Information des clients du donneur d’ordre par agent de contrôle - responsabilité de l’Etat non

CAA de NANCY

N° 17NC01331

Inédit au recueil Lebon

3ème chambre - formation à 3

M. MARINO, président

Mme Guénaëlle HAUDIER, rapporteur

Mme KOHLER, rapporteur public

AUBERSON - DESINGLY, avocat(s)

lecture du mardi 23 juillet 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société des Vendanges Spécialisées a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l’Etat à lui verser la somme globale de 392 586,20 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait des agissements fautifs d’un contrôleur de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi qui a adressé un courrier à certains de ses clients contenant, selon elle, des informations erronées.

Par un jugement n° 1500794 du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 juin 2017, la SCP Tirman Raulet, agissant en qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la SARL Société des Vendanges Spécialisées, représentée par la SCP Auberson, Desingly, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 avril 2017 ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme globale de 392 586,20 euros ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 un contrôleur de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi a adressé un courrier à certains de ses clients contenant des informations erronées ;

 l’envoi de ce courrier lui a causé un préjudice qui peut être indemnisé par l’allocation d’une somme de 92 586,20 euros au titre de la perte de bénéfice pour l’année 2014 et d’une somme de 300 000 euros au titre du préjudice d’image lié à la perte de sa réputation.

Par un mémoire, enregistré le 16 avril 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code du travail ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de Mme Haudier,

 et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La Société des Vendanges Spécialisées (SVS) est une société qui propose des prestations de services viticoles à des viticulteurs champenois principalement pendant la période des vendanges. Elle a fait l’objet d’un contrôle de la part des services de l’inspection du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Champagne-Ardenne. Dans le cadre de ce contrôle, un courrier a été adressé le 14 août 2014 à une trentaine de viticulteurs qui avaient signé un contrat de prestation avec la société pour les vendanges de l’année précédente leur indiquant que cette société était en liquidation judiciaire et que des irrégularités au code du travail avaient été constatées pendant les vendanges de 2013. Estimant que ce courrier contenait des informations erronées, la Société des Vendanges Spécialisées a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l’Etat à réparer les préjudices qu’elle aurait subis du fait de l’envoi de ce message à ses clients. Le tribunal administratif a rejeté cette demande par un jugement du 6 avril 2017, dont la SCP Tirman Raulet relève appel en sa qualité mandataire liquidateur judiciaire de la société.

2. La SCP Tirman Raulet soutient que le courrier du 14 août 2014 adressé par le contrôleur du travail à certains des clients de la Société des Vendanges Spécialisées contenait des informations erronées et que l’envoi de ce courrier constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

3. Toutefois, d’une part, il n’est pas sérieusement contesté que l’agent de contrôle a demandé à la Société des Vendanges Spécialisées de lui communiquer un certain nombre de documents, notamment les déclarations préalables à l’embauche, les titres de séjour, les bulletins de paye et les relevés d’heures des salariés qui avaient été embauchés pour les vendanges de l’année précédente et qu’il n’avait pas obtenu l’ensemble de ces éléments à la date de l’envoi du courrier litigieux. Il résulte, par ailleurs des dispositions de l’article L. 8222-5 du code du travail que, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal et dissimulé, lorsque l’agent de contrôle constate qu’un sous-traitant est en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du même code, il en informe le donneur d’ordre qui doit enjoindre à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation. Dans ces conditions, et alors même qu’à l’issue du contrôle réalisé le contrôleur du travail n’a adressé à la société aucune lettre d’observation ou mise en demeure et n’a pas dressé de procès-verbal d’infraction, la requérante n’établit pas que l’information donnée à certains clients relative à l’existence de manquements aux règles du code du travail serait constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

4. D’autre part, s’il est vrai que le courrier du 14 août 2014 mentionnait à tort que la société était en liquidation judiciaire alors que seule une procédure de redressement judiciaire était engagée et si une telle erreur peut être regardée comme fautive, il résulte de l’instruction que le contrôleur du travail a envoyé dès le 20 août 2014 un courrier aux clients de la société qui avaient été destinataires du premier courrier leur faisant part de cette erreur. Par ailleurs, ainsi que l’ont relevé les premiers juges, ces clients ont pu, dans l’intervalle qui a séparé les deux courriers, contacter le mandataire judiciaire de la société pour s’enquérir de sa situation exacte. Dans ces conditions, compte tenu notamment du laps de temps ayant séparé les deux courriers, la perte de bénéfice invoquée par la SCP Tirman Raulet ne peut être regardée comme étant imputable à l’erreur commise par le contrôleur du travail. La SCP Tirman Raulet n’établit pas davantage, compte tenu des termes du courrier rectificatif adressé le 20 août 2014, que la Société des Vendanges Spécialisées aurait subi du fait de cette erreur une atteinte à sa réputation et à son image.

5. Il résulte de tout ce qui précède que la SCP Tirman Raulet n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de la Société des Vendanges Spécialisées. Ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par la SCP Tirman Raulet est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Tirman Raulet et à la ministre du