Obligation vérification nationalité et situation administrative du salarié étranger
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du 14 mai 1996
N° de pourvoi : 94-85616
Non publié au bulletin
Rejet
Président : M. MILLEVILLE conseiller, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze mai mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de la société civile professionnelle LESOURD et BAUDIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur le pourvoi formé par : - Z... Dominique,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-en-PROVENCE, 7ème chambre, du 6 octobre 1994, qui, pour diverses infractions au Code du travail, l’a condamné à 10 mois d’emprisonnement avec sursis, 74 amendes de 1000 francs et 68 amendes de 500 francs, et a ordonné la publication et l’affichage de la décision ;
I - Sur les contraventions ;
Attendu qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 3 août 1995, sont amnistiées les contraventions de police lorsqu’elles ont été commises avant le 18 mai 1995 ; que tel est le cas en l’espèce en ce qui concerne les infractions d’absence de visite médicale d’embauche et de non-tenue de registre du personnel ; qu’ainsi, l’action publique est éteinte de ces chefs ;
II - Sur les délits ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 460, 513 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble manque de base légale et violation des droits de la défense ;
”en ce que l’arrêt attaqué mentionne qu’à l’audience publique du 23 juin 1994, les débats se sont déroulés comme suit :
”le conseiller Zentar-Drillon a présenté le rapport de l’affaire,
”puis, le président a interrogé le prévenu qui a répondu aux diverses interpellations à lui adressées,
”Me Y... a été entendu en sa plaidoirie et a déposé des conclusions,
”Me X... a été entendu en sa plaidoirie,
”le ministère public a pris ses réquisitions,
”le prévenu ayant eu la parole en dernier,
”alors qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 513 du Code de procédure pénale, en sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993, entrée en vigueur en application de l’article 49-1 de la loi du 24 août 1993, les parties en cause ont la parole dans l’ordre prévu par l’article 460 ; qu’il en résulte que la défense du prévenu doit être présentée après la demande de la partie civile et les réquisitions du ministère public ; qu’en l’espèce, les mentions de l’arrêt établissent que les avocats du prévenu ont présenté sa défense avant les réquisitions du ministère public ; que le fait que le prévenu se soit vu donner la parole en dernier ne suffit pas à réparer l’atteinte portée à ses intérêts et résultant
de l’obligation qui lui a été imposée, en l’espèce, de présenter sa défense le premier ; qu’il s’ensuit que les textes et principe susvisés ont été méconnus” ;
Attendu que, si l’arrêt mentionne que les avocats de Dominique Z... ont présenté sa défense avant les réquisitions du ministère public, en violation des dispositions de l’article 513 du Code de procédure pénale issues de la loi du 4 janvier 1993, il précise que le prévenu a eu la parole en dernier ;
Qu’en cet état, et dès lors que l’article 513 précité a été rétabli en sa rédaction initiale par la loi du 8 février 1995, l’irrégularité commise n’a pas été de nature à porter atteinte aux intérêts du demandeur ;
Qu’ainsi, le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 121-1 et 121-2 nouveaux du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable des infractions à la réglementation du travail commises dans l’agence de Cannes de la SARL Silco ;
”alors que, en vertu des dispositions de l’article 121-1 nouveau du Code pénal, nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; qu’en l’espèce, le prévenu avait fait valoir que la gérance de l’agence de Cannes était confiée à un chef d’agence entièrement responsable de sa gestion, qui avait procédé aux recrutements illicites et n’avait pas accompli les formalités légales ; qu’ainsi, c’est à tort que la cour d’appel a déclaré le prévenu coupable de faits qu’il n’a pas commis personnellement” ;
Attendu que, pour déclarer imputables à Dominique Z..., gérant d’une société de travail temporaire, diverses infractions au Code du travail relevées à l’occasion de plusieurs contrôles dans une agence de cette société, la juridiction du second degré retient, par motifs adoptés, que la délégation de pouvoirs prétendument consentie au chef d’agence, postérieure à deux des contrôles effectués, avait pour seule fin d’épargner au prévenu d’être entendu par les enquêteurs sur les infractions constatées ;
qu’elle ajoute qu’au surplus, il n’est pas établi que l’intéressé ait mis à la disposition du prétendu délégataire les moyens d’assumer les pouvoirs qu’il entendait lui transférer ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il se déduit que le prévenu disposait seul, aux dates des faits poursuivis, des pouvoirs de direction, de contrôle et d’embauche dans l’établissement concerné, la cour d’appel n’a pas encouru les griefs allégués ;
Que, dès lors, le moyen ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 341-6, L. 364-2-1 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d’avoir directement ou par personne interposée, engagé, conservé à son service ou employé pour quelque durée que ce soit des étrangers non munis de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ;
”alors, d’une part, que le fait d’engager ou de conserver à son service un étranger non muni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France est une infraction intentionnelle qui requiert, pour être constituée, la connaissance, par l’employeur, de la qualité d’étranger du salarié ; qu’en l’espèce, il ne résulte ni de l’arrêt attaqué, ni du jugement qu’il confirme que le prévenu ait connu la qualité d’étrangers des ouvriers employés ; que, faute d’avoir caractérisé l’élément intentionnel du délit poursuivi, la cour d’appel n’a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;
”alors, d’autre part, que le juge du fond qui déclare le prévenu coupable d’avoir conservé à son service un étranger non muni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France doit en outre indiquer l’identité et la nationalité de chacun des salariés employés en infraction aux dispositions légales ; que, faute d’avoir précisé l’identité et la nationalité des salariés prétendument irrégulièrement employés, la cour d’appel n’a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité
”alors, enfin que la prévention ne permet nullement de déterminer le nombre de salariés étrangers prétendument irrégulièrement employés par le prévenu ; qu’il n’est nullement établi que, compte tenu des dates auxquelles les faits poursuivis auraient été commis et qui se chevauchent, le nombre des salariés irrégulièrement employés puisse être obtenu par l’addition du nombre de salariés visés pour chacune des dates et qu’en réalité, il ne s’agisse pas, pour certains d’entre eux au moins, des mêmes personnes ; que, faute d’avoir précisé le nombre de salariés irrégulièrement employés, la chambre criminelle est dans l’impossibilité de contrôler la légalité de la peine prononcée” ;
Attendu que, pour déclarer Dominique Z... coupable d’emploi de travailleurs étrangers démunis du titre exigé par l’article L. 341-6 du Code du travail, la cour d’appel relève notamment, par motifs adoptés des premiers juges, que, selon les constatations des contrôleurs du travail, l’agence de la société dirigée par le prévenu a embauché, courant 1989 et 1990, plusieurs ressortissants cap-verdiens dépourvus de titre de travail, ou en possession de documents à l’évidence falsifiés ;
Attendu qu’en l’état de ces seuls motifs qui, contrairement à ce qui est allégué, font état de la nationalité des salariés concernés, les juges ont caractérisé en tous ses éléments constitutifs, notamment intentionnel, le délit dont ils ont déclaré le prévenu coupable ;
Que les dispositions de l’article L. 341-6 du Code du travail, qui interdisent de conserver à son service ou d’employer pour quelque durée que ce soit, un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, impliquent nécessairement que l’employeur s’informe de la nationalité de celui qu’il embauche et vérifie, dans le cas où il s’agit d’un étranger, s’il est titulaire du titre précité ; que commet sciemment l’infraction à l’article susvisé celui qui, comme en l’espèce, omet volontairement de remplir ces obligations ;
Que par ailleurs, il n’importe que les juges n’aient pas précisé le nombre et l’identité des travailleurs étrangers irrégulièrement employés, dès lors qu’il ressort de l’arrêt attaqué qu’ils n’ont pas sanctionné le délit poursuivi d’une peine d’amende ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Attendu que la déclaration de culpabilité et les peines prononcées au titre des délits reprochés au prévenu étant ainsi justifiées, il n’y a pas lieu d’examiner le quatrième moyen de cassation, en ce qu’il concerne l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 124-3, L. 124-4 et L. 152-2 du Code du travail ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs,
DECLARE l’action publique ETEINTE en ce qui concerne les contraventions d’absence de visite médicale d’embauche et de non-tenue de registre du personnel ;
REJETTE le pourvoi pour le surplus ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Joly, Pibouleau, Mme Françoise Simon, MM. Challe, Mistral conseillers de la chambre, Mmes Fossaert-Sabatier, de la Lance, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Dintilhac ;
Greffier de chambre :Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : cour d’appel d’AIX-en-PROVENCE, 7ème chambre du 6 octobre 1994
Titrages et résumés : (sur le troisième moyen) TRAVAIL - Travailleurs étrangers - Emploi d’un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France - Eléments constitutifs - Elément intentionnel.
Textes appliqués :
* Code du travail L341-6