Mise en oeuvre régulière de la solidarité financière oui - mise en recouvrement validée

CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 14/12/2021, 19VE00329, Inédit au recueil Lebon
CAA de VERSAILLES - 3ème chambre

N° 19VE00329
Inédit au recueil Lebon

Lecture du mardi 14 décembre 2021
Président
Mme DANIELIAN
Rapporteur
Mme Muriel DEROC
Rapporteur public
M. HUON
Avocat(s)
SELARL HEURTEL & MOGA
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL MK Bat a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d’une part, de prononcer la décharge de l’obligation de payer les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la SARL Concept Pep, pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, ainsi que les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles cette société a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2013, et dont le paiement lui a été réclamé à hauteur d’un montant total de 29 577 euros en sa qualité de codébiteur solidaire en application de l’article 1724 quater du code général des impôts ou, à titre subsidiaire, de confirmer le dégrèvement décidé le 1er octobre 2015 au titre des intérêts de retard pour un montant de 1 533 euros, d’autre part, de prendre acte de la demande de sursis à paiement conformément aux dispositions de l’article L. 277 du livre des procédures fiscales et, enfin, de mettre à la charge de l’État la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1602288 du 30 novembre 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2019, la SARL MK Bat, représentée par Me Heurtel, avocate, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée à hauteur de 29 577 euros ou, à défaut, de confirmer le dégrèvement du 1er octobre 2015 au titre des intérêts de retard pour un montant de 1 533 euros ;

3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
 les premiers juges ont méconnu le principe de " présomption de vérification " prévu à l’article D. 8222-5 du code du travail, en imposant une vérification des documents au moment de leur remise, alors qu’elle s’est fait remettre les documents utiles qu’elle a vérifiés, par la SARL Concept PEP, et que ces documents remis ne comportaient aucune anomalie ou discordance ;
 les trois attestations de l’URSSAF transmises au service sont authentiques, en dépit de leur péremption ;
 le montant des impositions supplémentaires mises à sa charge n’est pas justifié ;
 le ratio de 9,95% retenu pour déterminer le quantum des sommes mises à sa charge, n’est pas justifié en l’absence de justificatif du montant des encaissements réalisés par la SARL Concept PEP du 1er janvier au 31 décembre 2013 ; il n’est pas démontré que ce quantum aurait été déterminé à due proportion de la valeur des travaux réalisés par la SARL Concept PEP ;
 ce quantum ne pouvait être déterminé au regard de la période susmentionnée dès lors qu’elle n’était plus en relation d’affaires avec la SARL Concept PEP à compter du mois d’octobre 2013.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
 le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
 le code de la sécurité sociale ;
 le code du travail ;
 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de Mme Deroc,
 et les conclusions de M. Huon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A l’issue de la vérification de comptabilité de la SARL Concept PEP, l’administration fiscale a mis à sa charge, pour un montant total de 530 672 euros en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour l’année 2013 ainsi que, pour un montant total de 48 428 euros en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos en 2013. La SARL Concept PEP a en outre fait l’objet d’une procédure pour travail dissimulé à l’issue de laquelle un procès-verbal de constatation de travail dissimulé a été établi, le 16 février 2015. En application de l’article 1724 quater du code général des impôts, un avis de mise en recouvrement n° 150405026-2 a été émis le 7 août 2015 à l’encontre de la SARL MK Bat, afin de lui réclamer, en sa qualité de donneuse d’ordre et de débitrice solidaire, le paiement de la somme de 29 577 euros, représentant le montant des redressements dus par la SARL Concept PEP au titre de l’exercice 2013, en proportion du chiffre d’affaires réalisé avec celle-ci au cours de l’année 2013. La SARL MK Bat fait appel du jugement du 30 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à ce qu’elle soit déchargée de l’obligation de payer cette somme de 29 577 euros.

En ce qui concerne le cadre juridique du litige :

2. D’une part, aux termes de l’article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l’article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l’article L. 8222-3 du code précité ".

3. L’article L. 8222-1 du code du travail prévoit que toute personne qui conclut un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l’article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale (...) ". Aux termes de l’article L. 8222-3 de ce code : " Les sommes dont le paiement est exigible en application de l’article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ".

4. Pour l’application de l’article 1724 quater du code général des impôts, l’obligation de vérification incombant au donneur d’ordre naît à la conclusion du contrat et dure jusqu’à la fin de l’exécution de celui-ci. Cette obligation est méconnue pour la totalité de cette période si le donneur d’ordre n’effectue pas l’une des vérifications périodiques qui lui incombe. En cas de manquement à cette obligation de vérification, la solidarité de paiement couvre toute la durée du contrat au cours de laquelle a été constatée une infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé.

5. D’autre part, aux termes de l’article D. 8222-5 du code du travail, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2012 : " La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / (...) " et de l’article D. 243-15 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le cocontractant emploie des salariés, l’attestation prévue à l’article L. 243-15 mentionne l’identification de l’entreprise, le nombre de salariés et le total des rémunérations déclarés au cours de la dernière période ayant donné lieu à la communication des informations prévue à l’article R. 243-13. / La contestation des cotisations et contributions dues devant les juridictions de l’ordre judiciaire ne fait pas obstacle à la délivrance de l’attestation. Toutefois, l’attestation ne peut pas être délivrée quand la contestation fait suite à une verbalisation pour travail dissimulé. / L’attestation est sécurisée par un dispositif d’authentification délivré par l’organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions sociales. Le donneur d’ordre vérifie l’exactitude des informations figurant dans l’attestation transmise par son cocontractant par voie dématérialisée ou sur demande directement auprès de cet organisme au moyen d’un numéro de sécurité. ".

En ce qui concerne le bien-fondé de la solidarité de paiement :

6. Ainsi qu’il a été exposé au point 1., la SARL Concept PEP a enfreint en 2013 les dispositions du code du travail relatives au travail dissimulé. Il est constant que la SARL MK Bat a recouru à des opérations de sous-traitance effectuées par la SARL Concept PEP du 1er janvier au 31 octobre 2013, opérations à raison desquelles sa solidarité financière a été retenue.

7. Si, en vertu des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits qu’elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci. Il appartient, dès lors, au donneur d’ordre, pour l’application des dispositions précitées de l’article D. 8222-5 du code du travail, de justifier de l’accomplissement de ses obligations de vigilance et de contrôle en découlant, au nombre desquelles figure l’obligation de s’assurer auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, au moment de contracter et à chaque échéance semestrielle, de l’authenticité de l’attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale adressées par son cocontractant. Toutefois, dans l’hypothèse où le donneur d’ordre n’est pas en mesure d’établir qu’il a effectivement satisfait à son obligation de contrôle aux échéances prévues mais qu’il résulte de l’instruction que les documents exigés par la loi et la réglementation ont été présentés et qu’ils émanent de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, sa solidarité de paiement prévue par les dispositions de l’article 1724 quater du code général des impôts ne saurait être recherchée.

8. D’une part, contrairement à ce que soutient la SARL MK Bat, les dispositions des articles L. 8222-1 et D. 8222-5 du code du travail n’ont ni pour objet, ni pour effet, d’instituer une quelconque forme de " présomption de vérification " selon laquelle le donneur d’ordre ne serait tenu de procéder à la vérification de l’authenticité des attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale remises par son sous-traitant qu’en cas de discordance ou d’anomalie, mais imposent, en toutes circonstances, au donneur d’ordre de procéder à tel un contrôle.

9. D’autre part, si la SARL MK Bat admet ne pas s’être assurée de l’authenticité des attestations visées au 1° de l’article D. 8222-5 du code du travail, qu’elle s’est fait remettre par la SARL Concept PEP, auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale lors de leur remise, ni même ultérieurement, elle se prévaut toutefois du caractère authentique de ces documents. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction, et notamment des seules copies d’écran du site de l’URSSAF en date du 24 novembre 2015 qu’elle produit, que les documents présentés sous l’en-tête " URSSAF " émaneraient réellement de cet organisme et revêtiraient un caractère authentique.

10. Dans ces conditions, l’administration fiscale a pu regarder à bon droit la SARL MK Bat comme ayant manqué à son obligation de vigilance vis-à-vis de la SARL Concept PEP et mettre en jeu à son égard la solidarité de paiement prévue par l’article 1724 quater du code général des impôts.

En ce qui concerne l’étendue de la solidarité financière :

11. En premier lieu, aux termes de l’article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d’office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition ". Aux termes de l’article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l’article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l’imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ". Dès lors que la SARL Concept PEP a été imposée, par voie d’évaluation d’office en application de l’article L. 74 du livre des procédures fiscales, il appartient à la SARL MK Bat, qui est, en sa qualité non contestée de débiteur solidaire, soumise au même régime de charge de la preuve que le débiteur principal, d’apporter la preuve de l’exagération des montants imposables retenus par l’administration.

12. En l’espèce, la SARL MK Bat n’apporte pas la preuve de l’exagération des impositions pour le paiement desquelles elle est tenue solidairement responsable en se bornant à faire valoir qu’il ne serait pas justifié du montant des encaissements réalisés par la SARL Concept PEP au cours de l’année 2013, alors que le ministre de l’action et des comptes publics précise que les données retenues procèdent des éléments recueillis lors de la vérification de comptabilité de la société sous-traitante et figurant dans la proposition de rectification du 23 février 2015 adressée à cette dernière, et qu’il est constant que la société requérante s’est abstenue de demander la communication des documents mentionnés dans l’avis de mise en recouvrement dont elle a été destinataire ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l’exigibilité des impositions ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels elle est tenue.

13. En deuxième lieu, la SARL MK Bat conteste le quantum des sommes qui lui sont réclamées au motif qu’il n’aurait pas été déterminé à due proportion de la valeur des travaux réalisés par la SARL Concept PEP. Il résulte toutefois de l’instruction que l’administration fiscale a déterminé le montant de la part des impositions supplémentaires et des majorations correspondantes mises à la charge de la SARL Concept PEP, dont est redevable la SARL MK Bat au titre de sa responsabilité solidaire, en tenant compte, d’une part, des services qui ont été fournis à cette dernière en 2013, soit 156 676 euros et, d’autre part, de l’ensemble des travaux réalisés par la SARL Concept PEP, soit 1 574 994 euros, tels que relevés à l’occasion des opérations de contrôle. La proportion en résultant, soit 9,95%, a été appliquée aux rappels notifiés à la SARL Concept PEP au titre de la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2013, limitant ainsi l’engagement de la solidarité financière de la SARL MK Bat, à hauteur de la part de ses commandes dans l’activité de la société sous-traitante. Ce faisant, l’administration fiscale doit ainsi être regardée comme ayant déterminé le montant des sommes dont le paiement est demandé à la SARL MK Bat, conformément aux dispositions précitées de l’article L. 8222-3 du code du travail.

14. La SARL MK Bat soutient, en troisième lieu, que ses relations d’affaires avec la SARL Concept PEP ayant pris fin au mois d’octobre 2013, l’administration ne peut pas lui réclamer, au titre de la solidarité de paiement en sa qualité de donneur d’ordre, les impositions dues par la SARL Concept PEP et dont le paiement est exigible au-delà de cette date.

15. Toutefois et d’une part, la méthode alternative ainsi proposée consistant à faire jouer uniquement la solidarité sur les impositions dont la date d’exigibilité est comprise dans la période allant du 1er janvier au 31 octobre 2013, ne tient pas compte des seules impositions générées par les prestations que la SARL MK Bat a commandées à la société sous-traitante, et ne permet pas, par conséquent, de déterminer la somme dont le paiement est exigible au titre de la solidarité dans les conditions prévues à l’article L. 8222-3 du code du travail, c’est-à-dire à due proportion de la valeur des travaux réalisés et des services fournis. D’autre part et au surplus, alors qu’ainsi qu’il a été rappelé au point 4. du présent arrêt, en cas de manquement à l’obligation de vérification, la solidarité de paiement couvre toute la durée du contrat au cours de laquelle a été constatée une infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé et la SARL MK Bat n’établit pas que ses relations contractuelles avec la SARL Concept PEP auraient pris fin au mois d’octobre 2013. Enfin et en tout état de cause, à supposer même que l’étendue de la solidarité financière à laquelle la SARL MK Bat est tenue puisse ou doive être déterminée au regard de la quote-part des rappels afférents à la seule période du 1er janvier au 31 octobre 2013, cette quote-part devrait alors être déterminée, ainsi que le fait valoir à juste titre le ministre de l’action et des comptes publics, au vu du chiffre d’affaires réalisé par la SARL Concept PEP sur la même période et ne serait plus de 9,95 mais de 11,94%, soit une somme due par le débiteur solidaire supérieure à celle mise en recouvrement.

16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’étendue du litige, que la SARL MK Bat n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par ailleurs, dès lors qu’il n’appartient pas au juge de l’impôt de " confirmer " un dégrèvement intervenu avant même l’introduction de toute procédure contentieuse, ses conclusions présentées en ce sens à titre subsidiaire ne peuvent qu’être rejetées. Enfin et par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL MK Bat est rejetée.
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