Absence de vérification, y compris au titre de la solidarité fnancière

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 21 avril 1998

N° de pourvoi : 97-80959

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. PINSSEAU conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un avril mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de Me HEMERY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 Z... Gérard, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 27 janvier 1997, qui l’a condamné, pour infraction à l’article L. 324-9 du Code du travail, à 40 000 francs d’amende ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 362-3, L. 324-9 à L. 324-11, L. 143-3, L. 143-5, L. 620-3 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré Gérard Z... coupable de recours aux services d’un travailleur clandestin et l’a condamné à une amende de 40 000 francs ;

”aux motifs qu’il ressort du contrôle effectué, le 1er avril 1996, qu’Edgard X..., dirigeant de la SARL “Entre elles et nous” exploitait à cette date un atelier de confection ..., dans les locaux d’une société “Kerly” qui, avant sa radiation du registre du commerce au moins de juin 1995, exerçait la même activité ;

qu’il a été constaté sur place que les lieux étaient composés d’un atelier de confection de 60 m environ et d’un simple local de présentation de modèles ;

que trois personnes, irrégulièrement employées au regard des prescriptions de l’article L. 324-10,3° du Code du travail, étaient occupées à des travaux de confection de robe de mariée ;

qu’Edgard X..., gérant de la société “Entre elles et nous” depuis le 23 octobre 1995, a présenté à la réquisition des services de police un extrait K bis de la société indiquant que le siège social de celle-ci était situé ..., et ne portant aucune mention de l’existence d’un établissement rue Bergère ;

qu’il est établi qu’Edgard X... exerçait à but lucratif une activité rentrant dans l’énumération de l’article L. 324-10 du Code du travail, et ce, de façon irrégulière ;

que, sur ce point, les dispositions du jugement ont acquis l’autorité de la chose jugée à l’égard d’Edgard X..., lequel, au demeurant, n’avait pas contesté les faits lui étant reprochés ;

que l’enquête et les déclarations des parties, tant devant les services de police que devant les premiers juges, ont fait apparaître : - qu’Edgard X... avait commencé à travailler pour la société “Pronuptia” à compter du mois d’octobre 1995, et que, de son propre aveu, il avait seulement fourni à cette société, au début de leurs relations contractuelles, le numéro du registre du commerce de sa société ainsi que “le numéro TVA” ;

 que, selon Edgard X..., la directrice de la société “Pronuptia” lui passait commande des modèles qu’il créait, de pièce à pièce ;

 qu’en dehors du travail effectué pour sa propre clientèle, il ne traitait qu’avec la société “Pronuptia” ;

 que ces déclarations ont été corroborées par la découverte de bons originaux ou en copie de commandes unitaires provenant de “Pronuptia”, lesquels ont été saisis par les enquêteurs ;

qu’il est également constant : - que les pièces confectionnées par Gérard X... ont été ensuite commercialisées par la société “Pronuptia” ;

 que, dans les rapports liant Gérard Z... et Edgard X..., caractérisés pour la plus grande part par l’existence de commandes faites à titre unitaire, l’élément essentiel était la fabrication du modèle créé par Edgard X... - qui relevait d’un contrat d’entreprise, et non d’un contrat de vente -, davantage que la fourniture du tissu façonné, étant d’ailleurs observé à cet égard que Gérard Z... a reconnu, tant au cours de l’enquête que devant la Cour, qu’il lui était arrivé de verser des fonds à son cocontractant en vue de lui permettre d’acheter les tissus nécessaires à la fabrication des robes souhaitées ;

 que les vêtements confectionnés étaient présentés et référencés comme des produits “Pronuptia” ;

 qu’en effet, aux termes d’une lettre adressée le 18 octobre 1995 par “Pronuptia” à Edgard X... (et saisie au cours de l’enquête), les robes fabriquées, qui portaient l’appellation du modèle du catalogue “Pronuptia” - et non celle du créateur -, devaient être livrées “sous cintre Pronuptia” ;

 que, dans ce même courrier, la société “Pronuptia” déclarait accepter certaines modifications de fabrication et indiquait qu’elle arrêterait sa décision finale sur l’étiquetage des produits lors d’une prochaine entrevue avec Gérard X... ;

qu’il ressort de l’ensemble de ces éléments que les premiers juges ont, à bon droit, estimé que Gérard Z... était un donneur d’ouvrage, au sens de l’article L. 324-9 du Code du travail, étant rappelé que ce texte, rédigé en termes généraux, prévoit qu’il est interdit d’avoir recours sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce son activité dans les conditions irrégulières au regard des prescriptions de l’article L. 324-10 du même Code ;

que ce texte a vocation à s’appliquer en la cause ;

”alors que le délit de recours aux services d’un travailleur clandestin, pour être constitué, suppose le recours aux services de celui qui exerce l’activité de “travail clandestin”, ce qui exclut la simple relation de vendeur à acheteur ;

qu’en l’espèce, dès lors qu’il est constant qu’Edgard X... créait lui-même et modifiait à sa guise les modèles de robes de mariée qu’il vendait à la société Pronuptia et à ses autres clients, la cour d’appel ne pouvait affirmer l’existence d’un contrat d’entreprise unissant les parties, sans caractériser que “Pronuptia” lui aurait demandé un travail spécifique, aurait fourni la matière, lui aurait donné des directives précises ou sollicité des modifications particulières sur ses modèles ;

que la cour d’appel qui s’est bornée à relever que les robes étaient présentées ou référencées comme des produits Pronuptia et que, dans une lettre adressée à Edgard X..., Pronuptia les nommait sous l’appellation de son catalogue en demandant une livraison sous cintre Pronuptia, n’a pas caractérisé l’existence d’un contrat d’entreprise” ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 362-3, L. 324-9 à L. 324-11, L. 143-3, L. 143-5, L. 620-3 et L. 362-3 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré Gérard Z... coupable de recours aux services d’un travailleur clandestin et l’a condamné à une amende de 40 000 francs ;

”aux motifs qu’en ce qui concerne l’élément intentionnel de l’infraction poursuivie, qu’il est établi qu’Edgard X... a travaillé pour la société “Pronuptia” pendant de nombreux mois, d’octobre 1995 à la fin du mois de mars 1996 ;

qu’il ressort des déclarations d’Edgard X... que celui-ci a uniquement fourni à cette société le numéro d’immatriculation de sa société au registre du commerce, et le “numéro TVA” ;

que Mme Y..., directrice de collection de “Pronuptia”, a cependant indiqué au cours de l’enquête qu’elle “ne s’était jamais occupée de tous les papiers juridiques et administratifs concernant la société dirigée par Edgard X...”, et qu’elle ne connaissait pas la société “Entre elles et nous” ;

que Gérard Z..., qui a déclaré avoir traité avec Edgard X..., a précisé qu’il ne s’était pas occupé des documents de la société “Entre elles et nous”, et que c’était “son service comptable qui s’était occupé de ce fournisseur” ;

que, devant le tribunal, le prévenu a admis qu’il avait “pensé qu’Edgard X... était en règle”, “qu’il n’avait pas de raison de se méfier”, mais que, depuis l’enquête, il avait demandé à l’intéressé l’ensemble des documents nécessaires ;

que, comme l’ont relevé les premiers juges, l’attention de Gérard Z..., contrairement à ce qui était soutenu par la défense, aurait dû être attirée par les factures délivrées par Edgard X... qui faisaient apparaître de façon flagrante des anomalies dans la mesure où malgré l’indication “Entre elles et nous” sans autre précision, et la référence à un numéro d’inscription au registre du commerce, il était demandé à la société “Pronuptia” un règlement à l’ordre personnel d’Edgard X... ;

que Gérard Z..., dont l’expérience des affaires et des règles du commerce ne peut être mise en doute, n’a pu se méprendre sur cette façon de procéder pour le moins ambiguë ;

en outre, que les premiers juges ont relevé à juste titre que tout donneur d’ordre doit s’assurer auprès des personnes aux services desquelles il a recours que celles-ci s’acquittent de leurs obligations au regard des dispositions de l’article L. 324-10 du Code du travail, rappelées par l’article L. 324-14 du même Code ;

que si c’est avec raison que le prévenu fait valoir que le non-respect des prescriptions de ce dernier texte, ou de celles de l’article R. 324-3 du même Code, n’est pas un des éléments constitutifs du délit poursuivi, il n’en demeure pas moins que la méconnaissance de ces formalités impératives démontre en la circonstance et au regard des faits ci-dessus analysés que Gérard Z... a sciemment eu recours aux services de travailleurs clandestins ;

qu’il ne saurait faire valoir, ainsi qu’il l’a fait devant la Cour, que certains des “créateurs” auxquels il est susceptible de s’adresser peuvent refuser de communiquer les pièces exigées par le Code du travail en estimant n’avoir aucune obligation de satisfaire à cette demande, dès lors que la consultation - couramment pratiquée - de services d’information spécialisés (tels qu’Info-greffe, ou Euridile...) permet de recueillir sur la question considérée des éléments utiles ;

”alors qu’est punissable le recours sciemment, directement ou par personne interposée, aux services d’un travailleur clandestin ;

que ne caractérise pas l’élément intentionnel de l’infraction de recours à un travailleur clandestin à l’encontre de Gérard Z..., la cour d’appel qui se borne à relever que Gérard Z... ne s’était pas méfié et avait laissé son service comptable s’occuper des papiers avec ce fournisseur sans vérifier le respect par son cocontractant de l’article L. 324-10 du Code du travail et à énoncer qu’Edgard X... a uniquement fourni le numéro d’immatriculation de sa société au registre du commerce et son numéro de TVA et qu’il avait sollicité que les factures soient réglées à son ordre personnel, ce qui était une façon de procéder pour le moins ambiguë” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’Edgard X... a, de janvier 1995 à mars 1996, exploité un atelier de confection dans un établissement secondaire de la société dont il est gérant ;qu’il n’a pas requis son immatriculation au registre du commerce et des sociétés ni procédé aux déclarations exigées par les organisations de protection sociale et par l’administration fiscale et a employé irrégulièrement des personnes en méconnaissance des prescriptions de l’article L. 324-10,3° du Code du travail ;

qu’il a été condamné définitivement pour travail clandestin ;

Attendu que, pour déclarer Gérard Z..., dirigeant de la société Pronuptia, coupable du délit prévu par l’article 324-9, alinéa 2, du Code du travail, l’arrêt attaqué énonce que cette société a, d’octobre 1995 à mars 1996, passé commande à Edgard X... de modèles qu’il créait, mais qui étaient référencés sous la marque Pronuptia, et lui faisait l’avance le cas échéant, de fonds pour la fabrication de robes ;

qu’elle retient que Gérard Z..., donneur d’ouvrage, au sens de l’article L. 324-9 du Code du travail, n’a fait aucune vérification quant à la situation de l’atelier de confection au regard des obligations prévues par l’article L. 324-10 du Code du travail, et a ainsi eu sciemment recours aux services de travailleurs clandestins ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui caractérisent en tous ses éléments constitutifs tant matériels qu’intentionnel l’infraction dont le prévenu a été déclaré coupable, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pinsseau conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Farge, Mmes Chanet, Anzani, Garnier conseillers de la chambre ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Paris, 11ème chambre du 27 janvier 1997

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail clandestin - Donneur d’ouvrage - Vérifications nécessaires - Obligations prévues par l’article L324-10 du Code du travail.

Textes appliqués :
• Code du travail L324-9 et L324-10