Recours à une fraude à l’établissement

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 28 novembre 2017

N° de pourvoi : 16-86402

ECLI:FR:CCASS:2017:CR02847

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Soulard (président), président

SCP Le Bret-Desaché, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

M. Mikaël X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BESANÇON, chambre correctionnelle, en date du 7 juin 2016 qui, pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, l’a condamné à 15 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction de gérer ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 17 octobre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle LE BRET-DESACHÉ, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général référendaire CABY ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 49 et 54 du TFUE, des articles L. 8224-1, L. 8224-3 du code du travail, 111-3, 111-4, 131-27 du code pénal, 513, 591, 593 du code de procédure ;

” en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. Mickaël X...coupable de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, et l’a condamné pénalement à 15 000 euros d’amende et à la peine complémentaire d’interdiction de gérer ou d’administrer durant cinq ans ;

” aux motifs qu’il résulte de ce qui précède que la société Natalia Megatrans, dont le siège en Pologne est de toute évidence fictif, et qui n’avait à l’égard de la société Ital France aucune indépendance économique ni juridique, exerçait une activité permanente et régulière en France sans requérir son immatriculation au registre national des transports et sans procéder aux déclarations fiscales et sociales obligatoires, en sorte que M. Gregorz Y... qui en était le dirigeant, doit être déclaré coupable de ces faits, ainsi que du délit de travail dissimulé ; que c’est dès lors en toute connaissance de cause que M. X...a eu recours à la société Natalia Magatrans et qu’il doit lui aussi être déclaré coupable du délit qui lui est reproché ; que les prévenus seront condamnés l’un et l’autre à une amende de 15 000 euros et, compte tenu des circonstances de la commission des faits, à la peine complémentaire d’interdiction de gérer durant cinq ans ;

” 1°) alors que, toute décision de condamnation doit être motivée à peine de nullité ; que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que le principe de la légalité des délits et le principe de la liberté d’établissement au sein de l’Union Européenne, s’imposent à la juridiction pénale ; qu’en énonçant pour déclarer M. X...coupable de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, que la société transports Natalia Megatrans à laquelle il avait eu recours, immatriculée en Pologne, et ayant son siège social dans ce pays, était « de toute évidence fictive et n’avait à l’égard de la société Ital France aucune indépendance économique ni juridique, exerçant une activité permanente et régulière en France... », l’arrêt infirmatif attaqué a méconnu les principes susvisés et statué par des motifs contradictoires, et privé sa décision de base légale ;

” 2°) alors que l’article L. 8224-3-1° du code pénal, prévoit le prononcé des peines complémentaires suivantes : « 1° l’interdiction, suivant les modalités prévues par l’article 131-27 du code pénal, soit d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale... » ; qu’en prononçant à l’encontre de M. X...« l’interdiction de gérer ou d’administrer » pendant une durée de cinq ans, sans préciser le type de société ou d’entreprise visée et le mode de gestion, direct ou indirect, à titre personnel ou pour le compte d’autrui, la cour d’appel a privé sa décision des motifs propres à la justifier “ ;

Attendu qu’Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure, qu’à la suite d’un contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de l’entreprise de transport Ital France, qui a eu recours aux services d’une société de droit polonais Natalia Megatrans, en qualité de sous-traitant, leurs dirigeants respectifs ont été poursuivis, pour la période comprise entre le 1er août 2010 et 29 janvier 2014, le premier, M. X..., du chef susénoncé et, le second, des chefs d’exercice de l’activité de transporteur routier de marchandises sans inscription au registre correspondant à cette activité ; que le tribunal correctionnel les ayant renvoyés des fins de la poursuite, le ministère public a relevé appel de cette décision ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche ;

Attendu que pour retenir M. X...dans les liens de la prévention, après avoir relevé que l’activité de la société Natalia Megatrans, ayant son siège social en Pologne et à laquelle la société Ital France a eu régulièrement recours, était essentiellement située en France, la société Ital France mettant à sa disposition des cartes de paiement pour le péage des autoroutes et des tunnels ainsi que pour le carburant et un ancien salarié de la société dirigée par M. X..., installé en Côte-d’Or, la gérant depuis le territoire national, l’arrêt énonce que cette société de droit polonais a exercé une activité permanente et régulière en France sans requérir son immatriculation ;

Attendu qu’en l’état de ces seuls motifs, dont il résulte que la société Ital France a eu recours aux services d’une société dont l’activité, relevant des règles applicables au droit d’établissement, a été exercée sans inscription au registre correspondant, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le grief n’est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa seconde branche ;

Vu l’article 111-3 du code pénal ;

Attendu que, selon ce texte, nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ;

Attendu qu’après avoir déclaré coupable M. X...du délit susénoncé, la cour d’appel l’a condamné à cinq ans d’interdiction de gérer ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans préciser l’objet exact de cette interdiction, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe précédemment rappelé ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu’elle sera limitée aux peines prononcées contre M. X..., dès lors que la déclaration de culpabilité n’encourt pas la censure ;

Qu’en application de l’article 612-1 du code de procédure pénale, et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la cassation aura effet à l’égard de M. Grzegorz Y..., condamné aux mêmes peines, qui ne s’est pas pourvu ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Besançon, en date du 7 juin 2016, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées contre MM. X...et Y..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Besançon et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit novembre deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Besançon , du 7 juin 2016