CJUE Wolff et Muller - conformité oui

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
12 octobre 2004 (1)

« Article 49 CE – Restrictions à la libre prestation des services – Entreprises du secteur de la construction – Sous-traitance – Obligation pour une entreprise de se porter caution pour la rémunération minimale des travailleurs employés par un sous-traitant »

Dans l’affaire C-60/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesarbeitsgericht (Allemagne), par décision du 6 novembre 2002, parvenue à la Cour le 14 février 2003, dans la procédure

Wolff & Müller GmbH & Co. KG

contre

José Filipe Pereira Félix,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), président de chambre, MM. C. Gulmann et R. Schintgen, Mmes F. Macken et N. Colneric, juges,

avocat général : M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier : Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

considérant les observations présentées :


pour Wolff & Müller GmbH & Co. KG, par Me T. Möller, Rechtsanwalt,


pour M. Pereira Félix, par Me M. Veiga, Rechtsanwältin,


pour le gouvernement allemand, par Mme A. Tiemann, en qualité d’agent,


pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues ainsi que par Mmes C. Bergeot-Nunes et O. Christmann, en qualité d’agents,


pour le gouvernement autrichien, par MM. E. Riedl et G. Hesse, en qualité d’agents,


pour la Commission des Communautés européennes, par Mme M. Patakia, en qualité d’agent, assistée de Me R. Karpenstein, Rechtsanwalt,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 CE.

2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wolff & Müller GmbH & Co. KG (ci-après « Wolff & Müller »), une entreprise de construction, à M. Pereira Félix au sujet de la responsabilité de cette entreprise en tant que caution pour le paiement du salaire minimal dû à ce dernier par son employeur.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3
Le cinquième considérant de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), énonce :

« considérant qu’une telle promotion de la prestation de services dans un cadre transnational nécessite une concurrence loyale et des mesures garantissant le respect des droits des travailleurs ».

4
Aux termes de l’article 1er de la directive 96/71, intitulé « Champ d’application » :

« 1. La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre.

[…]

3. La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :

a)
détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

[…] »

5
L’article 3 de la directive 96/71, intitulé « Conditions de travail et d’emploi », dispose à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :


par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives

et/ou


par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe :

[…]

c)
les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

[…] »

6
Aux termes de l’article 5 de la directive 96/71, intitulé « Mesures » :

« Les États membres prennent des mesures adéquates en cas de non-respect de la présente directive.

Ils veillent en particulier à ce que les travailleurs et/ou leurs représentants disposent de procédures adéquates aux fins de l’exécution des obligations prévues par la présente directive. »

La réglementation nationale

7
La Verordnung über zwingende Arbeitsbedingungen im Baugewerbe (règlement sur les conditions de travail obligatoirement applicables dans le secteur du bâtiment), du 25 août 1999 (BGBl. 1999 I, p. 1894), prévoit à son article 1er :

« Les règles de la convention collective prévoyant un salaire minimal dans le secteur de la construction sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne (convention sur le salaire minimal) du 26 mai 1999, jointes en annexe 1 au présent règlement, [...] s’appliquent à tous les employeurs et les travailleurs non liés par cette convention, qui relèvent de son domaine d’application au 1er septembre 1999, lorsque l’activité de l’entreprise consiste principalement en des travaux de construction au sens de l’article 211, paragraphe 1, du livre III du Sozialgesetzbuch [code de sécurité sociale allemand, ci-après le « SGB III »]. Les règles de la convention collective s’appliquent également aux employeurs ayant leur siège à l’étranger et à leurs travailleurs employés dans le domaine d’application du règlement. »

8
Aux termes de l’article 1er bis de l’Arbeitnehmer-Entsendegesetz (loi sur le détachement des travailleurs, ci-après l’« AEntG »), inséré par l’article 10 du Gesetz zu Korrekturen der Sozialversicherung und zur Sicherung der Arbeitnehmerrechte (loi modifiant la sécurité sociale et garantissant les droits des travailleurs), du 19 décembre 1998 (BGBl. 1998 I, p. 3843), entré en vigueur le 1er janvier 1999 :

« Une entreprise qui charge une autre entreprise de réaliser des travaux de construction au sens de l’article 211, paragraphe 1, du SGB III répond, en tant que caution ayant renoncé au bénéfice de discussion, des obligations de cette entreprise, d’un sous-traitant ou d’un loueur de main-d’œuvre utilisé par l’entreprise ou un sous-traitant, du paiement du salaire minimal à un travailleur ou du paiement de cotisations à un organisme commun aux parties à la convention collective, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, deuxième et troisième phrases, paragraphe 2 bis, paragraphe 3, deuxième et troisième phrases, ou paragraphe 3 bis, quatrième et cinquième phrases. Le salaire minimal, au sens de la première phrase, comprend le montant dû au travailleur après déduction des impôts et des cotisations de sécurité sociale et de promotion de l’emploi ou de cotisations correspondantes de sécurité sociale (salaire net) ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

9
M. Pereira Félix est un ressortissant portugais qui, du 21 février au 15 mai 2000, a travaillé à Berlin (Allemagne) comme maçon sur un chantier en tant que travailleur d’une entreprise de construction ayant son siège au Portugal. Celle-ci a réalisé sur ce chantier des travaux de béton et de béton armé pour Wolff & Müller.

10
Par recours déposé le 4 septembre 2000 devant l’Arbeitsgericht Berlin (Allemagne), M. Pereira Félix a exigé de son employeur et de Wolff & Müller, en tant que débiteurs solidaires, le paiement de salaires non versés pour un montant de 4019,23 DEM. Il a fait valoir que cette dernière, en tant que caution, devait répondre, conformément à l’article 1er bis de l’AEntG, des sommes correspondant au salaire non perçu par lui.

11
Wolff & Müller s’est opposée aux demandes de M. Pereira Félix en soutenant notamment que sa responsabilité était exclue aux motifs que l’article 1er bis de l’AEntG constitue une atteinte illégale à sa liberté d’exercer une profession consacrée à l’article 12 du Grundgesetz (Loi fondamentale) et enfreint la liberté de prestation des services consacrée par le traité CE.

12
L’Arbeitsgericht Berlin a fait droit au recours de M. Pereira Félix. Le Landesarbeitsgericht (Allemagne), saisi par Wolff & Müller, a partiellement rejeté l’appel de celle-ci qui a, dès lors, introduit une procédure en « Revision » devant le Bundesarbeitsgericht.

13
Ce dernier constate que sont réunies les conditions préalables pour que Wolff & Müller soit responsable en tant que caution en application de l’article 1er bis de l’AEntG. Il juge également que cette disposition est compatible avec l’article 12 du Grundgesetz, car il s’agit d’une restriction proportionnée. Ladite disposition de l’AEntG lui semble cependant susceptible de faire obstacle à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE.

14
À cet égard, la juridiction de renvoi observe que la responsabilité en tant que caution prévue à l’article 1er bis de l’AEntG (ci-après la « responsabilité en tant que caution ») peut nécessiter des contrôles intensifs et des obligations de preuve qui affecteront particulièrement les sous-traitants étrangers. Cela entraînerait des frais et des charges administratives supplémentaires, non seulement pour l’entreprise générale, mais également pour les sous-traitants. Ces charges feraient obstacle à la prestation de travaux de construction en Allemagne pour les entreprises du bâtiment des autres États membres en rendant ladite prestation moins attrayante.

15
Par ailleurs, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si l’atteinte à la liberté de prestation des services qui résulte de l’article 1er bis de l’AEntG est justifiée.

16
D’une part, selon ladite juridiction, la responsabilité en tant que caution confère, certes, au travailleur un avantage réel qui contribue à le protéger. Les travailleurs disposeraient, en sus de leur employeur, d’un débiteur supplémentaire pour faire valoir leur droit au salaire net prévu par la réglementation nationale.

17
La juridiction de renvoi estime que cet avantage n’a toutefois que des effets limités. Pour le travailleur étranger détaché, il serait en pratique souvent difficile de faire valoir devant les tribunaux allemands son droit au salaire contre l’entrepreneur responsable en tant que caution. Le détachement ne durant souvent que quelques mois pour un projet de construction déterminé, les travailleurs ne maîtriseraient généralement pas la langue allemande et ne connaîtraient pas l’état du droit en Allemagne. La saisine d’un tribunal allemand pour faire valoir les prétentions de ces derniers, fondées sur la responsabilité en tant que caution, serait donc soumise à d’importantes difficultés. En outre, cette protection perdrait de sa valeur économique lorsque la chance réelle d’être employé contre rémunération en Allemagne diminue de façon sensible.

18
D’autre part, selon la juridiction de renvoi, il convient de tenir compte du fait que, en vertu des motifs de l’AEntG, l’objectif de la responsabilité en tant que caution est de rendre plus difficile l’octroi de contrats à des sous-traitants en provenance de pays dits « à faible salaire » et donc d’animer le marché de l’emploi allemand, de protéger l’existence économique des petites et moyennes entreprises en Allemagne ainsi que de combattre le chômage dans cet État membre. Ces considérations seraient au centre de la réglementation non seulement aux termes des motifs de ladite loi, mais plus encore si l’on considère objectivement celle-ci. La garantie ainsi octroyée aux travailleurs étrangers, pour des raisons sociales, d’un salaire doublé ou même parfois triplé, lorsqu’ils travaillent sur des chantiers en Allemagne, ne figurerait pas parmi les objectifs expressément énoncés de l’article 1er bis de l’AEntG.

19
Estimant que la solution du litige dont il est saisi dépend de l’interprétation de l’article 49 CE, le Bundesarbeitsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 49 CE (ancien article 59 du traité CE) s’oppose-t-il à des règles nationales selon lesquelles une entreprise de construction qui charge une autre entreprise d’effectuer des travaux de construction répond, en tant que caution ayant renoncé au bénéfice de discussion, des obligations de cette entreprise ou d’un sous-traitant pour le paiement du salaire minimal d’un travailleur ou de cotisations à un organisme commun aux parties à une convention collective, lorsque le salaire minimal consiste dans le montant à payer après déduction des impôts et des cotisations de sécurité sociale et de promotion de l’emploi ou des prestations correspondantes en matière de sécurité sociale qui doit être payé au travailleur (salaire net), lorsque ces règles n’ont pas pour objectif prioritaire la protection de la rémunération du travailleur ou que cette protection n’est qu’un objectif secondaire de celles-ci ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

20
La Commission des Communautés européennes fait valoir que le problème de la responsabilité en tant que caution pour les cotisations à un organisme commun aux parties à la convention collective ne relève pas de l’objet du litige au principal et, partant, doit être écarté de la demande de décision préjudicielle introduite par la juridiction de renvoi.

21
À cet égard, il convient de rappeler qu’une question préjudicielle posée par une juridiction n’est irrecevable que lorsqu’il apparaît de manière manifeste qu’elle ne porte pas sur l’interprétation du droit communautaire ou qu’elle est hypothétique (arrêt du 7 janvier 2004, Wells, C-201/02, non encore publié au Recueil, point 35 et jurisprudence citée). Tel n’est pas le cas en l’espèce.

22
En effet, il résulte du libellé de la question posée, qui paraphrase l’article 1er bis de l’AEntG qui constitue la disposition litigieuse au principal, que la question du paiement de cotisations à un organisme commun aux parties à une convention collective est intimement liée à celle du paiement du salaire minimal.

23
La demande de décision préjudicielle est donc recevable dans son intégralité.

Sur le fond

24
Il convient de rappeler que, en vue de fournir une réponse utile à la juridiction qui lui a adressé une question préjudicielle, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes de droit communautaire auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans sa question (arrêt du 22 janvier 2004, COPPI, C-271/01, non encore publié au Recueil, point 27 et jurisprudence citée).

25
Or, ainsi que le relèvent à juste titre le gouvernement autrichien et la Commission dans leurs observations écrites, les faits au principal, tels qu’ils sont décrits dans l’ordonnance de renvoi, doivent être considérés comme relevant du champ d’application de la directive 96/71. Ils correspondent, en effet, au cas de figure prévu à l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de celle-ci.

26
Par ailleurs, il est constant que les faits en cause au principal se sont déroulés au cours de l’année 2000, soit à une date postérieure à l’expiration du délai imparti aux États membres pour transposer la directive 96/71, cette date étant fixée au 16 décembre 1999.

27
Il convient donc de prendre en considération les dispositions de ladite directive dans le cadre de l’examen de la question préjudicielle.

28
En vertu de l’article 5 de la directive 96/71, les États membres prennent des mesures adéquates en cas de non-respect de celle-ci. Ils veillent en particulier à ce que les travailleurs et/ou leurs représentants disposent de procédures adéquates aux fins de l’exécution des obligations prévues par cette directive. Parmi ces obligations figure, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, second tiret, sous c), de ladite directive, l’obligation de veiller à ce que les entreprises garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire le paiement du salaire minimal.

29
Il en résulte que les États membres doivent veiller, notamment, à ce que les travailleurs détachés disposent de procédures adéquates aux fins de l’obtention effective du salaire minimal.

30
Il découle du libellé de l’article 5 de la directive 96/71 que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation quant à la définition de la forme et des modalités des procédures adéquates au sens du second alinéa de cette disposition. En exerçant cette marge d’appréciation, ils doivent cependant à tout moment respecter les libertés fondamentales garanties par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390/99, Rec. p. I-607, points 27 et 28, ainsi que du 25 mars 2004, Karner, C-71/02, non encore publié au Recueil, points 33 et 34) et donc, s’agissant de l’affaire au principal, la libre prestation des services.

31
À cet égard, il convient d’abord de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 49 CE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (arrêt du 24 janvier 2002, Portugaia Construções, C-164/99, Rec. p. I-787, point 16 et jurisprudence citée).

32
Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’application des réglementations nationales de l’État membre d’accueil aux prestataires de services est susceptible de prohiber, de gêner ou de rendre moins attrayantes les prestations de services par des personnes ou des entreprises établies dans d’autres États membres dans la mesure où elle entraîne des frais ainsi que des charges administratives et économiques supplémentaires (arrêt Portugaia Construções, précité, point 18 et jurisprudence citée).

33
Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal s’agissant de la responsabilité en tant que caution. À ce sujet, il importe de tenir compte de l’effet de ladite mesure sur les prestations de services effectuées non seulement par des sous-traitants établis dans un autre État membre, mais également par d’éventuelles entreprises générales provenant d’un tel État.

34
Il résulte, ensuite, d’une jurisprudence constante que, lorsqu’une réglementation telle que l’article 1er bis de l’AEntG, à supposer qu’elle constitue une restriction à la libre prestation des services, s’applique à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État membre d’accueil, elle peut être justifiée lorsqu’elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général dans la mesure où cet intérêt n’est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi et pour autant qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêt Portugaia Construções, précité, point 19 et jurisprudence citée).

35
Parmi les raisons impérieuses d’intérêt général déjà reconnues par la Cour figure la protection des travailleurs (arrêt Portugaia Construções, précité, point 20 et jurisprudence citée).

36
Or, s’il peut être admis que, en principe, l’application par l’État membre d’accueil de sa réglementation relative au salaire minimal aux prestataires de services établis dans un autre État membre poursuit un objectif d’intérêt général, à savoir la protection des employés (arrêt Portugaia Construções, précité, point 22), il en est de même, en principe, des mesures adoptées par le premier État membre et destinées à renforcer les modalités procédurales permettant à un travailleur détaché de faire valoir utilement son droit au salaire minimal.

37
En effet, si le droit au salaire minimal constitue un élément de la protection des travailleurs, les modalités procédurales permettant d’obtenir le respect de ce droit, telles que la responsabilité en tant que caution en cause au principal, doivent également être regardées comme étant de nature à garantir une telle protection.

38
S’agissant de l’observation de la juridiction de renvoi selon laquelle la protection du marché national de l’emploi, plutôt que celle de la rémunération du travailleur, constituait l’objectif prioritaire poursuivi par le législateur national lors de l’adoption de l’article 1er bis de l’AEntG, il convient de rappeler qu’il incombe à ladite juridiction de vérifier si, considérée objectivement, la réglementation en cause au principal assure la protection des travailleurs détachés. Il importe de vérifier que cette réglementation comporte, pour les travailleurs concernés, un avantage réel qui contribue, de manière significative, à leur protection sociale. Dans ce contexte, l’intention déclarée du législateur peut conduire à un examen plus circonstancié des avantages prétendument conférés aux travailleurs par les mesures qu’il a prises (arrêt Portugaia Construções, précité, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

39
La juridiction de renvoi émet certains doutes au sujet de l’avantage réel que comporterait pour les travailleurs détachés la responsabilité en tant que caution en raison tant des difficultés pratiques auxquelles ceux-ci seraient confrontés pour faire valoir devant les tribunaux allemands leur droit au salaire contre l’entreprise générale que du fait que cette protection perdrait de sa valeur économique lorsque la chance réelle d’être employé contre rémunération en Allemagne diminue de façon sensible.

40
Toutefois, comme le soulignent à juste titre M. Pereira Félix, les gouvernements allemand, autrichien et français ainsi que la Commission, il n’en reste pas moins qu’une règle telle que celle inscrite à l’article 1er bis de l’AEntG profite aux travailleurs détachés au motif que, au bénéfice de ces derniers, elle ajoute au premier débiteur du salaire minimal qu’est l’employeur un second débiteur, qui est lié solidairement au premier et qui est même généralement plus solvable que celui-ci. Considérée objectivement, une telle règle est donc de nature à assurer la protection des travailleurs détachés. Le litige au principal lui-même paraît d’ailleurs confirmer cette vocation protectrice de l’article 1er bis de l’AEntG.

41
Pour autant que l’un des objectifs poursuivis par le législateur national consiste à prévenir une concurrence déloyale de la part d’entreprises rémunérant leurs travailleurs à un niveau inférieur à celui correspondant au salaire minimal, ce qu’il incombe au juge de renvoi de vérifier, un tel objectif peut être pris en considération en tant qu’exigence impérative susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services pour autant que les conditions rappelées au point 34 du présent arrêt sont réunies.

42
Par ailleurs, ainsi que le relève à bon droit le gouvernement autrichien dans ses observations écrites, il n’y a pas nécessairement une contradiction entre l’objectif de préserver la concurrence loyale, d’une part, et celui d’assurer la protection des travailleurs, d’autre part. Le cinquième considérant de la directive 96/71 démontre que ces deux objectifs peuvent être poursuivis concomitamment.

43
Enfin, quant aux observations de Wolff & Müller selon lesquelles la responsabilité en tant que caution serait disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, il résulte, en effet, de la jurisprudence citée au point 34 du présent arrêt que, pour être justifiée, une mesure doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

44
Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier que ces conditions sont respectées au regard de l’objectif visé qui est d’assurer la protection du travailleur concerné.

45
Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 5 de la directive 96/71, interprété à la lumière de l’article 49 CE, ne s’oppose pas, dans une affaire telle que celle au principal, à des règles nationales selon lesquelles une entreprise de construction qui charge une autre entreprise d’effectuer des travaux de construction répond, en tant que caution ayant renoncé au bénéfice de discussion, des obligations de cette entreprise ou d’un sous-traitant pour le paiement du salaire minimal d’un travailleur ou de cotisations à un organisme commun aux parties à une convention collective, lorsque le salaire minimal consiste dans le montant à payer après déduction des impôts et des cotisations de sécurité sociale et de promotion de l’emploi ou des prestations correspondantes en matière de sécurité sociale qui doit être payé au travailleur (salaire net), lorsque ces règles n’ont pas pour objectif prioritaire la protection de la rémunération du travailleur ou que cette protection n’est qu’un objectif secondaire de celles-ci.

Sur les dépens

46
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 5 de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, interprété à la lumière de l’article 49 CE, ne s’oppose pas, dans une affaire telle que celle au principal, à des règles nationales selon lesquelles une entreprise de construction qui charge une autre entreprise d’effectuer des travaux de construction répond, en tant que caution ayant renoncé au bénéfice de discussion, des obligations de cette entreprise ou d’un sous-traitant pour le paiement du salaire minimal d’un travailleur ou de cotisations à un organisme commun aux parties à une convention collective, lorsque le salaire minimal consiste dans le montant à payer après déduction des impôts et des cotisations de sécurité sociale et de promotion de l’emploi ou des prestations correspondantes en matière de sécurité sociale qui doit être payé au travailleur (salaire net), lorsque ces règles n’ont pas pour objectif prioritaire la protection de la rémunération du travailleur ou que cette protection n’est qu’un objectif secondaire de celles-ci.

Signatures.