Faux prestataire de services détaché - débosseleur

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 11 juillet 2017

N° de pourvoi : 16-84249

ECLI:FR:CCASS:2017:CR01909

Non publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 

M. Nicolas X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 25 mai 2016, qui, pour travail dissimulé et emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié, l’a condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 20 juin 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Talabardon, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire TALABARDON, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8256-2 du code du travail et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé et d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié, et l’a condamné à un emprisonnement de dix mois avec sursis ainsi qu’à une amende de 20 000 euros ;

”aux motifs propres que l’avocat du prévenu M. X..., rappelant la relaxe de la société Top Quality France, soutient que seule la société Top Quality Suisse, employeur des débosseleurs sud-américains, aurait dû se voir imputer les infractions poursuivies, société dont le représentant pénal est son administrateur M. Gilles Y..., ajoutant alors que le prévenu M. X..., ayant la seule qualité de directeur commercial de la société Top Quality Suisse, ne saurait être reconnu coupable de faits commis par la société Top Quality Suisse ; qu’en réponse, le simple examen du contrat initial signé entre la SAS Walon France et Top Quality basée en Suisse en date du 1er juin 2009 fait apparaître M. X... comme représentant cette société Top Quality, avec la mention « dûment habilité à cet effet » ; qu’en outre, en l’espèce, les poursuites engagées à l’encontre de la personne physique M. X... ne sont pas discutables, d’autant que celui-ci est au coeur de l’affaire, intervenant de manière pour le moins ambiguë, en utilisant apparemment tantôt la société française ou la société suisse selon les besoins ; que l’enquête a fait apparaître qu’il s’agissait d’un marché important en termes de montant des sommes en jeu, 7 520 000 euros pour des charges de l’ordre de 1 million d’euros, M. X... a indiqué que le marché avait été emporté au départ grâce aux démarches engagées par !a société Top Quality France, dont il était le gérant, en raison du lieu du chantier ; que par la suite, M. X... a expliqué avoir indiqué à la SAS Walon France que les prestations seraient réalisées au final par la société Top Quality Suisse, mondialement connue et utilisée pour son image de marque vis à vis de Suzuki, qui devait s’occuper de l’aspect tant technique que financier et administratif, et en avait accepté le principe, étant accompagnée dans le cadre de ses activités par un cabinet d’avocats parisien, le cabinet Landwell, particulièrement compétent en matière de problèmes de mobilité internationale, ce qui était concrétisé par la production du contrat au dossier en date du 1er juin 2009, signé entre la SAS Walon France et la société Top Quality Suisse ; que par ailleurs, il a été établi que la société Top Quality France a continué néanmoins sans contrat venant causer les prestations payées, à intervenir en réservant les hôtels en France pour les débosseleurs et en règlant la première facture de traiteur pour nourrir les personnes utilisées ; que, dès lors, l’identification du prévenu en tant que responsable pénal ne pose aucun problème en l’espèce en raison de son rôle majeur dans la conclusion du marché et les interventions faites selon les besoins des sociétés françaises ou suisses ; (…) que, concernant l’infraction de travail dissimulé reprochée et l’infraction d’emploi d’étrangers non munis d’autorisations de travail, il convient en fait de procéder à la requalification des fameux « Contrats d’Assistance » souscrits entre la société Top Quality basée en Suisse et les ouvriers débosseleurs (…), en contrats de travail salarié, les contrats souscrits faisant apparaître ces ouvriers carrossiers comme étant faussement des travailleurs indépendants, alors qu’une étude sérieuse des conditions de travail faisaient apparaître l’existence de liens de subordination réels entre ces ouvriers et la société Top Quality, et donc le prévenu M. X..., « dûment habilité » pour signer le contrat pour le compte de Top Quality Suisse et en conséquence pour en assurer la bonne exécution, ce moyen ayant été utilisé pour détourner la législation fiscale et sociale applicable en France en matière de travail dissimulé ; que, pour l’inspection du travail, la société Top Quality Suisse, qui exerçait une activité de « réparations de véhicules automobiles », et bien que ne possédant aucun salarié débosseleur, avait quand même été en mesure de remporter le marché portant sur 4 671 véhicules à débosseler et de proposer un rythme de débosselage de 50 voilures par jour à la SAS Walon France ; que pour l’inspection du travail, les 93 entreprises indépendantes ne possédaient aucune existence légale dans leur pays, avaient été créées spécialement pour les besoins de la cause, n’avaient aucun salarié si ce n’est l’ouvrier concerné, avaient toutes comme adresses le site de la SAS Walon France et avaient toutes présenté une demande d’inscription auprès de l’URSSAF locale par l’intermédiaire du même cabinet d’avocats mandaté par Top Quality le travail effectué par les sociétés indépendantes consistait pour toutes à effectuer des opérations de débosselage, c’est-à-dire des réparations de carrosserie, et nullement des activités d’expertises automobiles, exigeant pour ce faire en France un diplôme d’expert automobile et une Inscription sur la liste nationale des experts, pour l’inspection du travail, les relations existantes entre les ouvriers débosseleurs et la société Top Quality n’étaient nullement des relations normales entre un sous-traitant et un donneur d’ordre, mais constituaient bien la pratique de mise il disposition de faux travailleurs indépendants au profit de Top Quality, en raison de l’existence d’une réelle situation de subordination intervenant sur trois plans :

1) juridique :

 le devis et le prix des prestations ont été fixés par Top Quality de façon non négociable, avec en plus une escroquerie au préjudice desdits ouvriers sur le montant promis, puisque 3 000 euros étaient indiqués au départ par mois pour arriver au final avec un montant de 3 000 euros pour l’ensemble des prestations dans les contrats ;

 le recrutement le contrôle de l’activité et l’organisation du travail étaient assurés par Top Quality ;

 les frais d’avion, d’hébergement et de nourriture étaient totalement pris en charge par Top Quality ;

 l’habillage juridique avait été organisé par Top Quality qui avait demandé aux travailleurs de signer le formulaire de pouvoir de représentation auprès d’un cabinet Landwell pour les déclarer travailleurs indépendants, eux-mêmes ignorant leur véritable statut ;

 les travailleurs n’étaient pas connus de la SAS Walon France ;

 les travailleurs étaient perçus de l’extérieur comme étant des salariés de Top Quality, portant des tenues de travail à ce nom et circulant à bord de véhicule aux logos Top Quality ;

2) technique :

 si le petit outillage appartient à chaque débosseleur, ce qui reste à démontrer au vu de la prise d’avions par ces derniers, l’outillage plus important était fourni soit par Walon France soit par Top Quality ;

3) économique :

 les ouvriers n’avaient qu’un seul client, le prix avait été fixé par Top Quality et non par eux, pour un montant de 3 000 euros pour le forfait couvrant la totalité des prestations opérées pour toutes les voitures – prix dérisoire et en tout cas totalement insuffisant pour couvrir les frais inhérents à un statut de travailleur indépendant, salaire et charges inhérentes (URSSAF et Taxe sur la Valeur Ajoutée) ; qu’il en résulte que les conditions réelles d’emploi de ces pseudo travailleurs indépendants sont celles qui relèvent en fait d’un statut de salariés, et il doit y avoir en conséquence requalification des contrats d’assistance en contrats de travail de salariés de la société Top Quality, ces faits concernant le prévenu M. X..., celui-ci ayant, pour répondre à un appel d’offres particulièrement juteux, utilisé en connaissance de cause en l’espèce un stratagème pour pouvoir disposer d’une main d’oeuvre étrangère importante sans respecter les dispositions du code du travail en matière d’obligations sociales et d’emploi d’étrangers, lesquels devaient alors faire l’objet du coup des autorisations prévues par le code du travail ; qu’il apparaît ainsi que M. X... a donc employé 93 débosseleurs de nationalité argentine et brésilienne, démunis de titres de travail leur permettant de travailler en France et ceci sans procéder à leurs déclarations préalables à l’embauche et à leur déclaration sociale et fiscale ; que pour répondre à la défense sur le problème de l’infraction de travail dissimulé, la citation visait les deux types de travail dissimulé existants, l’article L. 8221-1 du code du travail concernant le travail dissimulé par dissimulation de salariés et l’article L. 8221-3 du code du travail visant le travail dissimulé par dissimulation d’activités, rendant de ce fait le développement de la défense sur le seul délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité non pertinent ;

”et aux motifs adoptés qu’il apparaît que ces personnes avaient été contactées et recrutées dans leur pays par M. Z..., sur demande de M. X... gérant de la SARL Top Quality France et directeur commercial de la société Top Quality Suisse ; (…) que l’implication de M. X... dans la venue et l’embauche de ces personnes est établie, le lien de subordination aussi, et il apparaît qu’aucune déclaration de ces travailleurs n’a été effectuée ; (…) que les contrats liant les parties ont été signés par les travailleurs sudaméricains avec la société Top Quality Suisse et non avec la SARL Top Quality France ;

”1°) alors que tout jugement doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ; que le chef d’entreprise est seul responsable des manquements à la réglementation du travail, sauf délégation particulière de ses pouvoirs à une personne déterminée, pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; que M. X... a fait valoir que la société Top Quality France dont il est le gérant de droit avait été définitivement relaxée en première instance de l’ensemble des faits visés à la prévention et qu’en sa qualité de directeur commercial de la société Top Quality Suisse, il n’avait pas à répondre des faits dont seul son administrateur, M. Gilles Y..., en sa qualité de dirigeant, devait pénalement répondre ; qu’en déduisant la qualité d’employeur de M. X... du fait qu’il avait été habilité à signer, pour le compte de la société Top Quality Suisse, le contrat conclu avec la société Walon ayant pour objet la remise à neuf de carrosserie de véhicules, la cour s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser l’existence d’une délégation de pouvoir en matière de réglementation du travail ;

”2°) alors que l’arrêt attaqué ne peut, sans se contredire, retenir « l’existence de liens de subordination réel entre ces ouvriers et la société Top Quality, et donc le prévenu M. X... » et que « M. X... a donc employé 93 débosseleurs » tout en constatant qu’il n’est que le directeur commercial de Top Quality Suisse, que le contrat ayant pour objet la remise à neuf de carrosserie de véhicules a été signé pour le compte de Top Quality Suisse, que les contrats d’assistance requalifiés en contrats de travail ont été signés entre les débosseleurs et la société Top Quality Suisse et, faisant siennes les constatations de l’inspection du travail, que le cabinet d’avocats avait été mandaté pour procéder aux formalités d’immatriculation des travailleurs par Top Quality, qu’il y avait eu mise à disposition de faux travailleurs indépendants au profit de Top Quality, que les prix étaient fixés par Top Quality (ibidem), que le recrutement, le contrôle de l’activité et l’organisation du travail étaient assurés par Top Quality, les frais pris en charge par Top Quality, l’habillage juridique organisé par Top Quality et le gros matériel fourni par Top Quality ;

”3°) alors que tout jugement et arrêt en matière correctionnelle doit énoncer les faits dont le prévenu est jugé coupable et constater l’existence des éléments constitutifs de l’infraction ; que l’arrêt attaqué, qui ne relève pas les éléments constitutifs du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité dont il a déclaré M. X... personnellement coupable et ne comporte aucune motivation propre à justifier de ce que M. X... aurait été personnellement tenu de procéder aux formalités déclaratives de l’article L. 8221-3 du code du travail, se trouve privé de tout motif” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de procédure qu’un parc de véhicules automobiles qu’elle stockait ayant été endommagé par des chutes de grêle, la société Walon France a souhaité confier la remise en état des carrosseries à la société Top Quality France, dont le gérant, M. X..., l’a réorientée vers la société Top Quality Suisse, dont il était lui-même directeur commercial ; qu’un “contrat de service” portant sur le débosselage des véhicules a ainsi été conclu entre la société Walon France et la société Top Quality Suisse, représentée par M. X..., “dûment habilité à cet effet” ; qu’eu égard aux délais contraints qui lui étaient impartis, la société Top Quality Suisse a estimé devoir recourir aux services de prestataires extérieurs et, à cet effet, M. X... a confié à un proche le soin de recruter une main d’oeuvre d’origine argentine et brésilienne tandis qu’il chargeait un cabinet d’avocat spécialisé d’entreprendre les démarches administratives nécessaires, notamment l’inscription à l’URSSAF des travailleurs concernés, sous un statut indépendant d’”expert automobile” ; qu’à la suite d’un contrôle de l’inspection du travail, qui a considéré que les contrats ainsi conclus devaient être requalifiés en contrats de travail, la société Top Quality France, prise en la personne de M. X..., et ce dernier, à titre personnel, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs, notamment, de travail dissimulé, par absence de déclaration préalable à l’embauche et de déclarations fiscales et sociales ultérieures concernant quatre-vingt-dix-huit salariés, ainsi que d’emploi de soixante-quinze étrangers non munis d’une autorisation de travail salarié ; que les juges du premier degré ont relaxé la société Top Quality France, au motif que les contrats litigieux liaient les travailleurs sud-américains à la société Top Quality Suisse, mais ont retenu M. X... dans les liens de la prévention ; que ce dernier, à titre principal, et le ministère public, à titre incident, ont relevé appel de la décision ;

Attendu que, pour écarter l’argumentation du prévenu, qui soutenait que, d’une part, il ne pouvait être pénalement responsable de faits commis pour le compte de la société Top Quality Suisse, dont il n’était pas le dirigeant de droit mais seulement le directeur commercial, d’autre part, le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité n’était pas caractérisé, l’arrêt, après avoir souligné dans le rappel des faits le rôle déterminant joué par M. X... dans le recrutement et l’emploi des travailleurs concernés, retient en substance que l’habilitation que lui avait donnée la société Top Quality Suisse pour signer le contrat de service avec la société Walon s’étendait à la bonne exécution de l’accord, c’est-à-dire aux conditions dans lesquelles les travaux de débosselage devaient être réalisés, en l’occurrence par le recours à une main d’oeuvre étrangère ; que les juges ajoutent que la responsabilité personnelle de M. X... est d’autant moins discutable qu’il était “au coeur de l’affaire”, usant de manière ambiguë, selon les besoins de la cause, de ses responsabilités au sein, tant de la société française que de la société suisse, la première ayant d’ailleurs continué d’intervenir, sans fondement contractuel, dans les conditions d’accueil en France des travailleurs sud-américains recrutés par la seconde ; qu’ils concluent que l’intéressé a en connaissance de cause usé d’un stratagème lui permettant de disposer d’une main d’oeuvre étrangère conséquente pour réaliser une activité de carrosserie, en éludant les dispositions du code du travail en matière d’obligations sociales et d’emploi d’étrangers, notamment en omettant de procéder aux déclarations préalables à l’embauche ainsi qu’aux déclarations sociales et fiscales requises, et qu’il s’est ainsi rendu coupable tant du délit d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié que de celui de travail dissimulé sous les deux modes visés à l’article L. 8221-1 du code du travail ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, dont il résulte que les juges du fond ont souverainement apprécié que M. X... avait agi en vertu d’une délégation de pouvoirs de la société Top Quality Suisse et qui, de surcroît, caractérisent la participation personnelle de l’intéressé aux faits reprochés, la cour d’appel a justifié sa décision, sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juillet deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Chambéry , du 25 mai 2016