Contribution spéciale oui

CAA de MARSEILLE

N° 18MA01691

Inédit au recueil Lebon

7ème chambre

M. POCHERON, président

Mme Jacqueline MARCHESSAUX, rapporteur

M. CHANON, rapporteur public

HILAIRE-LAFON, avocat(s)

lecture du vendredi 7 février 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d’annuler la décision du 19 février 2016 mettant à sa charge la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 4 248 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Par un jugement n° 1601923 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Nîmes a, à l’article 1er de ce jugement, déchargé M. B... des contributions spéciale et forfaitaire mises à sa charge, à hauteur de 9 348 euros et, à l’article 3, rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 et 30 avril 2018, sous le n° 18MA01691, M. B..., représenté par Me F..., demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 29 mars 2018 ;

2°) d’annuler la décision du 19 février 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 3 000 euros en application de l’article l. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 le tribunal n’a pas répondu au moyen tiré de l’absence de relation de travail ;

 la décision contestée viole le principe des droits de la défense ;

 elle viole le principe de la présomption d’innocence et est contraire aux stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

S’agissant de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement :

 les deux personnes n’étaient pas en situation irrégulière sur le territoire français ;

S’agissant de la contribution spéciale :

 l’un des deux intéressés a été reçu chez lui dans le cadre d’une relation amicale ;

 les trois critères cumulatifs de la relation de travail liés à l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’une rémunération ne sont pas remplis ;

 les personnes concernées sont venues chez lui pour récupérer dans son garage du matériel qui avait vocation à être détruit ou jeté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2018, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 le code des relations entre le public et l’administration ;

 le code du travail ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de Mme E...,

 et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... relève appel du jugement du 29 mars 2018 du tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 19 février 2016 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à sa charge la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 4 248 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les conclusions de M. B... doivent être regardées comme étant dirigées contre le seul article 3 du jugement attaqué qui a rejeté le surplus des conclusions de la requête par lesquelles M. B... demandait l’annulation de la décision du 19 février 2016 de l’Office français de l’immigration et de l’intégration mettant à sa charge la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 30 000 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte du jugement attaqué que les premiers juges n’ont pas répondu au moyen qui n’était pas inopérant tiré de ce que les critères cumulatifs de l’absence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’une rémunération caractérisant la relation de travail n’étaient pas remplis. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et son article 3 doit être annulé en tant qu’il rejette les conclusions de M. B... dirigées contre la décision du 19 février 2016 en tant qu’elle met à sa charge la contribution spéciale à hauteur de 30 000 euros.

3. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l’évocation sur ces conclusions de M. B... présentées devant le tribunal administratif de Nîmes.

Sur le bien-fondé de la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail :

4. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail dispose que : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France (...) “. Aux termes de l’article L. 8253-1 du code précité, dans sa rédaction applicable à la date des manquements relevés à l’encontre de M. B... : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l’article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) “.

5. S’agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande. D’ailleurs, l’article L. 122-2 du code des relations entre le public et l’administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016, précise désormais que les sanctions “ n’interviennent qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant “.

6. Si ni les articles L. 8253-1 et suivants du code du travail, ni l’article L. 8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l’infraction aux dispositions de l’article L. 8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d’assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de la contribution spéciale, qui revêt le caractère d’une sanction administrative. Il appartient seulement à l’administration, le cas échéant, d’occulter ou de disjoindre, préalablement à la communication du procès-verbal, celles de ses mentions qui seraient étrangères à la constatation de l’infraction sanctionnée par la liquidation de la contribution spéciale et susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales.

7. Il résulte de l’instruction que, par un courrier du 9 novembre 2015, le directeur général de l’OFII a informé M. B... que lors d’un contrôle effectué le 11 juin 2014, les services de police du Gard ont constaté qu’il avait employé deux travailleurs démunis de titre de séjour et de titre les autorisant à exercer une activité salariée, qu’il était donc susceptible de se voir appliquer la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et qu’il disposait d’un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre pour faire valoir ses observations. M. B... a ainsi été mis à même de demander la communication du procès-verbal d’infraction du 11 juin 2014. Il ne résulte pas de l’instruction qu’il ait demandé que lui soit communiqué ce procès-verbal. Par suite, l’OFII, qui n’était pas tenu en l’absence d’une telle demande de communiquer spontanément ce document, n’a pas méconnu le principe général des droits de la défense. La circonstance que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ne lui a pas communiqué d’informations, lesquelles ne sont au demeurant pas précisées, est sans incidence.

8. La présomption d’innocence ne saurait faire obstacle à ce que le directeur de l’OFII décide d’infliger les sanctions prévues par l’article L. 8271-17 du code du travail à l’employeur d’un étranger en situation irrégulière, sans attendre l’issue d’éventuelles poursuites pénales, lorsqu’après avoir recueilli les observations de l’intéressé, il estime que l’emploi par la personne qu’il sanctionne d’un étranger en séjour irrégulier est établi. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

9. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l’article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu celles de l’article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d’en diminuer le montant jusqu’au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d’en décharger l’employeur.

10. Par ailleurs, l’emploi d’un travailleur étranger suppose l’existence d’un travail subordonné, lequel est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements. Un tel emploi ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni, le cas échéant, de la dénomination qu’elles auraient pu donner à leur convention, mais seulement des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur étranger.

11. Il résulte de l’instruction et notamment des énonciations du procès-verbal établi le 11 juin 2014 dont les mentions font foi jusqu’à preuve du contraire que les services de police ont constaté la présence en action de travail, sur le chantier de finition de la maison individuelle de M. B..., de deux ressortissants de nationalité marocaine et démunis d’un titre les autorisant à travailler en France, en tenue de travail, l’un mesurant l’aplomb d’un pilier à l’angle de la terrasse et de l’entrée du garage, l’autre déchargeant de l’outillage de maçonnerie du coffre arrière d’un véhicule particulier immatriculé en Espagne. Suivant les procès-verbaux d’audition des 11 juin 2014, les deux intéressés ont déclaré chacun à l’officier de police ne pas travailler pour le compte de M. B... mais être seulement venus l’aider à débarrasser son garage afin de récupérer des outils qu’il envisageait de jeter et, pour le premier, qu’il était un ami proche de M. B.... Toutefois, ces allégations sont contredites par les constatations des services de police selon lesquelles ils étaient en tenue de chantier, le coffre de leur voiture contenant du matériel de chantier étant ouvert, des outils de maçonnerie étant présents devant l’habitation de M. B..., une tranchée contenant du ferraillage destinée à des fondations de mur de clôture ayant été mise en place, le pantalon de l’un des travailleurs étant sali par le plâtre et l’autre travailleur étant en train de manipuler un fil à plomb à côté d’un mur. Ces éléments suffisent à établir que ces deux personnes exerçaient une activité professionnelle dans des conditions traduisant l’existence, à l’égard de M. B..., d’un lien de subordination de nature à caractériser une relation de travail, alors même qu’il n’est pas établi qu’une rémunération ait été versée aux intéressés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 19 février 2016 du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration en tant qu’elle a mis à sa charge la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 30 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L’article 3 du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 29 mars 2018 en tant qu’il rejette les conclusions de M. B... dirigées contre la décision du 19 février 2016 en tant qu’elle met à sa charge la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 30 000 euros est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... tendant à l’annulation de la décision du 19 février 2016 en tant qu’elle a mis à sa charge la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 30 000 euros est rejetée.

Article 3 : M. B... versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Délibéré après l’audience du 24 janvier 2020, où siégeaient :

 M. Pocheron, président de chambre,

 M. Guidal, président assesseur,

 Mme E..., première conseillère.