mise en oeuvre régulière de la solidarité financière oui - recouvrement validé

, par Hervé

CAA de VERSAILLES, 7ème chambre, 28/01/2021, 18VE01919, Inédit au recueil Lebon
CAA de VERSAILLES - 7ème chambre

N° 18VE01919
Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 28 janvier 2021
Président
M. EVEN
Rapporteur
M. Nicolas TRONEL
Rapporteur public
M. ILLOUZ
Avocat(s)
MICHEL
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société PMG a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de l’obligation de payer, au titre de la période allant du mois d’avril 2011 au mois de mars 2013, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société RB, dont le paiement lui a été notifié par un avis de mise en recouvrement n° 150563035 du 7 mai 2015 en sa qualité de débitrice solidaire de cette société, en application de l’article 1724 quater du code général des impôts, pour un montant total de 75 432 euros.

Par un jugement n° 1600794 du 21 mars 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l’a déchargée de l’obligation de payer les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée figurant sur l’avis de mise en recouvrement n° 150563035 du 7 mai 2015.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 juin 2018, le ministre de l’action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de remettre à la charge de la société PMG l’obligation de payer la somme de 75 432 euros.

Il soutient que :
 contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la société PMG a eu connaissance des modalités de détermination des sommes en cause et a été en mesure de vérifier l’étendue de son obligation solidaire déterminée conformément à l’article L. 8222-3 du code du travail ;
 les autres moyens soulevés par la société PMG en première instance ne sont pas fondés.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
 le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
 le code de procédure civile ;
 le code du travail ;
 le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de M. B...,
 et les conclusions de M. Illouz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l’instruction, qu’à l’issue de la vérification de comptabilité de la société RB, l’administration fiscale a mis à sa charge, pour un montant total de 1 610 267 euros en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre des années 2011 à 2013 ainsi que, pour la même période, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. La société RB a en outre fait l’objet, pour la période allant du 19 avril 2011 au 31 mars 2013, d’un procès-verbal de travail dissimulé établi par la direction départementale des finances publiques du Val-d’Oise, le 16 septembre 2014. En application de l’article 1724 quater du code général des impôts, un avis de mise en recouvrement n° 150563035 a été émis le 7 mai 2015 à l’encontre de la société PMG, afin de lui réclamer, en sa qualité de débitrice solidaire, le paiement de la somme de 75 432 euros, représentant le montant des impositions supplémentaires et des intérêts de retard dus par la société RB, en proportion du chiffre d’affaires réalisé avec celle-ci au cours de la période allant du 19 avril 2011 au 31 mars 2013. Le ministre fait appel du jugement du 21 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déchargé la société PMG de l’obligation de payer la somme de 75 432 euros.
Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l’article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail (...) est, conformément à l’article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l’article L. 8222-3 du code précité ".
3. Il résulte des dispositions de l’article L. 8222-1 du code du travail que toute personne qui conclut un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l’article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale (...) ". Par sa décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, citées ci-dessus, sous la réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le
bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires, ainsi que les pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

4. Aux termes de l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L’avis de mise en recouvrement individuel prévu à l’article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l’objet de cet avis. / Lorsque l’avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l’article L. 57 ou à la notification prévue à l’article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l’informant d’une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (...) ". Aux termes de l’article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d’une créance à l’égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d’eux un avis de mise en recouvrement ".

5. Il résulte des dispositions précitées que lorsque l’administration adresse un avis de mise en recouvrement par lequel elle met en oeuvre une solidarité de paiement, telle que celle qui est prévue par l’article 1727 quater du code général des impôts, à l’encontre d’une société qui n’a pas procédé aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail, elle est tenue de lui adresser un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter les indications prescrites par l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d’obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement, ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires, ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels il est tenu.

6. L’administration ne peut pas refuser la communication des documents utiles à la défense du débiteur solidaire lorsqu’ils sont en sa possession, sauf à priver ce dernier d’une garantie au respect de laquelle le Conseil constitutionnel a subordonné la conformité à la Constitution de la disposition législative instituant la solidarité de paiement. Il en découle que le refus de communication est de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre des dispositions de l’article 1724 quater du code général des impôts. En revanche, lorsque l’administration fiscale produit en cours d’instance, soit spontanément, soit à la suite d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge de l’impôt, saisi par le débiteur solidaire d’une demande en ce sens, y compris pour la première fois en cause d’appel, les éléments du dossier fiscal nécessaires à sa défense, la circonstance que le service ait initialement refusé de communiquer ces éléments au débiteur solidaire est sans influence sur la possibilité de mettre en oeuvre la solidarité. Dans cette hypothèse, le débiteur solidaire, une fois en possession de ces éléments, peut soulever à l’appui de sa demande en décharge de l’obligation de payer, dans la limite des conclusions de sa demande, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d’appel, jusqu’à la clôture de l’instruction, tous moyens relatifs à la régularité et au bien-fondé des impositions au paiement desquelles il est solidairement tenu.

7. Il résulte de l’instruction que, par une lettre du 30 mai 2017, en réponse à une demande de la société PMG formulée le 23 décembre 2016, l’administration lui a adressé le détail du montant mis à sa charge par l’avis de mise en recouvrement du 7 mai 2015, en précisant, dans un tableau récapitulatif, par période concernée, le montant des encaissements de la société RB, le montant des prestations que cette société lui a fournies et le prorata que représente la part de ses commandes dans les encaissements de la société RB. Ce tableau indique en outre, par application du prorata aux suppléments d’impôt sur les sociétés, au rappel de taxe sur la valeur ajoutée et aux intérêts de retard réclamés à la société RB, le montant dû par la société PMG en sa qualité de débitrice solidaire. La société PMG disposait ainsi d’éléments suffisants pour soulever tous moyens relatifs à la régularité et au bien-fondé des impositions au paiement desquelles elle est solidairement tenue.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu le motif tiré de ce que l’administration n’avait pas justifié la méthode de calcul pour décharger la société PMG de l’obligation de payer la somme de 75 432 euros.

9. Il appartient à la Cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif, d’examiner les autres moyens de la société PMG en première instance.

Sur les autres moyens invoqués par la société PMG :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d’imposition :

10. Aux termes de l’article 495 du code de procédure civile : " L’ordonnance sur requête est motivée. / Elle est exécutoire au seul vu de la minute. / Copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ".

11. La société PMG soutient que M. A... n’a pas pu régulièrement représenter la société RB au cours de la vérification de comptabilité dont celle-ci a fait l’objet, dès lors que l’ordonnance du 2 décembre 2013, par laquelle le président du tribunal de commerce de Pontoise l’a désigné comme mandataire administratif hoc de cette société RB à la demande de l’administration, ne lui a pas été régulièrement notifié. Mais il résulte des dispositions précitées que l’ordonnance désignant le mandataire ad hoc est exécutoire au seul vu de la minute, sans qu’il soit besoin de rechercher si elle a fait l’objet de formalités la rendant opposable. Le moyen susvisé ne peut donc qu’être écarté.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de la procédure de solidarité de paiement :

12. Ainsi qu’il a été au point précédent, M. A... pouvait représenter la société RB. Par suite, le moyen tiré de ce que la solidarité de paiement ne pouvait pas être mise en oeuvre à l’égard de la société PMG faute pour l’administration d’avoir préalablement et régulièrement notifié l’avis de mise en recouvrement des impositions mises à la charge de la société RB en l’adressant à M. A... en sa qualité de mandataire administratif hoc, doit être écarté.

13. Il résulte des principes rappelés au point 6 que la circonstance que la société PMG n’a eu connaissance de la vérification de comptabilité de la société RB et de l’engagement contre celle-ci d’une procédure de travail dissimulée qu’au cours de la procédure de première instance, ne l’a pas privée des garanties attachées au respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.

14. En outre, la circonstance que la société PMG ne dispose d’aucune action récursoire contre la société RB ou les éventuels autres codébiteurs est sans incidence sur la régularité de la mise en oeuvre à son encontre de la solidarité de paiement prévue à l’article 1724 quater du CGI.

Sur le bien-fondé de la solidarité de paiement :

15. D’une part, pour l’application des dispositions précitées de l’article 1724 quater du code général des impôts, l’obligation de vérification incombant au donneur d’ordre naît à la conclusion du contrat et dure jusqu’à la fin de l’exécution de celui-ci. Cette obligation est méconnue pour la totalité de cette période si le donneur d’ordre n’effectue pas l’une des vérifications périodiques qui lui incombe. En cas de manquement à cette obligation de vérification, la solidarité de paiement couvre toute la durée du contrat au cours de laquelle a été constatée une infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé.

16. D’autre part, dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2011, l’article D. 8222-5 du code du travail indiquait que : " La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution : / 1° Dans tous les cas, les documents suivants : / a) Une attestation de fourniture de déclarations sociales émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions sociales incombant au cocontractant et datant de moins de six mois ; / b) Une attestation sur l’honneur du cocontractant du dépôt auprès de l’administration fiscale, à la date de l’attestation, de l’ensemble des déclarations fiscales obligatoires et le récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises lorsque le cocontractant n’est pas tenu de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers et n’est pas en mesure de produire les documents mentionnés au a ou au b du 2° ; / 2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants : / a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) (...) / 3° Lorsque le cocontractant emploie des salariés, une attestation sur l’honneur établie par ce cocontractant de la réalisation du travail par des salariés employés régulièrement au regard des articles L. 1221-10, L. 3243-2 et R. 3243-1 ". Dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2012, cet article dispose que : " La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / 2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants : / a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) (...) ".

S’agissant de l’infraction par la société RB aux dispositions du code du travail relatives au travail dissimulé :

17. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, le moyen tiré de ce que le procès-verbal pour travail dissimulé serait entaché de nullité faute pour M. A... de pouvoir représenter la société RB doit, en tout état de cause, être écarté.

S’agissant du respect par la société PMG de ses obligations découlant de l’article D. 8222-5 du code du travail :

18. Il n’est pas contesté par la société PMG qu’elle a recouru à des opérations de sous-traitance effectuées par la société RB du 19 avril 2011 au 31 mars 2013, période retenue par l’administration au titre de la solidarité financière de la société PMG.

En ce qui concerne la période allant du 19 avril au 31 décembre 2011 :

19. Il résulte des documents produits par la société PMG que celle-ci n’a disposé des attestations visées au a) et b) du 1° de l’article D. 8222-5 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, qu’à compter respectivement des 25 octobre et 4 novembre 2011. Il en résulte que la société PMG n’a pas respecté son obligation de vérification sur la totalité de la période allant du 19 avril au 31 décembre 2011.

En ce qui concerne la période allant du 1er janvier 2012 au 31 mars 2013 :

20. Il résulte de l’instruction que la société PMG ne s’est pas assurée, comme elle y est tenue par les dispositions précitées du 1° de l’article D. 8222-5 du code de travail dans sa rédaction alors applicable, de l’authenticité, auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, des attestations fournies par la société RB.

21. Il résulte de ce qui précède que dans ces conditions, l’administration fiscale a pu, pour ces seuls motifs, mettre en jeu à l’égard de la société PMG la solidarité de paiement prévue par l’article 1724 quater du code général des impôts au titre de la période allant du 19 avril 2011 au 31 mars 2013.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déchargé la société PMG de son obligation de payer la somme de 75 432 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1600794 du 21 mars 2018 est annulé.
Article 2 : L’obligation de payer la somme de 75 432 euros est remise à la charge de la société PMG.