Procédure administative de recouvrement - pas d’obligatuion de transmettre au donneur d’ordre une copie d procès-verbal de constat de l’infraction de travail dissimulé
Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 3 juin 2021, 20-14.013, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 2
N° de pourvoi : 20-14.013
ECLI:FR:CCASS:2021:C200534
Non publié au bulletin
Solution : Cassation
Audience publique du jeudi 03 juin 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Nancy, du 03 décembre 2019
Président
M. Pireyre (président)
Avocat(s)
SCP Boullez, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 3 juin 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 534 F-D
Pourvoi n° V 20-14.013
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 JUIN 2021
L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Champagne-Ardennes, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 20-14.013 contre l’arrêt rendu le 3 décembre 2019 par la cour d’appel de Nancy (chambre sociale section 1), dans le litige l’opposant à la société Anizienne de construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Champagne-Ardennes, de la SCP Boullez, avocat de société Anizienne de construction, et l’avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l’audience publique du 14 avril 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Nancy, 3 décembre 2019), l’EURL Tak ayant fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé, l’URSSAF de Champagne-Ardennes (l’URSSAF) a adressé, le 18 février 2015, une lettre d’observations aux fins d’engager la solidarité financière prévue par les articles L. 8222-1 et suivants du code du travail à la société Anizienne de construction (le donneur d’ordre) en raison de l’activité sous traitée à l’EURL Tak en 2013, suivie le 15 octobre 2015 d’une mise en demeure.
2. Le donneur d’ordre a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. L’URSSAF fait grief à l’arrêt d’ annuler le redressement, la mise en demeure du 15 octobre 2015, et de la débouter de toutes ses demandes, alors : « 2°/ qu’en toute hypothèse, dans la mise en oeuvre de la solidarité financière consécutive au constat d’un travail dissimulé, l’URSSAF a pour seule obligation d’exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l’envoi de la lettre d’observations, sans être tenue d’y mentionner le procès-verbal constatant le délit ni de le communiquer au donneur d’ordre ; qu’en reprochant à l’URSSAF de n’avoir porté à la connaissance de la société SAC le contenu du procès-verbal de travail dissimulé qu’en cours d’instance pour en déduire la nullité du redressement, la cour d’appel a violé l’article R 243-59 du code de la sécurité sociale et l’article L. 8222-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles, L. 8222-1, L. 8222-2 du code du travail et 9 du code de procédure civile :
4. Aux termes du dernier de ces textes, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
5. Selon le deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, le donneur d’ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées à l’article L. 8222-1 du même code, est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.
6. Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.
7. Il en résulte que si la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document.
8.Pour accueillir le recours de la cotisante, l’arrêt retient que l’absence de mention du procès verbal de travail dissimulé ainsi que des constatations qu’il comporte dans la lettre d’observations puis ultérieurement dans la réponse aux observations de la société, alors même qu’il sert de fondement à la mise en oeuvre de la solidarité du donneur d’ordre, n’a pas permis à la société d’être en mesure de discuter tant la régularité de la procédure que le bien fondé de l’exigibilité des taxes et cotisations obligatoires au paiement solidaire desquelles il est susceptible d’être tenu.
9. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait qu’en cours d’instance, l’URSSAF avait produit le procès verbal de travail dissimulé litigieux, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 3 décembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;
Condamne la société Anizienne de construction aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Anizienne de construction et la condamne à payer à l’URSSAF de Champagne-Ardennes la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) Champagne Ardenne
Il est fait grief à la décision attaquée d’AVOIR infirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris, d’AVOIR annulé le redressement notifié par l’URSSAF Champagne Ardenne à la société SAC suivant la lettre d’observations du 11 février 2015 au titre de la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par les articles L.8222-1 et suivants du code du travail, d’AVOIR annulé la mise en demeure du 15 octobre 2015, d’AVOIR infirmé la décision rendue par la commission de recours amiable de l’URSSAF Champagne Ardenne, en date du 17 décembre 2015 et d’AVOIR débouté l’URSSAF Champagne Ardenne de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE selon l’article L. 8222-1 du code du travail, toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte :
1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;
2° de l’une seulement des formalités mentionnées au 1 dans le cas d’un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants ;
que l’article L. 8222-2, 1° du code du travail dispose que toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ; que selon décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, ce texte a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel sous réserve de ne pas interdire au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ; que la mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenue, en application de ce texte, le donneur d’ordre est subordonnée à l’établissement d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l’encontre du co-contractant ; que par ailleurs, il résulte des dispositions des articles L. 244-2 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale que les mentions de la lettre d’observations et celles de la mise en demeure doivent permettre à la société de connaître les causes, les périodes, les bases ainsi que le montant des redressements opérés ; qu’au cas présent, la SAC fait valoir que le débat contradictoire n’a pu avoir lieu puisque l’Urssaf s’est fondée sur un contrôle qui n’a été porté à sa connaissance que durant la procédure pendante devant le TASS et uniquement par la communication de deux pièces qui ne lui permettent même pas de savoir sur quel chantier sous-traité, une solidarité financière était appliquée ; qu’en réponse à cette argumentation, l’Urssaf expose que la lettre d’observations du 18 février 2015 qui a été adressée à la société comportait suffisamment d’informations afin de permettre à cette dernière de connaître la nature, la cause et l’étendue de son obligation, que la lettre d’observations comprend toutes les mentions prévues par l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale de sorte que le caractère contradictoire a bien été respecté ; qu’en l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats que l’Urssaf, le 18 février 2015, a adressé à la société SAC une lettre d’observations faisant état de ce que cette dernière avait confié au cours de l’année 2013 et 2014 une partie de son activité à la société TAK au moyen de contrats d’un montant supérieur à 3.000 euros HT, et ce, alors même que cette société avait assuré ces prestations en violation des articles L.8221-1 et L.8221-2 du code du travail ; que cette même lettre d’observations comprenait un énoncé des sommes correspondant aux cotisations éludées par la société TAK, année par année, et qui étaient mises à la charge de la société en cause au titre de la solidarité financière prévue à l’article L.8222-1 et suivants du code du travail ; qu’il apparaît qu’à réception de la lettre d’observations, la société a, par lettre recommandée avec avis de réception du 10 mars 2015, formulé des observations en précisant qu’elle n’avait aucun élément ayant trait à ce contrôle et ne pouvait donc apporter en l’état des précisions quant aux montants qui sont appliqués relativement au chiffre d’affaires invoqué par les services de l’Urssaf à l’égard de la société TAK, que, par lettre en date du 29 avril 2015, l’Urssaf a répondu aux observations de la SAC quant à son obligation de vigilance mais s’est abstenue sur les éléments relatifs à ce contrôle ; qu’une mise en demeure a ensuite été adressée à la SAC le 15 octobre 2015 pour un montant total de 51.841 euros comprenant 37.868 euros de cotisations, 9.507 euros de majorations de 25% et 4.466 euros de majorations ; que cette mise en demeure portait comme motifs "mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par les articles L 8222-1 et suivants du code du travail", mentionnait le montant des cotisations et des majorations de retard ainsi que les périodes concernées, en conformité avec l’article R 244-1 du code de la sécurité sociale ; qu’en cours d’instance, l’Urssaf a produit un procès-verbal de constatation de travail dissimulé établi le 30 septembre 2014 à l’encontre de la société TAK ; qu’en l’état de ces constatations, et dès lors qu’il n’est fait mention de ce procès-verbal du 30 septembre 2014 ainsi que des constatations qu’il comporte dans la lettre d’observations puis ultérieurement dans la réponse aux observations de la société, alors même qu’il sert de fondement à la mise en oeuvre de la solidarité du donneur d’ordre, il en résulte que cette absence n’a pas permis à la société d’être en mesure de discuter tant la régularité de la procédure que le bien- fondé de l’exigibilité des taxes et cotisations obligatoires au paiement solidaire desquels il est susceptible d’être tenu en raison du manquement de son co-contractant en application des dispositions de l’article L.8222-2,1°précitées, et partant de connaître les causes, les périodes et les bases des redressements opérés ; que par ailleurs, la mise en demeure adressée à la suite de ces opérations ne comportant pas plus d’information quant au manquement reproché au co-contractant de la société, et ce malgré les développements formulés préalablement par cette dernière, cette même absence ne lui a pas, pour les mêmes raisons, permis de pouvoir discuter tant de la régularité de la procédure que le bien-fondé de l’exigibilité des taxes et cotisations obligatoires au paiement solidaire desquels il est susceptible d’être tenu et partant de connaître les causes, les périodes et les bases des redressements opérés ; qu’il s’ensuit que c’est à juste titre que la société soutient que l’organisme de recouvrement n’a pas respecté le principe du contradictoire ; qu’il convient donc d’annuler le redressement notifié et d’infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
1) ALORS QU’il est interdit aux juges du fond de dénaturer l’écrit qui est soumis à leur examen, et dont les termes sont clairs et précis ; qu’en considérant que la lettre d’observations ne visait pas le procès-verbal de constatation de travail dissimulé en date du 30 septembre 2014, quand elle y faisait expressément référence, la cour d’appel a dénaturé la lettre d’observations du 18 février 2015 et violé le principe selon lequel il est interdit aux juges du fond de dénaturer les écrits soumis à leur examen ;
2) ALORS QU’en toute hypothèse, dans la mise en oeuvre de la solidarité financière consécutive au constat d’un travail dissimulé, l’URSSAF a pour seule obligation d’exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l’envoi de la lettre d’observations, sans être tenue d’y mentionner le procès-verbal constatant le délit ni de le communiquer au donneur d’ordre ; qu’en reprochant à l’URSSAF de n’avoir porté à la connaissance de la société SAC le contenu du procès-verbal de travail dissimulé qu’en cours d’instance pour en déduire la nullité du redressement, la cour d’appel a violé l’article R 243-59 du code de la sécurité sociale et l’article L. 8222-2 du code du travail ;
3) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que pour annuler le redressement notifié à la société SAC, la cour d’appel a affirmé que celle-ci n’avait pas été mise en mesure avec la mise en demeure de « connaître les causes, les périodes et les bases des redressements opérés » ; qu’elle avait pourtant jugé que la mise en demeure adressée le 15 octobre 2015 à la société SAC « portait comme motifs "mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par les articles L 8222-1 et suivants du code du travail", mentionnait le montant des cotisations et des majorations de retard ainsi que les périodes concernées, en conformité avec l’article R 244-1 du code de la sécurité sociale » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel s’est contredite et a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
4) ALORS QUE la mise en demeure adressée par l’union de recouvrement à l’employeur est régulière dès lors qu’elle permet à celui-ci de connaître la nature, la cause et l’étendue de son obligation ; qu’en constatant que la mise en oeuvre adressée le 15 octobre 2015 à la société SAC « portait comme motifs "mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par les articles L 8222-1 et suivants du code du travail", mentionnait le montant des cotisations et des majorations de retard ainsi que les périodes concernées, en conformité avec l’article R 244-1 du code de la sécurité sociale », pour néanmoins annuler le redressement, faute pour la mise en demeure de comporter des informations quant au manquement reproché au co-contractant de la société, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article R 244-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l’article R 243-59 du code de la sécurité sociale et l’article L. 8222-2 du code du travail ;
5) ALORS QU’en toute hypothèse, il est interdit aux juges du fond de dénaturer l’écrit qui est soumis à leur examen, et dont les termes sont clairs et précis ; qu’en considérant que la mise en demeure ne comportait pas d’informations quant au manquement reproché au co-contractant de la société, quand celle-ci faisait expressément référence à la lettre d’observations reçue par l’employeur laquelle rappelait les faits reprochés au sous-traitant, la cour d’appel a dénaturé la mise en demeure du 15 octobre 2015 et violé le principe selon lequel il est interdit aux juges du fond de dénaturer les écrits soumis à leur examen.ECLI:FR:CCASS:2021:C200534