataire du marché est M. Y..., le maître d’ouvrage délégué y a apposé son visa au même titre que le maître d’oeuvre ;

que son rôle est d’autant plus important en l’espèce que Michel Beauduc était seul à connaître M. X... ; que sa recommandation ne pouvait qu’inspirer confiance et diminuer la vigilance du maître d’oeuvre, alors que Michel Beauduc n’avait aucune information sur la société et connaissait seulement son dirigeant pour un bon professionnel ; que cette recommandation donnée sans aucune vérification témoigne d’une légèreté qui se retrouve dans l’ensemble du dossier ; que la part d’un professionnel aussi notoire que Cogedim dans le secteur professionnel où sévit le plus gravement le travail dissimulé, qui porte atteinte à l’ordre économique, alors que l’attention des professionnels est sans cesse appelée sur la nécessité d’une vigilance accrue pour s’assurer que leur sous-traitants ont un fonctionnement régulier et respectent le réglementation relative à l’emploi, cette négligence fautive constitue l’élément intentionnel du délit reproché ;

”alors, d’une part, qu’il résulte de l’article L. 324-9 du Code du travail que l’infraction de recours à une personne exerçant une activité dissimulée ne peut être imputable que s’il existe un élément intentionnel ; que, pour le moins, le délit ne peut être punissable que si le prévenu a eu la volonté de recourir ou de faire recourir à une activité de travail dissimulé ; que la cour d’appel, reprenant les motifs des premiers juges, ne peut à la fois affirmer que la SA CA&B avait dissimulé au maître d’ouvrage, au maître d’ouvrage délégué et au maître d’oeuvre la présence sur le chantier de personnels exerçant une activité dissimulée, et affirmer que la société Cogedim Tradition avait sciemment eu recours à une personne exerçant un travail dissimulé ; que, par cette contradiction de motifs, la cour d’appel n’a pas motivé et caractérisé l’élément intentionnel de l’infraction, violant les articles visés au moyen ;

”alors, d’autre part, qu’il résulte de la combinaison des articles L. 324-9 du Code du travail et 121-3 du Code pénal, que le recours à une personne exerçant un travail dissimulé est une infraction intentionnelle ; que l’intention est la conscience de réaliser la situation infractionnelle décrite par l’incrimination ; que la constatation d’une négligence n’est pas suffisante pour caractériser l’élément intentionnel d’une infraction ; que la cour d’appel, qui se borne à affirmer que la société Cogedim Tradition n’a pas été suffisamment vigilante en recommandant la SA CA&B et que cette négligence fautive constituait l’élément intentionnel de l’infraction, n’a aucunement caractérisé l’élément moral, élément constitutif de l’infraction de recours à une personne exerçant une activité dissimulée, violant les articles L. 324-9 du Code du travail et 121-3 du Code pénal” ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 362-3 et L. 362-6 du Code du travail, 121-2 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que la cour d’appel, par motifs adoptés des premiers juges, a condamné la société Cogedim Tradition à une amende délictuelle de 100 000 francs pour avoir recouru à une personne exerçant un travail dissimulé ;

”aux motifs que, si juridiquement, le signataire du marché est M. Y..., le maître d’ouvrage délégué y a apposé son visa au même titre que le maître d’oeuvre ; que son rôle est d’autant plus important en l’espèce que Michel Beauduc était seul à connaître M. X... ; que sa recommandation ne pouvait qu’inspirer confiance et diminuer la vigilance du maître d’oeuvre, alors que Michel Beauduc n’avait aucune information sur la société et connaissant seulement son dirigeant pour un bon professionnel ;

que cette recommandation donnée sans aucune vérification témoigne d’une légèreté qui se retrouve dans l’ensemble du dossier ; que la part d’un professionnel aussi notoire que Cogedim dans le secteur professionnel où sévit le plus gravement le travail dissimulé, qui porte atteinte à l’ordre économique, alors que l’attention des professionnels est sans cesse appelée sur la nécessité d’une vigilance accrue pour s’assurer que leurs sous-traitants ont un fonctionnement régulier et respectent la réglementation relative à l’emploi, cette négligence fautive constitue l’élément intentionnel du délit reproché ;

”alors que l’article L. 362-6 du Code du travail prévoit la responsabilité pénale des personnes morales, dans les conditions prévues par l’article 121-2 du Code pénal, de l’infraction de recours à une activité de travail dissimulé ; qu’il résulte de l’article 121-2 du Code pénal que la responsabilité pénale des personnes morale ne peut être engagée que si l’infraction est commise pour le compte de celle-ci ; que la responsabilité pénale de la personne morale n’est donc pas automatique ; qu’en ne répondant pas aux moyens péremptoires exposant que l’infraction ne pouvait avoir été commise pour le compte de la société Cogedim Tradition et en ne caractérisant pas cet élément de la responsabilité pénale de la personne morale, la cour d’appel, par motifs adoptés, a violé le sens et la portée des articles visés au moyen” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du jugement auquel il se réfère que la société Cogedim Tradition est poursuivie pour recours aux services d’une entreprise exerçant un travail dissimulé, sur le fondement des articles L. 324-9, L. 362-3 et L. 362-6 du Code du travail ;

qu’il lui est reproché de ce chef d’avoir, en qualité de maître d’ouvrage délégué, confié des travaux de démolition à la société CA et B, qui employait plusieurs salariés sans avoir effectué de déclaration préalable à l’embauche et sans leur avoir remis de bulletins de paie ;

Attendu que, pour la déclarer coupable de ce chef, la cour d’appel énonce, par motifs adoptés des premiers juges, que la société Cogedim Tradition, représentée par Michel Beauduc, a signé, avec le maître de l’ouvrage, le marché passé avec la société CA et B, sans qu’aucune vérification sérieuse n’ait été effectuée sur les conditions dans lesquelles cette société, qui avait déclaré un unique salarié, envisageait d’exécuter un marché de 300 000 francs ; que les juges retiennent qu’en vertu de la mission d’assistance et de représentation très large qui lui était confiée par le contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée, la société Cogedim Tradition, dont le représentant avait lui-même recommandé la société CA et B, aurait dû s’assurer que ces vérifications avaient été mises en oeuvre ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs exempts d’insuffisance et procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, d’où il résulte que le délit a été commis en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, par un représentant de la société prévenue, pour le compte de celle-ci, la cour d’appel, qui n’a pas dénaturé les clauses du contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée, a justifié sa décision ;

D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Desportes conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Paris, 12ème chambre, du 19 juin 2001

Titrages et résumés : RESPONSABILITE PENALE - Personne morale - Conditions - Commission d’une infraction par un représentant de la société et pour son compte - Portée - Recours aux services d’une entreprise exerçant un travail dissimulé.

Textes appliqués :
* Code du travail L324-9, L362-3 et s.
* Code pénal 121-2