Vérifications plus étendues que celles de la solidarité financière

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 décembre 2021, 20-86.055, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 20-86.055
ECLI:FR:CCASS:2021:CR01485
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mardi 07 décembre 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles, du 23 octobre 2020

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Gaschignard
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° B 20-86.055 F-D

N° 01485

SM12
7 DÉCEMBRE 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 DÉCEMBRE 2021

La société [1] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, 9e chambre, en date du 23 octobre 2020, qui, pour recours aux services d’un travailleur dissimulé, l’a condamnée à 10 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société [1], les observations de la SCP Gaschignard, avocat de Mmes [Z] [O], [J] [U], [S] [U], [F] [U], M. [H] [U], [G] [U] et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. En mai 2000, [L] [U] a été embauché en qualité d’ingénieur informatique par la société [2], société de droit canadien spécialisée dans les prestations de service informatique.

3. Durant l’été 2000, il a été détaché au sein de la filiale [3], société de droit français, pour laquelle il a effectué des missions notamment auprès de la société [1].

4. Par acte du 27 avril 2009, la société [1], associée unique de la société [3], a procédé à son absorption.

5. Le 2 juillet 2009, [L] [U] est décédé à la suite d’un accident de la circulation alors qu’il se rendait de son domicile à son lieu de travail.

6. Son épouse, en son nom personnel et au nom de ses enfants mineurs, a porté plainte et s’est constituée partie civile contre personne non dénommée du chef de travail dissimulé en exposant que la société [3] avait employé son conjoint sans le déclarer en France.

7. Par ordonnance en date du 26 avril 2018, la société [1] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de recours aux services d’un travailleur dissimulé du 1er mai 2009 au 1er juillet 2009.

8. Par jugement en date du 11 mars 2019, le tribunal correctionnel a relaxé la prévenue et a débouté les parties civiles de leurs demandes.

9. Le procureur de la République a formé appel principal de ce jugement et les parties civiles appel incident.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

10. Le grief n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a, statuant sur la culpabilité, déclaré la société [1] coupable dans les termes de la prévention et, statuant sur la peine, l’a condamnée à 10 000 euros d’amende, alors :

« 1°/ que saisi in rem, le juge répressif ne peut statuer que sur les faits visés à l’acte qui le saisit, sauf accord exprès du prévenu d’être jugé sur des faits non compris dans les poursuites ; qu’en l’espèce, la prévention, qui visait la période allant du 1er mai 2009 au 1er juillet 2009, délimitait exactement l’étendue dans le temps de la poursuite et, partant, de la saisine du juge répressif ; que pour entrer en voie de condamnation à l’encontre de la société [1], la cour d’appel a énoncé que ?la société [1] n’ont jamais effectué de vérification s’agissant de la situation de [L] [U], salarié détaché n’ayant pas fait l’objet de déclaration à l’inspection du travail ; (?) la société [1], où [L] [U] était en mission depuis 2000, connaissait parfaitement la durée du détachement de l’intéressé et les conséquences de l’absence de demande prolongation et de déclaration à l’inspection du travail, et ce depuis 2006 et a minima depuis 2008 lorsqu’elle avait repris tous les salariés de [3], dont [L] [U], qui travaillait toujours chez elle, ne faisait pas partie ? ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a fait courir le délai de six mois de l’article D. 8222-7 du code du travail à compter de 2008, soit avant que ne commence le délai de prévention, a violé l’article 388 du code de procédure pénale ;

2°/ que l’infraction de recours aux services de celui qui procède à un travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié est caractérisée à l’encontre du donneur d’ordre visé à l’article L. 8221-1 du code du travail en l’absence de vérification, par ce dernier, dans le délai de six mois de l’article D. 8222-7 du code du travail, de la régularité au regard des articles L. 8221-5 et L. 8222-4 de ce même code, de la situation du prestataire établi à l’étranger dont il utilise les services ; que l’absorption du donneur d’ordre, par l’effet d’une transmission universelle de patrimoine, fait courir un nouveau délai de six mois à l’expiration duquel, en l’absence de vérification réalisée par l’absorbant, l’infraction sera caractérisé à son encontre ; que la découverte préalable, par l’absorbant, de faits susceptibles de caractériser un détachement salarié irrégulier au sein de la salariée absorbée, ne le prive pas du délai de six mois pour vérifier la régularité du détachement auquel se serait livré l’absorbée et, le cas échéant, le régulariser ; que la prévention était limitée pour la période allant du 1er mai 2009, date à laquelle la société [1] a absorbé la société [3], jusqu’au 1er juillet 2009, dernier jour travaillé par [L] [U] avant son décès ; qu’à compter du 1er mai 2009, la société [1] disposait donc d’un délai de six mois pour procéder aux vérifications imposées par le code du travail et régulariser la situation de [L] [U], ce qui faisait obstacle à la caractérisation de l’infraction de recours aux services de celui qui procède à un travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié ; que pour caractériser l’élément matériel de l’infraction, la cour d’appel a pourtant énoncé ?que la société [3] et la société [1] n’ont jamais effectué de vérification s’agissant de la situation de [L] [U], salarié détaché n’ayant pas fait l’objet de déclaration à l’inspection du travail ; (?) que dès lors, la société [1], où [L] [U] était en mission depuis 2000, connaissait parfaitement la durée du détachement de l’intéressé et les conséquences de l’absence de demande prolongation et de déclaration à l’inspection du travail, et ce depuis 2006 et a minima depuis 2008 lorsqu’elle avait repris tous les salariés de [3], dont [L] [U], qui travaillait toujours chez elle, ne faisait pas partie ? ; qu’en condamnant la société [1] au motif qu’elle aurait pu identifier, dès 2008, l’irrégularité du détachement du salarié quand cette éventuelle connaissance ne la privait pas du délai de six mois qui avait débuté au 1er mai 2009 pour vérifier et régulariser personnellement la situation de [L] [U] et qui n’était pas expiré à la date à laquelle la prévention s’est achevée, la cour d’appel a violé les articles L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8222-1, L. 8222-4 et D. 8222-7 du code du travail, ensemble l’article 121-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

12. Aux termes de l’article L. 8221-1, 3°, du code du travail, est interdit le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé.

13. La Cour de cassation juge que les dispositions des articles L. 8222-1 et R. 8222-1 du code du travail, relatives à l’obligation de procéder à des vérifications lors de la conclusion de contrats portant sur des opérations d’un montant au moins égal à 3 000 euros, concernent la seule application de la solidarité financière imposée par ledit code entre les donneurs d’ordre et les maîtres d’ouvrage (Crim., 3 avril 2013, pourvoi n° 12-83.373).

14. Il s’ensuit que ces dispositions n’ont pas pour objet de réduire le champ de l’incrimination du délit de recours aux services d’un travailleur dissimulé, défini à l’article L. 8221-1, 3°, du code du travail, aux seules hypothèses où est méconnue l’obligation de vérification précitée.

15. Dès lors, lorsqu’il est établi que le prévenu avait connaissance de l’irrégularité de la situation de son cocontractant, il importe peu qu’aucun manquement à son obligation légale de vérification ne puisse par ailleurs lui être reproché.

16. En l’espèce, pour infirmer le jugement et condamner la société [1] du chef de recours aux services d’un travailleur dissimulé, l’arrêt, après avoir relevé que [L] [U] n’avait pas de contrat de travail avec la société [3], énonce, qu’employé par la société [2], il a été en mission durant neuf ans en France auprès de la société [1] avec qui la première avait conclu un contrat de sous-traitance.

17. Les juges constatent qu’en application de l’entente entre la France et le Québec du 17 décembre 2003, [L] [U] n’était plus couvert par la législation sociale québécoise ni affilié au régime social français.

18. Ils observent également que la société [3] savait, tout comme l’intéressé, qu’il n’était plus couvert par le régime social canadien, son détachement étant devenu irrégulier faute de demande de prolongation.

19. Ils en déduisent que la société [1], où [L] [U] était en mission depuis l’année 2000, connaissait parfaitement la durée de son détachement et les conséquences de l’absence de demande de prolongation et de déclaration à l’inspection du travail depuis au moins 2008 dès lors qu’à cette date elle avait repris tous les salariés de [3] dont [L] [U], qui bien que travaillant pour elle, ne faisait pas partie.

20. En prononçant ainsi, la cour d’appel, qui a caractérisé en tous ses éléments le délit dont elle a déclaré la prévenue coupable, a fait l’exacte application des dispositions invoquées au moyen.

21. En effet, il se déduit de ces énonciations que la société [1] a eu recours, durant la période visée à la prévention, aux services de [L] [U], en sachant que celui-ci était détaché de façon irrégulière, peu important qu’elle ait pu disposer d’un délai de six mois, à compter de l’absorption de la société [3], pour procéder aux vérifications imposées par l’article L. 8222-4 du code du travail.

22. Dès lors, les griefs ne peuvent être accueillis.

23. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société [1] devra payer à Mmes [Z] [O], [J] [U], [S] [U], [F] [U], M. [H] [U] et [G] [U] en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR01485