CJUE INAIL/INPS - Ryanair - notion succursale - établissement secondaire - points 53 et suivants

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

19 mai 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Législation applicable – Règlement (CEE) no 1408/71 – Article 14, point 2, sous a), i) et ii) – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 11, paragraphe 5 – Article 13, paragraphe 1, sous a) et b) – Notion de “base d’affectation” – Personnel navigant – Travailleurs exerçant leur activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres – Critères de rattachement »

Dans l’affaire C‑33/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 21 décembre 2020, parvenue à la Cour le 18 janvier 2021, dans la procédure

Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL),

Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)

contre

Ryanair DAC,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. Passer, président de chambre, M. F. Biltgen (rapporteur) et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour l’Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL), par Me L. Frasconà et de Me G. Catalano, avvocati,

– pour l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), par Mes A. Sgroi, L. Maritato, E. De Rose et C. D’Aloisio, avvocati,

– pour Ryanair DAC, par Me S. Piras, avvocato, Me E. Vahida, avocat, Me S. Rating, abogado et Rechtsanwalt, Me I.-G. Metaxas-Maranghidis, dikigoros, ainsi que par Me S. Bargellini, avvocata,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Rocchitta, avvocato dello Stato,

– pour l’Irlande, par Mme M. Browne, assistée de Mme E. Egan McGrath, Barrister-at-Law, et J. Quaney ainsi que par M. T. Joyce, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, point 2, sous a), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 631/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO 2004, L 100, p. 1) (ci-après le « règlement no 1408/71 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant, respectivement, l’Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL) (Institut national d’assurance contre les accidents du travail, Italie) et l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (Institut national de la sécurité sociale, Italie) à Ryanair DAC, établie en Irlande, au sujet du refus de cette dernière de souscrire une assurance auprès de ces instituts pour le personnel itinérant de cette société affecté à l’aéroport d’Orio al Serio (Bergame, Italie).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1408/71

3 Le règlement no 1408/71 a été abrogé et remplacé à compter du 1er mai 2010. Les litiges au principal concernant l’absence de paiement de cotisations sociales entre le mois de juin 2006 et le mois de février 2010 et de primes d’assurance entre le mois de janvier 2008 et le mois de janvier 2013, ils sont susceptibles de relever du champ d’application du règlement no 1408/71. Ce règlement comportait un titre II, intitulé « Détermination de la législation applicable », sous lequel figuraient les articles 13 à 17 de celui-ci.

4 L’article 13 de ce règlement, intitulé « Règles générales », prévoyait :

« 1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2. Sous réserve des articles 14 à 17 :

a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre ;

[...] »

5 Aux termes de l’article 14 dudit règlement, intitulé « Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée » :

« La règle énoncée à l’article 13, paragraphe 2, [sous] a), est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes :

[...]

2) La personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit :

a) la personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant, pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un État membre, est soumise à la législation de ce dernier État. Toutefois :

i) la personne occupée par une succursale ou une représentation permanente que ladite entreprise possède sur le territoire d’un État membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel cette succursale ou représentation permanente se trouve ;

ii) la personne occupée de manière prépondérante sur le territoire de l’État membre où elle réside est soumise à la législation de cet État, même si l’entreprise qui l’occupe n’a ni siège, ni succursale, ni représentation permanente sur ce territoire ».

6 L’article 17 du même règlement, intitulé « Exceptions aux dispositions des articles 13 à 16 », était ainsi libellé :

« Deux ou plusieurs États membres, les autorités compétentes de ces États ou les organismes désignés par ces autorités peuvent prévoir d’un commun accord, dans l’intérêt de certaines catégories de personnes ou de certaines personnes, des exceptions aux dispositions des articles 13 à 16. »

7 Figurant sous le titre IV du règlement no 1408/71, intitulé « Commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants », l’article 80 de celui-ci, lui-même intitulé « Composition et fonctionnement », disposait, à son paragraphe 1 :

« La commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, ci-après dénommée “commission administrative”, instituée auprès de la Commission [européenne] est composée d’un représentant gouvernemental de chacun des États membres, assisté, le cas échéant, de conseillers techniques. Un représentant de la Commission participe, avec voix consultative, aux sessions de la commission administrative. »

8 Figurant sous le titre VI de ce règlement, intitulé « Dispositions diverses », l’article 84 bis de celui-ci, lui-même intitulé « Relations entre les institutions et les personnes couvertes par le présent règlement », énonçait, à son paragraphe 3 :

« En cas de difficultés d’interprétation ou d’application du présent règlement, susceptibles de remettre en cause les droits d’une personne couverte par celui-ci, l’institution de l’État compétent ou de l’État de résidence de la personne en cause s’adresse à la ou aux institutions du ou des autres États membres concernés. À défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir la commission administrative. »

Le règlement no 883/2004

9 Le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), a abrogé et remplacé, à compter du 1er mai 2010, date de son application, le règlement no 1408/71. Préalablement à cette date, le règlement no 883/2004 a été modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 284, p. 43) (ci-après le « règlement no 883/2004 tel que modifié en 2009 »). Il a également été modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 883/2004 tel que modifié en 2012 »), entré en vigueur le 28 juin 2012. Le règlement no 883/2004 dans ces deux versions est applicable à la présente affaire en ce qu’elle porte sur le refus de paiement des primes d’assurance pour la période comprise entre le 25 janvier 2008 et le 25 janvier 2013.

10 Le considérant 18 ter du règlement no 883/2004 tel que modifié en 2012 est libellé ainsi :

« À l’annexe III du règlement (CEE) no 3922/91 du Conseil, du 16 décembre 1991, relatif à l’harmonisation de règles techniques et de procédures administratives dans le domaine de l’aviation civile [(JO 1991, L 373, p 4)], la notion de “base d’affectation” pour les membres de l’équipage de conduite et de l’équipage de cabine est définie comme étant le lieu désigné par l’exploitant pour le membre d’équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service ou une série de temps de service et où, dans des circonstances normales, l’exploitant n’est pas tenu de loger ce membre d’équipage. Afin de faciliter l’application du titre II du présent règlement aux membres de l’équipage de conduite et de l’équipage de cabine, il est justifié de faire de la notion de “base d’affectation” le critère pour déterminer la législation applicable aux membres de l’équipage de conduite et de l’équipage de cabine. Cependant, la législation applicable aux membres de l’équipage de conduite et de l’équipage de cabine devrait rester stable et le principe de la base d’affectation ne devrait pas donner lieu à des changements fréquents de la législation applicable en raison de modes d’organisation du travail ou de contraintes saisonnières dans ce secteur d’activité. »

11 Le titre II du règlement no 883/2004 dans ces deux versions, intitulé « Détermination de la législation applicable », contient les articles 11 à 16 de ce dernier. Il reprend les dispositions du titre II du règlement no 1408/71.

12 L’article 11 du règlement no 883/2004 tel que modifié en 2009 comporte quatre paragraphes, dont le premier et le troisième disposent :

« 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

[...]

3. Sous réserve des articles 12 à 16 :

a) la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

[...] »

13 Le règlement no 465/2012 a ajouté à cet article 11 un paragraphe 5 qui prévoit que « [l]’activité d’un membre de l’équipage de conduite ou de l’équipage de cabine assurant des services de transport de voyageurs ou de fret est considérée comme étant une activité menée dans l’État membre dans lequel se trouve la base d’affectation telle qu’elle est définie à l’annexe III du règlement (CEE) no 3922/91. »

14 Sous l’intitulé « Exercice d’activités dans deux ou plusieurs États membres », l’article 13 du règlement no 883/2004 dans ses deux versions prévoit en substance, à son paragraphe 1, sous a), que la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre. Cet article 13, paragraphe 1, sous b), prévoit, quant à lui, que cette personne, si elle n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’État membre de résidence, est soumise à la législation de l’État membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur a son siège social ou son siège d’exploitation.

15 L’article 16, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 dans ses deux versions reprend, en des termes identiques, le libellé de l’article 17 du règlement no 1408/71.

16 L’article 71 et l’article 76, paragraphe 6, de ce règlement dans ses deux versions correspondent, en substance, à l’article 80 et à l’article 84 bis, paragraphe 3, du règlement no 1408/71.

17 L’article 87, paragraphe 8, dudit règlement dans ses deux versions est ainsi libellé :

« Si, en conséquence du présent règlement, une personne est soumise à la législation d’un État membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du titre II du règlement (CEE) no 1408/71, cette personne continue d’être soumise à cette dernière législation aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée, mais en tout cas pas plus de dix ans à compter de la date d’application de présent règlement, à moins qu’elle n’introduise une demande en vue d’être soumise à la législation applicable en vertu du présent règlement. La demande est introduite dans un délai de trois mois à compter de la date d’application du présent règlement auprès de l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu du présent règlement pour que l’intéressé puisse être soumis à la législation de cet État membre dès la date d’application du présent règlement. Si la demande est présentée après l’expiration de ce délai, le changement de législation applicable intervient le premier jour du mois suivant. »

Le règlement (CEE) no 574/72

18 Le règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement no 118/97 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO 2005, L 117, p. 1), contenait un article 12 bis, intitulé « Règles applicables en ce qui concerne les personnes visées à l’article 14, [points] 2 et 3, à l’article 14 bis, [points] 2 à 4 et à l’article 14 quater du règlement [no 1408/71] qui exercent normalement une activité salariée ou non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres », qui énonçait, à son paragraphe 1 bis :

« Si, conformément aux dispositions de l’article 14, [point] 2, [sous] a), du règlement [no 1408/71], une personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant des transports internationaux est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel se trouve, selon le cas, soit le siège ou le domicile de l’entreprise, soit la succursale ou la représentation permanente qui l’occupe, soit le lieu où elle réside et est occupée de manière prépondérante, l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre concerné lui remet un certificat attestant qu’elle est soumise à sa législation. »

Le règlement (CE) no 987/2009

19 Le règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1), a abrogé et remplacé, à compter du 1er mai 2010, le règlement no 574/72, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement no 118/97, tel que modifié par le règlement no 647/2005.

20 L’article 5 du règlement no 987/2009 prévoit :

« 1. Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du règlement de base et du règlement d’application, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis.

2. En cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire.

3. En application du paragraphe 2, en cas de doute sur les informations fournies par les intéressés, sur le bien-fondé d’un document ou d’une pièce justificative, ou encore sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution du lieu de séjour ou de résidence procède, pour autant que cela soit possible, à la demande de l’institution compétente, à la vérification nécessaire desdites informations ou dudit document.

4. À défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle l’institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine. »

21 Aux termes de l’article 14, paragraphe 8, de ce règlement :

« Aux fins de l’application de l’article 13, paragraphes 1 et 2, du règlement [no 883/2004], une “partie substantielle d’une activité salariée ou non salariée” exercée dans un État membre signifie qu’une part quantitativement importante de l’ensemble des activités du travailleur salarié ou non salarié y est exercée, sans qu’il s’agisse nécessairement de la majeure partie de ces activités.

Pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre, il est tenu compte des critères indicatifs qui suivent :

a) dans le cas d’une activité salariée, le temps de travail et/ou la rémunération ; et

b) dans le cas d’une activité non salariée, le chiffre d’affaires, le temps de travail, le nombre de services prestés et/ou le revenu.

Dans le cadre d’une évaluation globale, la réunion de moins de 25 % des critères précités indiquera qu’une partie substantielle des activités n’est pas exercée dans l’État membre concerné. »

Le règlement (CE) no 44/2001

22 La section 5 du chapitre II du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), qui est composée des articles 18 à 21 de ce règlement, énonce les règles de compétence relatives aux litiges ayant pour objet des contrats individuels de travail.

23 L’article 18, paragraphe 1, dudit règlement est ainsi libellé :

« En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 4 et de l’article 5, point 5. »

24 L’article 19 du même règlement dispose :

« Un employeur ayant son domicile sur le territoire d’un État membre peut être attrait :

1) devant les tribunaux de l’État membre où il a son domicile, ou

2) dans un autre État membre :

a) devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail, ou

b) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur. »

Le droit italien

25 Le regio decreto legge, n. 1827 convertito con modificazioni dalla L. 6 aprile 1936, n. 1155 – Perfezionamento e coordinamento legislativo della previdenza sociale (décret-loi royal no 1827, converti avec modifications par la loi no 1155 du 6 avril 1936 portant sur l’amélioration et la coordination législative de la sécurité sociale), du 4 octobre 1935 (Gazzetta Ufficiale del Regno d’Italia no 147, du 26 juin 1936), prévoit, à son article 37, que l’assurance invalidité et vieillesse, l’assurance tuberculose et l’assurance chômage involontaire, sous réserve des exclusions prévues dans ledit décret, sont obligatoires pour les personnes des deux sexes et de toute nationalité, qui ont atteint l’âge de 15 ans et n’ont pas dépassé 65 ans et qui exercent une activité subordonnée rémunérée.

26 Le Decreto del Presidente della Repubblica, n. 1124 – Testo unico delle disposizioni per l’assicurazione obbligatoria contro gli infortuni sul lavoro e le malattie professionali (décret du président de la République no 1124, portant texte unique des dispositions relatives à l’assurance obligatoire contre les accidents du travail et les maladies professionnelles), du 30 juin 1965 (GURI no 257, du 13 octobre 1965) énonce, à son article 4, que sont incluses dans ladite assurance les personnes qui, à titre permanent ou temporaire, prêtent en tant que salariés et sous la direction d’autrui un travail manuel, quelle que soit la forme de rémunération, ou celles qui, se trouvant dans ces conditions sans participer matériellement au travail, supervisent le travail d’autrui.

Les litiges au principal et la question préjudicielle

27 À la suite d’une inspection, l’INPS a considéré que les 219 employés de Ryanair, affectés à l’aéroport d’Orio al Serio à Bergame, exerçaient une activité salariée sur le territoire italien et devaient, en application du droit italien et de l’article 13 du règlement no 1408/71, être assurés auprès de l’INPS pour la période comprise entre le mois de juin 2006 et le mois de février 2010.

28 L’INAIL a également considéré que, en vertu du droit italien, les mêmes employés devaient, pour la période allant du 25 janvier 2008 au 25 janvier 2013, être assurés auprès de l’INAIL pour les risques liés au travail non aérien, dès lors qu’ils étaient, selon cet institut, rattachés à la base d’affectation de Ryanair située dans l’aéroport d’Orio al Serio.

29 L’INPS et l’INAIL ont, dès lors, réclamé à Ryanair le paiement des cotisations de sécurité sociale et des primes d’assurance afférentes à ces périodes (ci-après les « périodes concernées »), ce que cette dernière a contesté devant les juridictions italiennes.

30 Le Tribunale di Bergamo (tribunal de Bergame, Italie) et la Corte d’appello di Brescia (cour d’appel de Brescia, Italie) ont rejeté les prétentions de l’INPS et de l’INAIL comme étant non fondées, estimant que les salariés de Ryanair relevaient, pour ces périodes, de la législation irlandaise.

31 Ces juridictions ont admis la production tardive, par Ryanair, de certificats E101, délivrés par l’institution irlandaise compétente, attestant que la législation de sécurité sociale irlandaise était applicable aux employés qui y étaient visés.

32 La juridiction saisie en appel a confirmé que, selon la jurisprudence constante de la Cour, les certificats E101 sont contraignants à l’égard des juridictions nationales et en a conclu que les employés de Ryanair couverts par les certificats E101 produits par Ryanair étaient, pendant les périodes concernées, soumis à la législation de sécurité sociale irlandaise. Cependant, après avoir examiné ces certificats, cette juridiction a constaté qu’ils n’étaient pas numérotés ni classés de manière intelligible ou ordonnée, qu’il y avait 321 certificats, donc probablement des doublons, et qu’ils ne couvraient pas l’ensemble des 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio durant l’intégralité des périodes concernées. Elle en a conclu que, concernant les employés pour lesquels l’existence d’un certificat E101 n’était pas avérée, il convenait de déterminer la législation de sécurité sociale applicable, en vertu du règlement no 1408/71.

33 Ladite juridiction a relevé, à cet égard, que les 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio étaient engagés en vertu d’un contrat de travail irlandais, géré en pratique par des instructions provenant d’Irlande, qu’ils travaillaient quotidiennement pendant 45 minutes sur le territoire italien et que, pour le temps de travail restant, ils se trouvaient à bord d’aéronefs immatriculés en Irlande. Cette juridiction a estimé que Ryanair n’avait pas, sur le territoire italien, de succursale ou de représentation permanente et en a déduit que, en vertu du règlement no 1408/71, la législation de sécurité sociale italienne n’était pas applicable.

34 En ce qui concerne la période postérieure à celle au cours de laquelle ce règlement était applicable, la juridiction saisie en appel a considéré qu’elle ne disposait pas des éléments factuels nécessaires pour appliquer les critères prévus par les règlements no 883/2004 et no 987/2009 et que, en tout état de cause, le nouveau critère de rattachement relatif à la « base d’affectation » prévu par le règlement no 883/2004 tel que modifié en 2012, n’était pas applicable ratione temporis. Elle en a conclu que, pendant cette période, la législation de sécurité sociale irlandaise était applicable à ceux des 219 employés de Ryanair non couverts par un certificat E101.

35 L’INPS et l’INAIL se sont pourvus en cassation devant la juridiction de renvoi, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie).

36 Si cette dernière reconnaît le caractère contraignant des certificats E101 produits par Ryanair, elle estime, toutefois, que, dans la mesure où la juridiction saisie en appel, sur la base de son appréciation des faits que la juridiction de renvoi ne saurait remettre en question, a considéré que les certificats E101 produits par Ryanair ne couvraient, en réalité, pas l’ensemble des 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio pour l’intégralité des périodes concernées, il est nécessaire, aux fins de la solution des litiges au principal, de déterminer, conformément au règlement no 1408/71, la législation de sécurité sociale applicable.

37 La juridiction de renvoi s’interroge, plus particulièrement, sur la question de savoir si cette législation doit être déterminée en application de l’article 14, point 2, sous a), i), ou de l’article 14, point 2, sous a), ii), du règlement no 1408/71.

38 Elle relève, à cet égard, que, dans ses arrêts du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688), ainsi que du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines (C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, points 54 à 59), la Cour a fourni des indications utiles pour apprécier si l’article 14, point 2, sous a), i), du règlement no 1408/71 était applicable en l’occurrence.

39 En revanche, la juridiction de renvoi émet des doutes sur l’interprétation de la notion de « personne occupée de manière prépondérante sur le territoire de l’État membre où elle réside », au sens de l’article 14, point 2, sous a), ii), dudit règlement, pour ce qui est du personnel navigant. Elle se demande, en particulier, s’il convient d’interpréter cette notion par analogie avec l’interprétation donnée par la Cour de la notion de « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail » figurant à l’article 19, point 2, sous a), du règlement no 44/2001, notamment dans l’arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688, point 57), qui concernait des travailleurs employés comme membres du personnel navigant d’une compagnie aérienne ou mis à sa disposition et dans lequel la Cour a jugé que cette notion devait être interprétée de manière large (voir, par analogie, arrêt du 12 septembre 2013, Schlecker, C‑64/12, EU:C:2013:551, point 31 et jurisprudence citée) en ce qu’elle vise le lieu où, ou à partir duquel, le travailleur s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur.

40 Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La notion de “personne occupée de manière prépondérante sur le territoire de l’État membre où elle réside”, contenue à l’article 14, point 2, sous a), ii), [du règlement no 1408/71], peut-elle être interprétée de manière analogue à la notion que (s’agissant de la coopération judiciaire en matière civile, de la compétence judiciaire et de la compétence en matière de contrats individuels de travail), l’article 19, point 2, sous a), [du règlement no 44/2001] définit comme le “lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail” également dans le secteur aérien et concernant le personnel navigant [règlement no 3922/91], conformément à ce qu’énonce [l’arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688)] ? »

Sur la recevabilité de la demande décision préjudicielle

41 Ryanair et l’Irlande font valoir que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable. Selon eux, les certificats E101 produits par Ryanair sont, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, contraignants pour les juridictions nationales, de sorte que ni la juridiction saisie en appel ni la juridiction de renvoi ne seraient compétentes pour déterminer, en vertu du règlement no 1408/71, la législation de sécurité sociale applicable aux 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio.

42 À cet égard, il importe de rappeler que, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 12 octobre 2016, Ranks et Vasiļevičs, C‑166/15, EU:C:2016:762, point 21 ainsi que jurisprudence citée).

43 Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît, de manière manifeste, que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 12 octobre 2016, Ranks et Vasiļevičs, C‑166/15, EU:C:2016:762, point 22 ainsi que jurisprudence citée).

44 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que la juridiction saisie en appel a explicitement rappelé la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les certificats E101 sont contraignants pour les juridictions nationales avant d’examiner les certificats E101 produits devant elle par Ryanair et de conclure qu’il n’était pas établi que ceux-ci couvraient l’ensemble des 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio durant l’intégralité des périodes concernées. Dès lors, ladite juridiction a estimé qu’il était nécessaire de déterminer la législation de sécurité sociale applicable, en vertu du règlement no 1408/71, à ceux, parmi ces employés, pour lesquels l’existence d’un certificat E101 n’est pas avérée.

45 Dès lors, les litiges au principal portent sur la question de savoir quelle législation de sécurité sociale est applicable, pendant les périodes concernées, aux employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio qui ne sont pas couverts par les certificats E101 produits par Ryanair (ci-après les « travailleurs en cause »).

46 Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

47 À titre liminaire, il convient de constater que, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation de la notion de « personne occupée de manière prépondérante sur le territoire de l’État membre où elle réside », figurant à l’article 14, point 2, sous a), ii), du règlement no 1408/71, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de sa question.

48 En effet, il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi, notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 8 juillet 2021, Staatsanwaltschaft Köln et Bundesamt für Güterverkehr, C‑937/19, EU:C:2021:555, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

49 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les litiges au principal portent sur la détermination de la législation de sécurité sociale applicable, pendant les périodes concernées, aux travailleurs en cause. Or, si, durant l’ensemble de la période pertinente dans le litige opposant l’INPS à Ryanair, comprise entre le mois de juin 2006 et le mois de février 2010, le règlement no 1408/71 était effectivement en vigueur, tel n’est pas le cas s’agissant de la période pertinente dans le litige opposant l’INAIL à Ryanair, à savoir celle allant du 25 janvier 2008 au 25 janvier 2013. En effet, le règlement no 1408/71 a été abrogé et remplacé par le règlement no 883/2004 à compter du 1er mai 2010. Partant, il y a lieu, aux fins de la détermination de la législation de sécurité sociale applicable en l’espèce, de se fonder, non seulement sur le règlement no 1408/71, auquel la juridiction de renvoi fait référence, mais également sur le règlement no 883/2004 dans ses deux versions.

50 Il convient, dès lors, de comprendre la question posée comme visant, en substance, à déterminer, conformément aux dispositions pertinentes du règlement no 1408/71 et du règlement no 883/2004 dans ses deux versions, la législation de sécurité sociale applicable au personnel navigant d’une compagnie aérienne, établie dans un État membre, qui n’est pas couvert par des certificats E101, qui travaille pendant 45 minutes par jour dans un local destiné à accueillir l’équipage, dénommé « crew room », dont ladite compagnie aérienne dispose sur le territoire d’un autre État membre dans lequel ce personnel navigant réside, et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de cette compagnie aérienne.

51 En premier lieu, il importe de relever que, en ce qui concerne le règlement no 1408/71, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la législation de sécurité sociale applicable dans les affaires au principal doit être déterminée en application de l’article 14, point 2, sous a), i), de ce règlement ou de l’article 14, point 2, sous a), ii), dudit règlement.

52 Il convient de rappeler que ces dispositions, qui constituent une dérogation au principe prévu à l’article 14, point 2, sous a), du règlement no 1408/71, selon lequel la personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant, pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de ce dernier État, prévoient des règles distinctes qui s’excluent mutuellement. En effet, ce n’est que si la législation de sécurité sociale pertinente ne peut être déterminée en vertu de l’article 14, point 2, sous a), i), de ce règlement qu’il convient d’appliquer l’article 14, point 2, sous a), ii), dudit règlement.

53 Selon l’article 14, point 2, sous a), i), du règlement no 1408/71, une personne faisant partie du personnel navigant d’une compagnie aérienne effectuant des vols internationaux et occupée par une succursale ou une représentation permanente que cette compagnie possède sur le territoire d’un État membre autre que celui où elle a son siège, est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel cette succursale ou cette représentation permanente se trouve.

54 L’application de cette disposition exige que soient remplies deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que la compagnie aérienne concernée dispose d’une succursale ou d’une représentation permanente dans un État membre autre que celui où elle a son siège et, d’autre part, que la personne en cause soit occupée par cette entité (arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 55).

55 S’agissant de la première condition, la Cour a relevé que les notions de « succursale » et de « représentation permanente » ne sont pas définies par le règlement no 1408/71, lequel ne renvoie pas non plus, à cet égard, au droit des États membres, et doivent, par conséquent, faire l’objet d’une interprétation autonome. À l’instar des notions identiques ou similaires figurant dans d’autres dispositions du droit de l’Union, elles doivent s’entendre comme visant une forme d’établissement secondaire présentant un caractère de stabilité et de continuité en vue d’exercer une activité économique effective et disposant, à cette fin, de moyens matériels et humains organisés ainsi que d’une certaine autonomie par rapport à l’établissement principal (arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 56).

56 Quant à la seconde condition, la Cour a souligné que la relation de travail du personnel navigant d’une compagnie aérienne présente un rattachement significatif avec le lieu à partir duquel ce personnel s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de son employeur. Ce lieu correspond à celui à partir duquel ledit personnel effectue ses missions de transport, où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi qu’à celui où se trouvent les outils de travail, lequel peut coïncider avec celui de sa base d’affectation (arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 57). Partant, la Cour a considéré que le lieu dans lequel le personnel navigant était occupé pouvait être qualifié de succursale ou de représentation permanente, au sens de l’article 14, point 2, sous a), i), du règlement no 1408/71, dès lors que ce lieu correspondait au lieu à partir duquel ce personnel s’acquittait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 58).

57 La Cour s’est ainsi fondée sur la jurisprudence relative à la détermination de la loi applicable en matière de contrats individuels de travail, au sens de l’article 19, point 2, sous a), du règlement no 44/2001, notamment sur l’arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688). À cet égard, pour identifier le lieu à partir duquel le personnel navigant s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur, il convient de recourir à un faisceau d’indices tenant compte de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur et qui permettent, notamment, d’établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 57).

58 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, pendant les périodes concernées, Ryanair disposait, à l’aéroport d’Orio al Serio, d’un local destiné à accueillir l’équipage, qui servait à gérer et à organiser le tour de rôle des prestations de son personnel. Ce local était équipé d’ordinateurs, de téléphones, de télécopieurs et d’étagères pour la conservation des documents relatifs au personnel et aux vols, était utilisé par l’ensemble du personnel de Ryanair pour les activités précédant et suivant chaque tour (check in et check out en vue du badgeage d’entrée et de sortie, briefing opérationnel et compte rendu final) ainsi que pour communiquer avec le personnel se trouvant au siège de Ryanair à Dublin (Irlande). Le personnel temporairement inapte au vol devait effectuer son service dans ledit local. La personne de référence pour le personnel présent ainsi que pour celui disponible à l’aéroport, qui coordonnait les équipages, contrôlait, depuis son poste placé dans ce même local, le personnel travaillant à l’aéroport et convoquait, le cas échéant, le personnel de réserve resté à domicile. Enfin, le personnel de Ryanair ne pouvait résider à plus d’une heure de ce local.

59 Au regard des éléments qui précèdent, il convient de considérer que le local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair, situé à l’aéroport d’Orio al Serio, constitue une succursale ou une représentation permanente, au sens de l’article 14, point 2, sous a), i), du règlement no 1408/71, dans laquelle les travailleurs en cause étaient occupés durant les périodes concernées, de sorte que, pendant la partie de ces périodes où ce règlement était en vigueur, les travailleurs en cause étaient, conformément à cette disposition, soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

60 Force est, dès lors, de constater que la législation de sécurité sociale pertinente peut être déterminée sur le fondement de l’article 14, point 2, sous a), i), du règlement no 1408/71 et qu’il n’y a, partant, pas lieu d’appliquer l’article 14, point 2, sous a), ii), dudit règlement.

61 En deuxième lieu, il importe de souligner, en ce qui concerne le règlement no 883/2004, que ce dernier tel que modifié en 2009 ne prévoyait pas, contrairement au règlement no 1408/71, de règles de conflit de lois spécifiques au personnel navigant.

62 En revanche, l’article 13, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 dans ses deux versions pose le principe selon lequel la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre.

63 L’article 14, paragraphe 8, du règlement no 987/2009 précise que, aux fins de l’application de l’article 13, paragraphes 1 et 2, du règlement no 883/2004 dans ses deux versions, une « partie substantielle » d’une activité salariée ou non salariée exercée dans un État membre signifie qu’une part quantitativement importante de l’ensemble des activités du travailleur salarié ou non salarié y est exercée, sans qu’il s’agisse nécessairement de la majeure partie de ces activités. Pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre, il est tenu compte, dans le cas d’une activité salariée, du temps de travail et/ou de la rémunération. La réunion de moins de 25 % de ces critères indiquera qu’une partie substantielle de l’activité n’est pas exercée dans l’État membre concerné.

64 En l’occurrence, la décision de renvoi ne contient pas d’information relative à la rémunération des travailleurs en cause. En ce qui concerne le temps de travail de ces derniers, la juridiction de renvoi indique que, pendant les périodes concernées, les travailleurs en cause résidaient en Italie, travaillaient sur le territoire de cet État membre, plus particulièrement dans le local destiné à accueillir l’équipage situé dans l’aéroport d’Orio al Serio pendant 45 minutes par jour et qu’ils se trouvaient, pour le temps de travail restant, à bord des aéronefs de Ryanair. Dès lors, sous réserve de la détermination du temps de travail quotidien total des travailleurs en cause, il n’apparaît pas qu’au moins 25 % du temps de travail de ces travailleurs était effectué dans leur État membre de résidence.

65 Toutefois, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, sur la base des critères précédemment indiqués, si, pendant les périodes concernées, les travailleurs en cause ont ou non exercé une partie substantielle de leur activité dans l’État membre où ils résident, à savoir en Italie. Dans l’affirmative, ils devront, conformément au règlement no 883/2004 tel que modifié en 2009, être considérés comme relevant, à partir du 1er mai 2010, date d’entrée en vigueur dudit règlement, de la législation de sécurité sociale italienne.

66 Dans la négative, il conviendra d’appliquer l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004 dans ses deux versions – en ce qu’il prévoit que, si la personne exerçant une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’État membre de résidence, elle est soumise à la législation de l’État membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur qui l’emploie a son siège social ou son siège d’exploitation, de sorte que, à compter du 1er mai 2010, les travailleurs en cause étaient, en principe, soumis à la législation de sécurité sociale irlandaise.

67 Il importe, cependant, de noter que, dans une telle hypothèse, l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 dans ses deux versions prévoit que, lorsque l’application dudit règlement conduit à déterminer une législation de sécurité sociale ne correspondant pas à celle applicable en vertu du titre II du règlement no 1408/71, le travailleur concerné continue d’être soumis à la législation à laquelle il était soumis en vertu du règlement no 1408/71, sauf s’il demande que la législation résultant de ce règlement no 883/2004 lui soit appliquée.

68 En l’occurrence, il ne ressort pas de la décision de renvoi que les travailleurs en cause aient fait de telles demandes, ce qu’il appartiendra, toutefois, à la juridiction de renvoi de vérifier. Si aucune demande n’a été faite, les travailleurs en cause devront, conformément à l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004, être considérés comme étant toujours soumis, après le 1er mai 2010, à la législation de sécurité sociale italienne.

69 En troisième lieu, il importe de relever que le règlement no 883/2004 tel que modifié en 2012 comporte, à son article 11, paragraphe 5, une nouvelle règle de conflit de lois selon laquelle l’activité d’un membre de l’équipage de conduite ou de l’équipage de cabine assurant des services de transport de voyageurs ou de fret est considérée comme étant une activité menée dans l’État membre dans lequel se trouve la base d’affectation telle qu’elle est définie à l’annexe III du règlement no 3922/91.

70 Conformément à ladite annexe, la base d’affectation est définie comme le lieu désigné par l’exploitant pour le membre d’équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service ou une série de temps de service et où, dans des circonstances normales, l’exploitant n’est pas tenu de loger ce membre d’équipage.

71 Eu égard aux indications fournies par la juridiction de renvoi relatives au local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair, situé dans l’aéroport d’Orio al Serio, notamment à la circonstance que les travailleurs en cause y commençaient et y terminaient leur journée et devaient résider à moins d’une heure de celui-ci, un tel local doit être considéré comme constituant une « base d’affectation », au sens de l’article 11, paragraphe 5, du règlement no 883/2004 tel que modifié en 2012. Ainsi, entre le 28 juin 2012 et le 25 janvier 2013, les travailleurs en cause étaient, conformément au règlement no 883/2004 tel que modifié en 2012, soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

72 Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que la législation de sécurité sociale applicable, pendant les périodes concernées, aux employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio qui ne sont pas couverts par les certificats E101 produits par Ryanair est, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, la législation italienne.

73 Par conséquent, il convient de répondre à la question posée que l’article 14, point 2, sous a), i), du règlement no 1408/71, l’article 13, paragraphe 1, sous a), et l’article 87, paragraphe 8, du règlement no 883/2004 dans ses deux versions, ainsi que l’article 11, paragraphe 5, du règlement no 883/2004 tel que modifié en 2012 doivent être interprétés en ce sens que la législation de sécurité sociale applicable au personnel navigant d’une compagnie aérienne, établie dans un État membre, qui n’est pas couvert par des certificats E101 et qui travaille 45 minutes par jour dans un local destiné à accueillir l’équipage, dénommé « crew room », dont ladite compagnie aérienne dispose sur le territoire d’un autre État membre dans lequel ce personnel navigant réside, et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de cette compagnie aérienne est la législation de ce dernier État membre.

Sur les dépens

74 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

L’article 14, point 2, sous a), i), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 631/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, l’article 13, paragraphe 1, sous a), et l’article 87, paragraphe 8, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, puis par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, ainsi que l’article 11, paragraphe 5, du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 465/2012, doivent être interprétés en ce sens que la législation de sécurité sociale applicable au personnel navigant d’une compagnie aérienne, établie dans un État membre, qui n’est pas couvert par des certificats E101 et qui travaille 45 minutes par jour dans un local destiné à accueillir l’équipage, dénommé « crew room », dont ladite compagnie aérienne dispose sur le territoire d’un autre État membre dans lequel ce personnel navigant réside, et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de cette compagnie aérienne est la législation de ce dernier État membre.

Signatures