Pas de vérification périodique

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 janvier 2017

N° de pourvoi : 16-80930

ECLI:FR:CCASS:2017:CR05779

Non publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" M. Philippe X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’ORLÉANS, chambre correctionnelle, en date du 25 janvier 2016, qui, pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, l’a condamné à 1 000 euros d’amende ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 29 novembre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, SOLTNER, TEXIDOR et PÉRIER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8222-1, L. 8222-2, L. 8224-1, L. 8224-3 et L. 8224-4 L. 8224-5 du code du travail, de l’article 131-38 du code pénal, des articles 2, 381, 512 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a confirmé les dispositions pénales du jugement déféré qui a déclaré M. Philippe X... coupable pour les faits de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé commis du 27 novembre 2010 au 26 novembre 2013, à Neuville-Aux-Bois 23, rue de Montfort et l’a condamné au paiement d’une amende de 1 000 euros ;
” aux motifs que « l’article 8222-1 du code du travail sanctionne « le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé » ; que l’omission de procéder aux vérifications prévues par l’article 8222-1 du code du travail, lorsque l’objet du contrat porte sur une obligation d’un montant minimum de 3 000 euros (version applicable à la date des faits), est sanctionnée de l’amende prévue à l’article L. 8224-1 du même code ; qu’il n’est pas contesté en l’espèce, qu’à la période visée dans la prévention, M. Y..., exerçait une activité de gardiennage pour le compte de la société X...- Neuville, exploitant le magasin Super U de Neuville-Aux-Bois, postérieurement à sa radiation du répertoire des métiers et alors même que la S. A. R. L. A. S. I. A. P dont il était le gérant, faisait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire clôturée le 24 juillet 2013 pour insuffisance d’actif ; qu’il est encore acquis qu’il n’a satisfait, durant cette période, à aucune de ses obligations fiscales et sociales qui lui incombaient ; que M. X... ne conteste pas davantage la qualité de donneur d’ordre de la société X... Neuville or, l’article 8222-2 du code du travail, pose, en matière de travail dissimulé, le principe de la solidarité financière du donneur d’ordre ; qu’il est encore établi en l’espèce, qu’à la période visée dans la prévention, l’activité de gardiennage de M. Y... au sein du magasin Super U, n’a donné lieu à aucune vérification de la part du donneur d’ordre qui n’a pas davantage répondu au droit de communication exercé par les services fiscaux et il importe peu, en la circonstance, que M. Y... ait pu exercer son activité de manière régulière entre 2009 et 2011, la cour ayant exclusivement à apprécier l’infraction dont elle est saisie ; que dans un récent arrêt du 1er décembre 2015, la chambre criminelle de la Cour de Cassation, confirmant l’arrêt rendu par une cour d’appel relevant que « Le représentant légal de la société X n’a jamais vérifié, ni lors de la conclusion des contrats successifs, ni lors de leur exécution, l’existence et la sincérité des documents susceptibles d’établir que les entreprises cocontractantes avaient effectué les déclarations fiscales et sociales leur incombant et ne s’adonnaient pas au travail dissimulé, soit par dissimulation d’activité, soit par dissimulation d’emploi salarié », a considéré qu’en l’état de ces énonciations « la cour d’appel a justifié sa décision dès lors que commet sciemment le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé celui qui ne vérifie pas, alors qu’il y est tenu par l’article L. 8222-1 du code du travail, la régularité au regard des articles 8221-3 et 8221-5 dudit code, de la situation de l’entrepreneur dont il utilise les services » ; que, dès lors, l’infraction apparaît caractérisée dans tous ses éléments constitutifs et c’est par des motifs pertinents, en droit comme en fait, que la cour fait siens et par une exacte appréciation des circonstances de la cause, que la juridiction du premier degré a retenu M. X... dans les liens de la prévention ; qu’il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité et sur la peine d’amende, qui constitue une application juste et modérée de la loi pénale, au regard de la nature des faits reprochés qui ont favorisé le maintien de l’activité illicite de M. Y..., et de la personnalité du prévenu qui, jamais condamné, dispose de revenus mensuels de 4 000 euros bruts en tant que président du conseil d’administration de la société X... ;
” et aux motifs des premiers juges, en les supposant adoptés, que « M. X... n’a pas comparu ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard ; qu’il est prévenu d’avoir à Neuville-Aux-Bois (23 rue de Montfort), du 27 novembre 2010 au 26 novembre 2013, recouru sciemment sans faire application de son devoir de vigilance, aux services d’un travailleur, M. Y...Diby prétendu gérant de la société ASIAP, exerçant à but lucratif une activité de production, de transformation, de réparation, de prestation de services, ou accompli un acte de commerce, en l’espèce l’activité d’agent de sécurité, en se soustrayant intentionnellement à ses obligations postérieurement à la radiation au répertoire des métiers de ladite société, faits prévus par art. L. 8224-1, art. L. 8221-1 al. 1 3° art. L. 8221-3, art. L. 8221-4, art. L. 8221-5 code du travail et réprimés par art. L. 8224-1, art. L. 8224-3, art. L. 8224-4 code du travail ; que le prévenu, M. X..., est poursuivi pour l’infraction de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, prévue à l’article L. 8221-1, 3 du code du travail, qui incrimine « le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé » ; qu’en effet, M. X..., président de la SAS X... Neuville qui exploite un magasin d’alimentation à l’enseigne Super U situé sur la commune de Neuville-Aux-Bois, se voir reprocher le fait d’avoir, entre le 27 novembre 2010 et le 26 novembre 2013, engagé M. Y..., gérant de la société ASIAP, en tant qu’agent de sécurité, postérieurement à la radiation au répertoire des métiers de ladite société ; que le prévenu sollicite sa relaxe en raison de l’absence, selon lui, de l’élément intentionnel du délit ; qu’il affirme que, dans le cadre de cette infraction intentionnelle et non purement matérielle, la preuve de sa connaissance du caractère dissimulé du travail effectué par M. Y... n’est pas rapportée et que, au contraire, il était de bonne foi au vu de l’apparente légalité de la situation de ce dernier et de la confiance qu’il lui accordait au terme de leurs collaborations antérieures ; qu’en vertu de l’article L. 8221-1 du code du travail, et de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation (notamment, Crim. 4 novembre 1997 n° 96-86. 211), l’élément matériel du délit en question peut être constitué par une commission ou une omission ; que dans le cas d’une omission, c’est l’abstention de vérifier périodiquement les dispositions prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail, au vu du devoir de vigilance, qui est incriminée, lorsque celui dont les services ont été employés exerce un travail dissimulé ; qu’en l’espèce, M. X... n’a pas procédé périodiquement aux vérifications requises du respect des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, et il s’est avéré que M. Y... exerçait un travail dissimulé ; qu’ainsi, l’omission du prévenu est constitutive de l’élément matériel du délit visé ; qu’en vertu de l’article L. 8221-1 du code du travail, le délit est intentionnel dans le fait de recourir sciemment aux services de celui qui exerce un travail dissimulé ; que la circulaire DILTI du 31 décembre 2005, relative à la solidarité financière des donneurs d’ordre en matière de travail dissimulé, rappelle l’exigence de l’élément intentionnel, tout en renvoyant aux critères retenus par la jurisprudence ; que l’intention est donc laissée à l’appréciation du juge qui la constate au travers d’un faisceau d’indices ; que par cela, de jurisprudence constante, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que le seul manquement à l’obligation de vérification des dispositions prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail est suffisant, au vu du devoir de vigilance, pour caractériser l’élément moral ; qu’en effet, la personne, qui ne respecte pas en connaissance de cause son obligation légale de vérification (Crim., 19 mars 2002, Crim., 27 septembre 2005), s’abstient volontairement de se prémunir contre un éventuel travail dissimulé (Crim., 21 janvier 1997, Criai. Il février 1997, Crim 4 novembre 1997, Crim., 21 avril 1998, Crim., 24 mai 2005, Crim., 2 robre 2005) ; qu’en l’espèce, M. X... s’est abstenu de mettre en oeuvre son obligation légale de vérification des formalités attestant que M. Y... n’effectuait pas un travail dissimulé ; qu’ainsi, au vu de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, ce manquement permet de constater l’élément moral du délit ; qu’en outre, la circulaire DILTI du 31 décembre 2005 précise que le défaut de possession des documents exigibles au titre de la vigilance peut être un élément constitutif du délit de recours mais devra être consolidé par d’autres éléments probants ; qu’elle ajoute quelques exemples possibles d’indices probants issus de la jurisprudence ; que par cela, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que la durée des relations entre deux sociétés et les conditions de leur exercice participent à la démonstration de l’élément intentionnel (Crim., 21 janvier 1997, Crim., 11 février 1997, Crim., 2 février 1999, Crim., 19 février 2000, Crim., 30 octobre 2001) ; qu’en l’espèce, les relations entre MM. X... et Y... ont débuté en octobre 2009 alors que la société de ce dernier était en règle ; qu’ainsi, au cours de cette collaboration, d’une durée d’approximativement quatre ans, le prévenu n’a jamais effectué son obligation légale de vérification, qui se doit pourtant d’être périodique et qui lui aurait permis de découvrir le changement de situation de M. Y..., et ce même lorsque la nature de leurs relations s’est intensifiée pour évoluer d’un travail ponctuel vers un travail de manière continue pour M. Y..., sous couvert de sa propre société (ASIAP) et non plus d’une société tierce (AVC) ; que de plus, le prévenu a recouru aux services de M. Y... sans jamais conclure de contrat encadrant l’exercice de cette collaboration, condition préalable édictée à l’article L. 8222-1 du code du travail ; que par conséquent, la durée des relations entre MM. X... et Y... (plusieurs années) et les conditions de leur exercice (absence de contrat) s’ajoutent à l’abstention des vérifications pour corroborer la constatation de l’élément moral du délit ; que par ailleurs, outre le fait que l’absence de connaissance d’une obligation légale ne soit pas recevable pour écarter l’élément intentionnel, un argument tiré de la bonne foi issue de la confiance placée en la personne, connue de longue date, et de l’apparence de légalité, pour justifier d’une négligence dans la vérification ne peut être retenu (Crim., 24 mai 2005), l’infraction de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé peut donc être retenue à l’encontre de M. X..., l’élément matériel et l’élément moral étant ainsi démontrés ;
” 1°) alors que toute personne poursuivie pénalement est présumée innocente et le doute doit lui profiter ; que le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé implique que soit caractérisé le caractère intentionnel de ce recours ; que l’article L. 8221-1 du code du travail énonce à cet égard que « sont interdits : (…) le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé » ; que le caractère intentionnel doit être caractérisé par la connaissance qu’avait ou aurait dû avoir le donneur d’ordre de la situation irrégulière de son cocontractant ; qu’en l’espèce la cour d’appel a déduit le caractère intentionnel du recours par M. X... aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé (M. Y...) de son seul manquement à l’obligation matérielle de vigilance au sens de l’article L. 8222-1 du code du travail, pour ne pas avoir vérifié, après juin 2011, si son cocontractant remplissait ses obligations déclaratives et contributives en matière fiscale et sociale ; qu’en statuant ainsi par des motifs impropres à démontrer que M. X... avait ou aurait dû avoir connaissance de la situation irrégulière de son cocontractant et, par voie de conséquence, impropres à caractériser le caractère intentionnel de l’infraction de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées ;
” 2°) alors qu’en déclarant M. X... coupable des faits de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé pour la période du 27 novembre 2010 au 26 novembre 2013,- pour avoir eu recours aux services de M. Y... sans vérifier si ce dernier remplissait ses obligations fiscales et sociales-alors qu’il ressort de ses propres constatations que « M. Y... [a] pu exercer son activité de manière régulière entre 2009 et 2011 [29 juin 2011] », ce dont il s’induisait que M. X... ne pouvait être condamné pour la période du 27 novembre 2010 au 29 juin 2011, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions susvisées ;
” 3°) alors qu’en déclarant M. X... coupable des faits de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé au cours de la période du 27 novembre 2010 au 26 novembre 2013,- pour avoir eu recours aux services de M. Y... sans vérifier si ce dernier remplissait ses obligations fiscales et sociales-quand il ressort de ses constatations que la société ASIAP, dont M. Y... était gérant, n’a été fermée au répertoire SIRENE et radiée de l’URSSAF que le 29 juin 2011, ce dont il s’induisait encore que le délit de travail dissimulé ne pouvait être retenu pour la période antérieure au 1er juillet 2011, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les dispositions susvisées “ ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., président de la société éponyme qui exploite un magasin sous l’enseigne SUPER U et a eu recours à un prestataire, agent de sécurité, pour la surveillance de ses installations, a été cité du chef susénoncé, pour la période s’étendant du 27 novembre 2010 au 26 novembre 2013, devant le tribunal correctionnel, qui l’a déclaré coupable et condamné à 1 000 euros d’amende ; que M. X... a relevé appel de cette décision, le ministère public formant appel incident ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l’arrêt énonce qu’il n’est pas contesté qu’à la période visée dans la prévention, le prestataire exerçait une activité de gardiennage postérieurement à sa radiation du répertoire des métiers et alors même que la société dont il était le gérant faisait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ; que les juges relèvent qu’il est encore acquis qu’il n’a satisfait, durant cette période, à aucune de ses obligations fiscales et sociales ; que la cour d’appel ajoute que cette activité n’a donné lieu à aucune vérification de la part du donneur d’ordre qui n’a pas davantage répondu au droit de communication exercé par les services fiscaux, peu important, en la circonstance, que ce prestataire eût pu, antérieurement, exercer son activité de manière régulière ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine de l’étendue de la période durant laquelle le prestataire, fût-il, pendant un temps, inscrit au répertoire des métiers, a exercé son activité sans respecter les obligations sociales et fiscales lui incombant et le donneur d’ordre n’a procédé à aucune vérification, et dès lors que commet sciemment le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé celui qui ne vérifie pas, alors qu’il y est tenu par l’article L. 8222-1 du code du travail, la régularité, au regard des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 dudit code, de la situation de l’entrepreneur dont il utilise les services, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne peut qu’écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix janvier deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Orléans , du 25 janvier 2016