Salarié étranger sans titre de travail et emploi dissimulé - partie civile oui

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 15 juin 2021, 20-85.115, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 20-85.115
ECLI:FR:CCASS:2021:CR00742
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mardi 15 juin 2021
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 06 juillet 2020

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° E 20-85.115 F-D

N° 00742

MAS2
15 JUIN 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JUIN 2021

M. [G] [I] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 6 juillet 2020, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de travail dissimulé et aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un étranger, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires et des mémoires complémentaires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Ingall-Montagnier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [G] [I], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Z] [D], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 18 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 26 avril 2019, le tribunal correctionnel a condamné M. [I] pour exécution d’un travail dissimulé, emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salariée et aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un étranger en France, a octroyé à M. [D], partie civile,
10 000 euros pour préjudice moral, le déboutant de sa demande pour préjudice financier.

3. Seul M. [D], partie civile, a interjeté appel du jugement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné M. [I] à payer à M. [D] la somme de 143 636 euros au titre de son préjudice financier global, alors :

« 1°/ que seul le juge du contrat de travail a compétence pour statuer sur les différends qui peuvent s’élever à l’occasion d’un contrat de travail, le tribunal correctionnel ne pouvant qu’ordonner la réparation d’un préjudice en relation directe avec l’infraction ; qu’en condamnant M. [I], déclaré coupable de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, à payer à M. [D] la somme de 93 636 euros représentant le montant de la rémunération à laquelle celui-ci aurait pu prétendre compte tenu du nombre d’heures de travail effectivement accomplies, la cour d’appel, qui a ainsi octroyé à la partie civile une somme au titre de l’inexécution, par l’employeur, de son obligation de payer le salaire, élément essentiel du contrat de travail, et dont l’allocation relevait en conséquence de la compétence exclusive du conseil de prud’hommes, a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1411-1 et L. 8221-5 du code du travail, 1240 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la partie civile ne peut obtenir devant le juge correctionnel que la seule réparation du préjudice que lui a directement causé l’infraction retenue ; qu’en octroyant à M. [D] la somme de 93 636 euros représentant le montant de la rémunération contractuelle à laquelle celui-ci aurait pu prétendre compte tenu du nombre d’heures de travail qu’il avait effectivement accomplies, la cour d’appel, qui a ainsi réparé un préjudice qui ne résultait pas directement du délit de travail dissimulé par dissimulation de salarié dont M. [I] avait été déclaré coupable, a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8221-5 du code du travail, 1240 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu’en retenant que le préjudice financier constitué par la privation de toute couverture sociale et l’absence d’assurance chômage, d’assurance-maladie et de tout droit à la retraite justifie d’être indemnisé « forfaitairement » à la somme de 50 000 euros, la cour d’appel a de ce chef méconnu les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour

5. Pour condamner M. [I] à payer la somme de 143 636 euros à M. [D], l’arrêt énonce que la législation sur le travail clandestin édictée en vue de l’intérêt général tend également à la protection des particuliers, qui peuvent lorsque sa méconnaissance leur a causé un préjudice personnel et direct en obtenir réparation devant la juridiction pénale, laquelle est compétente pour indemniser le préjudice quand le prévenu est condamné.

6. Les juges relèvent que la victime, payée de façon occulte pour des heures qui ne correspondaient pas à la réalité de celles effectuées assimilées à du travail dissimulé, a subi un préjudice directement causé par les faits objet de la poursuite et que les conditions anormales de son emploi, comme étranger en situation précaire à la merci d’un employeur particulièrement indélicat, justifient la condamnation de ce dernier au paiement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier.

7. Les juges ajoutent qu’outre les pertes de salaire subies, dont le montant n’est pas contesté par l’employeur, la victime aujourd’hui âgée de 61 ans ne dispose d’aucune aide sociale, d’aucun droit à la retraite, qu’en conséquence il y a lieu de condamner M. [I] à lui payer la somme de 93 636 euros au titre des pertes de salaire, majorée d’un montant de 50 000 euros au titre du préjudice financier forfaitaire complémentaire pour la privation de couverture sociale, d’assurance chômage, d’assurance-maladie et de tout droit à la retraite.

8. En l’état de ces énonciations la cour d’appel a justifié sa décision.

9. En effet, en premier lieu, la cour d’appel qui a alloué à la partie civile des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 2 du code de procédure pénale, en réparation du préjudice dont elle a personnellement souffert du fait de l’infraction de travail dissimulé pour laquelle M. [I] a été condamné, sans toutefois lui octroyer l’indemnité forfaitaire distincte de six mois de salaire prévue par l’article L. 8223-1 du code du travail en cas de rupture de la relation de travail, dont il n’est d’ailleurs pas prétendu qu’elle aurait été demandée, n’a méconnu aucun des textes visés aux deux premières branches du moyen.

10. En second lieu, si c’est à tort que la cour d’appel a utilisé le terme forfaitaire en ce qui concerne le préjudice financier complémentaire, l’arrêt n’encourt cependant pas la censure dès lors qu’en réalité la cour d’appel n’a pas évalué forfaitairement ce préjudice.

11. Ainsi, le moyen qui ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par la cour d’appel de l’indemnité propre à réparer le dommage né de l’infraction n’est pas fondé.

12. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [I] devra payer à la SCP Waquet, Farge et Hazan, en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale et de l’article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 modifiée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze juin deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR00742