Indemnités de rupture non dues si faute grave
Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du 12 octobre 2016
N° de pourvoi : 15-20979
ECLI:FR:CCASS:2016:SO01783
Non publié au bulletin
Cassation partielle
M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l’article L. 1232-6 du code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’engagé le 1er juin 2004 par la société Sébastopol papiers peints en qualité de livreur manutentionnaire, suivant un contrat à durée indéterminée faisant suite à deux contrats à durée déterminée s’étant succédé à compter de mai 2002, M. X... a été licencié pour faute grave par une lettre du 4 avril 2006 ;
Attendu que pour condamner la société Sébastopol papiers peints à payer au salarié diverses sommes à titre d’indemnité de préavis outre les congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied, l’arrêt énonce qu’il résulte des pièces produites et des débats que, lors de son embauche, M. X..., de nationalité sénégalaise, a remis à la société une carte de séjour constituant un faux, que la fausseté du document a été révélée à l’employeur par les services de la préfecture de police de Paris en mars 2006, mais qu’aucune faute distincte de la situation irrégulière du salarié au regard de l’emploi, n’a été reprochée à l’intéressé ;
Qu’en statuant ainsi, alors même qu’elle constatait que la lettre de licenciement reprochait au salarié d’avoir fourni de faux papiers lors de son embauche, la cour d’appel, qui a méconnu les limites du litige fixées par cette lettre, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il condamne la société Sébastopol papiers peints à payer à M. X... une somme à titre de dommages-intérêts pour défaut de visites médicales, l’arrêt rendu le 12 mai 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les points restant en litige, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Sébastopol papiers peints
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la Société Sébastopol Papiers Peints à verser à Monsieur X... les sommes de 4 537,88 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents, 1 739,52 € à titre d’indemnité de licenciement, 1 103,50 € à titre de rappel de salaires pour la période du 21 mars au 4 avril 2006, ainsi qu’à lui remettre un certificat de travail, un bulletin de paie récapitulatif et un reçu pour solde de tout compte conformes à sa décision et à verser à Maître Paul Z... une somme de 2 500 € au titre de l’article 37 de la loi n° 91-947 du 10 juillet 1991 ;
AUX MOTIFS sur le licenciement de Monsieur X... QUE “Monsieur X... a été licencié pour faute grave par lettre du 4 avril 2006, énonçant le motif du licenciement dans les termes suivants :
« Monsieur, nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d’une faute grave. En effet, vous nous avez fourni de faux papiers (carte de séjour) lors de votre embauche.
Cette conduite est préjudiciable aux intérêts de la société. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 31 mars 2000 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; nous vous informons que nous avons en conséquence décidé de vous licencier pour faute.
Compte tenu de la gravité de celle-ci, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date de présentation de cette lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement » ;
QUE “Monsieur X... soutient que, dès la signature de son premier contrat à durée déterminée, l’embauchant pour la période du 22 mai 2002 au 31 janvier 2003, il aurait informé son employeur de sa situation irrégulière au regard du Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France, ce qui n’aurait pas dissuadé la Société Sébastopol Papiers Peints de l’employer dans le cadre de deux contrats à durée déterminée puis d’un contrat à durée indéterminée, sans pour autant effectuer des démarches auprès du service de la main d’oeuvre étrangère, au mépris des dispositions du code du travail ; qu’il appartiendrait à l’employeur de fournir à la juridiction prud’homale « une explication objective et convaincante » sur cette absence de démarche dès lors que le salarié aurait allégué une information sur l’irrégularité de sa situation administrative ; que selon Monsieur X..., son licenciement ne pourrait avoir été légitimement prononcé pour faute grave, dans la mesure où la faute qui lui est reprochée, à savoir la production - non contestée - de faux papiers à l’embauche, était prescrite par application de l’article L.1332-4 du code du travail ; qu’il appartiendrait à son employeur de prouver qu’il n’aurait eu connaissance de la présentation d’une fausse carte de séjour que dans les deux mois précédant la rupture du contrat de travail du salarié ;
QUE la Société Sébastopol Papiers Peints conteste avoir eu connaissance de la situation irrégulière de Monsieur X... sur le territoire français avant le mois de mars 2006, date à laquelle ses dirigeants avaient été amenés à assister le salarié lors d’une confrontation organisée par les services de police à la suite d’une plainte - qui n’aura pas de suite - déposée par une cliente de la société ; que l’employeur précise que, lors de son embauche, Monsieur X... avait présenté une carte de résident expirant le 24 octobre 2011, valable sur l’ensemble du territoire français, ainsi qu’un permis de conduire ; que la société indique qu’elle ne pouvait que rompre le contrat de travail de Monsieur X... dès lors qu’elle avait appris qu’il était dépourvu d’autorisation de travail, et ce par application des dispositions d’ordre public de l’article L.8251-1 du code du travail ; qu’elle ajoute qu’elle n’avait pas à procéder aux vérifications imposées par l’article R.341-6 devenu l’article R.5221-41 du Code du travail, ces dispositions n’étant entrées en vigueur qu’au 1er juillet 2007, soit plus d’un an après le licenciement du salarié ;
QU’ “en application de l’article L.8251-1, alinéa 1, du Code du travail, nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu’en vertu de l’article L.8252-1 du même code, le salarié étranger employé en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L.8251-1 est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un salarié régulièrement engagé au regard des obligations de l’employeur définies par le présent code :
1° Pour l’application des dispositions relatives aux périodes d’interdiction d’emploi prénatal et postnatal et à l’allaitement, prévues aux articles L.1225-29 à L.1225-33 ;
2° Pour l’application des dispositions relatives à la durée du travail, au repos et aux congés prévues au livre Ier de la troisième partie ;
3° Pour l’application des dispositions relatives à la santé et la sécurité au travail prévues à la quatrième partie ;
4° Pour la prise en compte de l’ancienneté dans l’entreprise » ;
QUE les règles relatives au licenciement n’ont pas vocation à s’appliquer à un travailleur en situation irrégulière dès lors que l’employeur est tenu de mettre fin à son contrat de travail, la rupture du contrat devenant obligatoire, peu important le motif du licenciement ;
QU’en revanche a été institué un régime spécifique d’indemnisation de la rupture d’un travailleur en situation irrégulière ; qu’aux termes de l’article L.8252-2 du Code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, le salarié étranger a droit au titre de la période d’emploi illicite :
1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée ;
2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, à moins que l’application des règles figurant aux articles L.1234-5, L.1234-9, L.1243-4 et L.1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable [...] » ;
QUE Monsieur X... réclame, en plus des indemnités de préavis et de licenciement, une somme de 6 806,82 euros à titre « d’indemnité forfaitaire de trois mois de salaire en application de l’article L 8252-2 du Code du travail » ; que la version de ce texte résultant de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 n’est cependant pas applicable à un licenciement intervenu - comme en l’espèce - à une date antérieure ;
QUE si l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l’application des dispositions relatives aux licenciements et de l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle n’est pas constitutive en soi d’une faute privative des indemnités de rupture ; que l’employeur qui entend invoquer une faute grave distincte de la seule irrégularité de l’emploi doit en faire état dans la lettre de licenciement, et, s’étant placé sur le terrain disciplinaire, respecter les dispositions relatives à la procédure disciplinaire ;
QU’il résulte des pièces produites et des débats que, lors de son embauche, Monsieur X..., de nationalité sénégalaise, a remis à la Société Sébastopol Papiers Peints une carte de séjour constituant un faux ; que la fausseté du document a été révélée à l’employeur par les services de la Préfecture de Police de Paris en mars 2006 ;
QU’aucune faute distincte de la situation irrégulière du salarié au regard de l’emploi n’a été reprochée à Monsieur X... ;
QUE l’employeur ne pouvait fonder le licenciement du salarié sur le caractère illicite de son emploi pour justifier la faute grave alléguée, dès lors que l’article L.122-44 devenu l’article L.1332-4 du code du travail ne s’applique pas à la rupture du contrat de travail d’un étranger employé irrégulièrement, la notion de prescription de la faute étant en conséquence inopérante ;
QUE la rupture du contrat de travail de l’étranger embauché irrégulièrement lui ouvre cependant droit soit à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, soit aux indemnités de rupture, selon la solution la plus favorable pour lui, sans que ces indemnités puissent se cumuler entre elles ; qu’il y a lieu dans ces conditions de comparer le montant de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L.8252-2 du code du travail avec la somme résultant des indemnités de licenciement et de préavis auxquelles le salarié pouvait prétendre pour déterminer quelle était la situation la plus favorable pour lui ; qu’en application des dispositions des articles susvisés L.1234-5 et 9 du code du travail, Monsieur X... aurait droit à une indemnité de préavis et congés payés incidents, d’un montant de 4 991,66 euros, ainsi qu’à une indemnité de licenciement d’un montant de 1 739,52 euros, montants supérieurs à l’indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, soit 2 268,94 euros, ces montants n’étant pas subsidiairement contestés par l’employeur ; qu’il y a lieu, en conséquence, de condamner la Société Sébastopol Papiers Peints à payer à Monsieur X... les indemnités de préavis, congés payés incidents et indemnité de licenciement susvisées, soit une somme totale de 6 731,18 euros, en infirmant le jugement déféré de ce chef ; que Monsieur X... est débouté du surplus de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail, au demeurant nouvelles devant la cour ;
QUE sur la demande de rappel de salaire, Monsieur X... réclame une somme de 1 103,50 euros à titre de salaire impayé pour la période du 21 mars au 4 avril 2006 ; que l’irrégularité de l’emploi ne pouvant constituer en elle-même une faute grave, la Société Sébastopol Papiers Peints ne pouvait prononcer à l’encontre de Monsieur X... une mesure de mise à pied disciplinaire ; qu’il est fait droit, dans ces conditions, à la demande de rappel de salaire présentée par Monsieur X..., le jugement étant infirmé sur ce point” ;
1°) ALORS QUE la lettre de licenciement du 4 avril 2006 notifiait à Monsieur X... son licenciement pour faute grave pour “…[avoir] fourni de faux papiers (carte de séjour) lors de son embauche” ; que le licenciement ainsi notifié était fondé sur la fraude commise par le salarié lors de son embauche, distincte de la seule irrégularité de son emploi, qui n’en était que la conséquence ; qu’en retenant à l’appui de sa décision que “… l’employeur ne pouvait fonder le licenciement du salarié sur le caractère illicite de son emploi pour justifier la faute grave alléguée” la Cour d’appel, qui a méconnu les termes du litige fixés par la lettre de licenciement, a violé l’article L.1232-6 du Code du travail ;
2°) ALORS QU’en l’absence de faute de l’employeur dans la vérification du titre apparemment régulier qui lui a été présenté, la fraude du salarié qui lui a fourni de faux titres de séjour lors de son embauche constitue une faute grave privative des indemnités de rupture du bénéfice de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L. 8252-2 du Code du travail ; qu’en l’espèce, il ressort des propres constatations de l’arrêt attaqué “ que, lors de son embauche, Monsieur X..., de nationalité sénégalaise, a remis à la Société Sébastopol Papiers Peints une carte de séjour constituant un faux ; que la fausseté du document a été révélée à l’employeur par les services de la Préfecture de Police de Paris en mars 2006” ; qu’en jugeant cependant que l’employeur ne pouvait se fonder sur cette faute grave pour prononcer le licenciement disciplinaire du salarié, la Cour d’appel a violé l’article L.8252-2 du Code du travail dans sa version applicable au litige et, par refus d’application, les articles L. 1234-5 et L. 1234-9 du Code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la Société Sébastopol Papiers Peints à verser à Monsieur X... la somme de 1 103,50 € à titre de rappel de salaires pour la période du 21 mars au 4 avril 2006, ainsi qu’à lui remettre certificat de travail, bulletin de paie récapitulatif et reçu pour solde de tout compte conformes à sa décision et à verser à Maître Paul Z... une somme de 2 500 € au titre de l’article 37 de la loi n° 91-947 du 10 juillet 1991 ;
AUX MOTIFS QUE “sur la demande de rappel de salaire, Monsieur X... réclame une somme de 1 103,50 euros à titre de salaire impayé pour la période du 21 mars au 4 avril 2006 ; que l’irrégularité de l’emploi ne pouvant constituer en elle-même une faute grave, la Société Sébastopol Papiers Peints ne pouvait prononcer à l’encontre de Monsieur X... une mesure de mise à pied disciplinaire ; qu’il est fait droit, dans ces conditions, à la demande de rappel de salaire présentée par Monsieur X..., le jugement étant infirmé sur ce point” ;
ALORS QUE le salaire est la contrepartie du travail fourni ; que l’employeur, lui-même indemne de toute faute, et contraint par la loi de ne pas conserver à son service un étranger en situation irrégulière ne saurait être tenu au paiement de la rémunération d’un travail qui ne lui a pas été fourni ; qu’en décidant le contraire la Cour d’appel, qui n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.8251-1, L.8252-2 du Code du travail, ensemble l’article 1134 du Code civil.
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 12 mai 2015