Vérification complémentaire nécessaire insuffisante

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 5 septembre 2006

N° de pourvoi : 05-84606

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq septembre deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DAVENAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Jean-Louis,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’ORLEANS, chambre correctionnelle, en date du 28 juin 2005, qui, pour travail dissimulé, marchandage, infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, l’a condamné à 4 mois d’emprisonnement avec sursis et à 6 amendes de 3 000 euros chacune ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324,11, L. 362-3, L. 320 et R. 324-4 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-Louis X... coupable de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé et l’a condamné de ce chef ;

”aux motifs que, par des motifs que la cour fait siens, le tribunal a retenu que la société Melibat n’avait pas satisfait à ses obligations quant à son immatriculation au registre des métiers et à la déclaration de l’ensemble de ses salariés aux organismes sociaux ;

”et aux motifs adoptés que la société Melibat, tant du fait de son activité que du nombre de salariés employés, devait être inscrite au répertoire des métiers, ce qu’elle n’était pas ; qu’il importe peu que cette société ait été inscrite au registre du commerce ; que le donneur d’ordre ou d’ouvrage doit procéder de bonne foi aux vérifications qui lui sont nécessaires, l’article L. 324-10 du code du travail interdisant d’avoir sciemment recours au travail dissimulé ; que, si la société TP BAT s’est fait communiquer les contrats de travail des salariés embauchés par la société Melibat, elle ne produit pas tous les documents prévus par l’article R. 324-4 du code du travail qui constituent le minimum des vérifications qu’elle était tenue d’effectuer ; qu’elle a, en effet, omis de se faire remettre l’attestation de fourniture de déclarations sociales dont la communication est prévue par l’article R. 324-4-1 , alors que la simple comparaison de ce document avec les contrats de travail en sa possession lui aurait montré l’existence d’un décalage entre le nombre de salariés embauchés et le nombre de salariés déclarés à l’URSSAF ; que, par ailleurs, elle a omis de se faire communiquer la carte justifiant l’inscription au répertoire des métiers ; que la mauvaise foi de Jean-Louis X... apparaît manifeste, dès lors qu’il ne s’est fait communiquer qu’une partie des documents pour se prémunir de la mise en cause de sa garantie solidaire, dans des conditions ne faisant pas apparaître directement

que la société Melibat était en réalité en infraction avec ses obligations légales et réglementaires ;

”alors, d’une part, que, selon l’article L. 324-10 du code du travail, le travail n’est réputé dissimulé, par dissimulation d’activité, que lorsque l’intéressé n’a pas requis son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, de sorte que le travail dissimulé n’est constitué qu’en l’absence totale d’inscription ; qu’en l’espèce, la société Melibat était, selon les propres constatations des juges du fond, inscrite au registre du commerce et des sociétés, ce qui excluait toute clandestinité et ce qui impliquait que la société TP BAT n’avait pas à exiger la preuve supplémentaire d’une inscription au répertoire des métiers ; que, en estimant le contraire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”alors, d’autre part, que l’article R. 324-4 du code du travail est un règlement d’application de l’article L. 324-14 du même code relatif à la mise en oeuvre de la garantie financière solidaire du donneur d’ordre ou d’ouvrage ; qu’il s’ensuit qu’un manquement aux vérifications exigées par l’article R.324-4 du code du travail, s’il peut entraîner la solidarité concernant le paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges, ne saurait entraîner une sanction pénale ; qu’en déclarant Jean-Louis X... coupable de recours au travail dissimulé, au motif qu’il avait omis de se faire remettre l’attestation de fourniture de déclarations sociales dont la communication est prévue par l’article R. 324-4 1 , du code du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”alors, de troisième part, que l’article L. 324-9 du code du travail précise qu’il est interdit d’avoir recours sciemment aux services de celui qui exerce un travail dissimulé ; qu’en l’espèce, Jean-Louis X... faisait valoir qu’il avait exercé une vigilance suffisante, en se faisant remettre, notamment, un extrait K bis de la société Melibat, une attestation d’inscription à l’URSSAF, la déclaration unique d’embauche de Hassan Y... du 23 juillet 2001, les contrats de travail des salariés de la société Melibat, ainsi qu’une attestation sur l’honneur certifiant que le travail sera réalisé avec des salariés employés régulièrement ; qu’en s’abstenant de rechercher si, compte tenu de l’ampleur des documents exigés par le donneur d’ouvrage, ce dernier n’avait pas procédé à des vérifications suffisantes, et si le défaut d’exigence de l’attestation de fourniture de déclarations sociales ne relevait pas d’une simple négligence exclusive de mauvaise foi, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

”alors, enfin, que la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, reprocher à Jean-Louis X... une ingérence dans le fonctionnement de l’entreprise prestataire pour s’être fait communiquer les contrats de travail des salariés de la société Melibat, tout en lui reprochant, par ailleurs, une insuffisance de vérification pour s’être abstenu de comparer les contrats de travail des salariés de la société Melibat avec l’attestation de fourniture de déclarations sociales ; qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué n’est pas légalement justifié” ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 152-3 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-Louis X... coupable du délit de marchandage et l’a condamné de ce chef ;

”aux motifs que l’infraction est constituée, dès lors que n’étaient pas réunis les critères de la sous-traitance, de sorte que la prestation litigieuse devait nécessairement s’analyser en un prêt illicite de main-d’oeuvre ayant pour effet de fausser la concurrence et de priver les salariés concernés des protections qui leur sont accordées par le droit du travail ;

”et aux motifs adoptés qu’il ressort des constatations de l’inspection du travail que les salariés de la société Melibat étaient, en réalité, sous la subordination de la société utilisatrice TP BAT, ainsi qu’il ressort, d’une part, des propos d’un responsable de cette société faisant état de ce que ces salariés ne tenaient pas compte des remarques qui leur étaient faites malgré la surveillance exercée sur eux, et, d’autre part, de la constatation par les inspecteurs du travail que les salariés de la société Melibat avaient cessé le travail sur injonction d’un membre de l’encadrement de TP BAT ; que la société Melibat n’a, à l’évidence, été constituée, comme il est devenu courant dans certaines professions et notamment dans le BTP, que pour dissimuler l’emploi de travailleurs précaires mis à disposition d’utilisateurs que sont les donneurs d’ordre ou d’ouvrage, sans faire appel à des entreprises de travail temporaire, qui peuvent ainsi disposer d’une main-d’oeuvre sans statut, échappant de fait à l’ensemble des prescriptions protectrices du droit du travail, que ce soit en ce qui concerne leur emploi et leur droit à bénéficier des avantages accordés aux salariés du donneur d’ordre ou, dans les cas où le recours en serait licite, au statut de travailleurs intérimaires, ou en ce qui concerne enfin les dispositions relatives à l’hygiène et à la sécurité du travail ;

”alors, d’une part, que, dans le cadre d’une sous-traitance, le donneur d’ouvrage peut donner aux salariés de l’entreprise prestataire des instructions directes relatives à la sécurité, sans pour autant que les juges puissent en déduire que ces salariés seraient placés sous l’autorité directe de l’entreprise utilisatrice ; qu’en retenant l’existence d’une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre sous couvert de “ fausse sous-traitance “, au motif que le fait que les cadres de TP BAT avaient, dans certaines situations, donné aux salariés de la société Melibat des instructions directes relatives à la sécurité, serait révélateur d’un lien de subordination direct entre la société TP BAT et les salariés de l’entreprise prestataire, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, d’autre part, que le délit de marchandage suppose non seulement une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre, mais également une opération ayant pour effet de créer un préjudice aux salariés ou d’éluder l’application d’un texte légal, réglementaire ou conventionnel ; qu’en se déterminant par des considération d’ordre général relatives aux “ donneurs d’ordre ou d’ouvrage ( ) qui peuvent disposer d’une main-d’oeuvre sans statut, échappant de fait à l’ensemble des prescriptions protectrices du droit du travail “, sans préciser concrètement en quoi l’opération litigieuse aurait créé, en l’espèce, un préjudice aux salariés de la société Melibat, et quel était le texte légal, réglementaire ou conventionnel que l’opération litigieuse aurait eu pour effet d’éluder, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-1, L. 231-2, et L. 263-2 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-Louis X... coupable de six infractions à la sécurité du travail dans le bâtiment, et l’a condamné de ce chef ;

”aux motifs que les infractions aux règles de sécurité sont imputables à Jean-Louis X..., pris en sa qualité de dirigeant de l’entreprise utilisatrice, puisqu’au regard du contrat s’analysant en un prêt illicite de main-d’oeuvre, les salariés de la société Melibat se trouvaient en réalité sous la subordination de la société TP BAT ;

”et aux motifs adoptés que le fait d’avoir recouru à des salariés fournis par l’entreprise Melibat, dans le cadre d’un contrat de fausse sous-traitance s’analysant en réalité en un contrat de prêt de main-d’oeuvre a pour conséquence que les salariés en question se trouvaient sous la subordination de TP BAT, ce qui caractérise une relation de travail rendant applicables à cette société les dispositions du droit du travail relatives à l’emploi de ces salariés ;

que c’est donc à juste titre que les infractions à la sécurité du travail constatées sur le chantier, mettant en cause des salariés fournis par la société Melibat mais employés par TP BAT, ont été poursuivies à l’encontre de Jean-Louis X... ;

”alors, d’une part, que la cassation, qui ne manquera pas d’intervenir sur la première branche du deuxième moyen, de l’arrêt attaqué en ce qu’il a retenu, à l’encontre de Jean-Louis X..., le délit de marchandage au motif que le véritable employeur des salariés fournis par la société Melibat était la société TP BAT dirigée par Jean-Louis X..., entraînera nécessairement celle de l’arrêt attaqué en ce qu’il a retenu, à l’encontre de Jean-Louis X..., six infractions à la sécurité du travail au motif que ces infractions mettaient en cause des salariés fournis par la société Melibat mais employés par la société TP BAT dirigée par Jean-Louis X..., conformément au principe de la cassation par voie de conséquence ;

”alors, d’autre part, qu’il appartient aux juges du fond de motiver leurs décisions ; qu’en retenant, à l’encontre de Jean-Louis X..., six infractions à la sécurité du travail dans le bâtiment, au seul motif qu’il s’agissait d’ “ infractions à la sécurité du travail constatées sur le chantier, mettant en cause des salariés fournis par la société Melibat”, sans caractériser autrement ces infractions et les circonstances de leur commission, et sans préciser quel était le texte réglementaire méconnu, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pometan conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel d’Orléans chambre correctionnelle , du 28 juin 2005