Salarié dissimulé - indemnité forfaitaire 6 mois de salaire non - moins favorable

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 18 mars 2020

N° de pourvoi : 18-24982

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00360

Publié au bulletin

Rejet

M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Me Occhipinti, SCP Colin-Stoclet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION


Audience publique du 18 mars 2020

Rejet

M. SCHAMBER, conseiller doyen

faisant fonction de président

Arrêt n° 360 F-P+B

Pourvoi n° B 18-24.982

Aide juridictionnelle totale en demande

au profit de M. V....

Admission du bureau d’aide juridictionnelle

près la Cour de cassation

en date du 18 octobre 2018.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MARS 2020

M. X... V..., domicilié chez Mme W... T..., [...] , a formé le pourvoi n° B 18-24.982 contre l’arrêt rendu le 29 juin 2017 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. E... R..., domicilié [...] , exerçant sous l’enseigne Services Paris-Province (SPP),

2°/ à la société Services Paris-Province, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Aubert-Monpeyssen, conseiller, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de M. V..., de Me Occhipinti, avocat de M. R..., après débats en l’audience publique du 12 février 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Aubert-Monpeyssen, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2017), M. V..., ressortissant étranger sans titre de travail, a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir constater l’existence d’un contrat de travail le liant à M. R..., ainsi que de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de ce contrat.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

2. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, alors « que les indemnités prévues par l’article L. 8252-2 du code du travail au titre de la période d’emploi illicite en cas de rupture du contrat et celles prévues par l’article L. 8223-1 du même code au titre du travail dissimulé, ne se cumulent pas, mais que le salarié doit bénéficier de la disposition la plus favorable ; que l’article L. 8223-1 prévoit une indemnité forfaitaire équivalente à six mois de salaire ; qu’en l’espèce la cour d’appel a accordé une indemnité forfaitaire équivalente à trois mois de salaire prévue par l’article L. 8252-2 quand l’indemnité au titre du travail dissimulé était plus favorable au salarié ; qu’elle a ainsi violé l’article L. 8252-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir exactement retenu que lorsque l’étranger employé sans titre de travail l’a été dans le cadre d’un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l’article L. 8223-1 du code du travail, soit des dispositions des articles L. 8252-1 à L. 8252-4 du même code si celles-ci lui sont plus favorables, la cour d’appel a estimé que le cumul des sommes allouées par elle à titre de rappel de salaire et d’indemnité forfaitaire de rupture en application de l’article L. 8252-2 du code du travail était plus favorable au travailleur étranger que l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé prévue à l’article L. 8223-1 du même code.

5. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. V... aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. V... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour M. V....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir limité le calcul des sommes dues au titre du contrat de travail à la période du 23 janvier au 23 juin 2012, soit un montant de 4 100 euros de rappel de salaire, de 410 euros au titre des congés payés y afférents ; 972 euros de primes de panier ; 405 euros d’indemnités de trajet et débouté M. V... du surplus de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE la cour constate que n’est produit ni même allégué aucun contrat de travail écrit, pas plus que des éléments se rapportant à une apparence de contrat de travail, que ce soit un quelconque document social (déclaration unique à l’embauche, bulletin de salaire

) ou un élément écrit afférent à l’existence d’une relation de travail (avis d’arrêt de travail, demande de paiement de congés payés ou d’heures supplémentaires

) ; qu’il appartient donc à M. V... qui invoque l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve ; que pour caractériser le lien de subordination allégué avec M. V... produit une promesse d’embauche du 14 octobre 2011 et deux attestations d’hébergement des 1er janvier et 12 mai 2012, supportant l’écriture de M. R..., des témoignages de plusieurs clients chez lesquels il a travaillé pour le compte de M. R..., des photographies des chantiers sur lesquels il est intervenu, des pages de son agenda de l’année 2012 comprenant des directives écrites de M. R... et les versements perçus (3 050 euros en espèces), un chèque écrit par M. R... en remboursement d’une marchandise pour un chantier [...] et il rappelle l’aveu judiciaire de M. R... devant le juge départiteur ; qu’il n’est pas contesté que M. R... a exercé sus l’enseigne Services Paris Province SPP sous statut d’auto-entrepreneur, une activité dans le domaine du bâtiment entre le 16 juin 2011 et le 18 juillet 2012, date à laquelle il a déclaré la cessation de son activité ; qu’il a hébergé M. V... dans un local d’un immeuble lui appartenant [...] ), lui a établi une promesse d’embauche et une attestation d’hébergement, et est intervenu dans la constitution de son dossier adressé à la préfecture de police de Paris afin d’obtenir sa régularisation administrative, ainsi qu’il ressort d’ailleurs des pièces de ce dossier qui supportent son écriture ; que contestant tout lien de subordination juridique avec l’intéressé, M. V... indique avoir joué un rôle d’intermédiaire entre des clients potentiels et M. V... ; que les photographies produites par M. V... qui le représentent avec des outils en train d’effectuer des travaux en des lieux différents établissent que celui-ci a exécuté des travaux de bâtiment sur plusieurs chantiers ; que si les attestations de M. U... J... et Mmes G... A... et O... B... ne sont pas convaincantes faute de rapporter des faits précis, en revanche il ressort de celles de Mmes S... M... et C... F... que M. R... faisait régulièrement travailler M. V... pour effectuer des travaux dans des appartements du [...] ) ; que par ailleurs, les copies de l’agenda de M. V... supportent l’écriture de M. R..., en particulier, pour les mois de janvier et février 2012, des adresses se rapportant à des chantiers en plusieurs endroits à Paris sont notées de l’écriture de M. R... ; que par ailleurs, sont notés des comptes de travaux ainsi que des listes de travaux à effectuer, étant précisé que les copies des pages de l’agenda concernent les périodes du 23 janvier 2012 jusqu’au 28 avril 2012 puis du 21 au 26 mai 2012 et enfin du 18 au 23 juin 2012, soit une période de cinq mois ; qu’en outre, la copie du chèque produit par M. V... daté du 14 mars 2012 pour un montant de 82,98 euros supporte encore l’écriture de M. R..., de même qu’un reçu de 2 000 euros, étant relevé que M. R... ne conteste pas avoir remis de l’argent à M. V... qu’il estime à un montant total de 3 050 euros ; qu’il résulte de tout ce qui précède qu’entre le 23 janvier et le 23 juin 2012, M. R... a employé M. V... pour effectuer des travaux de bâtiment sur divers chantiers à Paris ; qu’en application des dispositions conventionnelles de la convention collective des ouvriers du bâtiment de la région parisienne, M. V... a droit à un rappel de salaire d’un montant de 4 100 euros, soit 1 430 euros x 5 mois dont il convient de déduire la somme de 3 050 euros déjà perçue, outre 410 euros au titre des congés payés y afférents ; à des primes de panier d’un montant de 9 euros sur 108 jours, soit 972 euros ; des indemnités de trajet d’un montant de 3,75 euros sur 108 jours, soit 405 euros ; que M. R... sera en outre condamné à remettre des bulletins de salaire afférents à la période de travail, ainsi qu’un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi ;

1°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ; qu’en limitant la durée de contrat de travail entre M. R... et M. V... à la période du 23 janvier au 23 juin 2012, sans s’expliquer sur les éléments de fait et de preuve lui permettant de limiter ainsi la relation de travail, et sans réfuter les motifs du jugement dont M. V... demandait confirmation en ce qu’il avait retenu un contrat d’octobre 2011 à février 2013, la cour d’appel a privé sa décision de motifs, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer les termes du litige ; qu’en restreignant la durée de contrat de travail entre M. R... et M. V... à la période du 23 janvier au 23 juin 2012 tandis que M. R... faisait seulement valoir que si l’existence d’un contrat de travail était reconnue, le jugement qui le condamnait à payer des rappels de salaires jusqu’à février 2013 devait être infirmé puisqu’il avait cessé toute activité à compter du 1er juillet 2012, et qu’il ne contestait pas le point de départ de la relation de travail, la cour d’appel a modifié les termes du litige, en violation de l’article 4 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir débouté M. V... de ses demandes d’indemnité au titre du non-respect de la procédure de licenciement, du non-respect du préavis de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS repris sous le premier moyen et AUX MOTIFS QUE M. V... fait valoir qu’il s’est retrouvé « jeté dehors » du jour au lendemain par M. R... sans respect d’aucune procédure de licenciement ; que l’irrégularité de la situation d’un salarié étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l’application des dispositions relatives aux licenciements ; que le salarié étranger en emploi régulier ne peut donc réclamer des dommages et intérêts pour licenciement abusif et les dispositions qui régissent la procédure de licenciement pour motif personnel n’étant pas applicable à cette cause de rupture obligatoire, l’intéressé ne peut prétendre à aucune indemnisation à ce titre ; qu’il est constant que M. V..., salarié étranger, n’était en possession ni d’un titre de séjour ni d’une autorisation de travail ; qu’il est avéré que M. V... n’a fait l’objet d’aucune formalité relative à l’embauche, la délivrance de bulletins de paie et aux déclarations relatives aux salaires et cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement ;

1°) ALORS QUE le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu’il ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit non invoqué par les parties sans les inviter à présenter leurs observations au préalable ; que M. V... demandait la confirmation du jugement quant à l’octroi de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement et licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que M. R... n’avait pas soutenu, dans ses conclusions d’appel, auxquelles l’arrêt se réfère, au soutien de sa demande d’infirmation du jugement, que les dispositions relatives au licenciement pour motif personnel ne seraient pas applicables à un salarié étranger en situation irrégulière ; qu’en relevant d’office, pour infirmer le jugement, ce moyen de droit nouveau, sans provoquer les observations contradictoires des parties sur ce point, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2°) ALORS QUE l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger ne constitue pas en soi une faute grave ; qu’en refusant toute indemnité de préavis du seul fait de l’irrégularité de la situation administrative de M.V..., travailleur étranger, la cour d’appel a violé les articles L. 1232-1, L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail ;

3°) ALORS QUE la rupture d’un contrat de travail non formalisée par une lettre de licenciement s’analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu’en justifiant le licenciement par l’irrégularité de la situation de travailleur étranger de M. V..., quand l’employeur ne lui avait pas remis de lettre de licenciement, la cour d’appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail ;

4°) ALORS QU’en tout état de cause, l’employeur qui n’a pas mis le salarié en mesure de régulariser sa situation administrative de travailleur étranger, notamment en lui fournissant les documents nécessaires à sa régularisation, doit supporter les conséquences de la rupture ; qu’en constatant que M. R... avait connaissance de la situation irrégulière de M. V..., qu’il était intervenu dans la constitution du dossier de régularisation de sa situation à la préfecture de police de Paris mais qu’il n’avait pas fourni de contrat de travail ni de bulletin de paye, qu’il n’avait pas respecté les formalités relatives à l’embauche ni aux déclarations relatives aux salaires et cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement, d’où il résultait que M. R..., employeur, n’avait pas mis M. V... en mesure de régulariser sa situation administrative de travailleur étranger, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8251-1 du code du travail et des articles R. 5221-11, R. 5221-12 et R. 5221-15 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir débouté M. V... de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QUE même s’il est avéré que M. V... n’a fait l’objet d’aucune formalité relative à l’embauche, la délivrance de bulletins de paie et aux déclarations relatives aux salaires et cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement, celui-ci n’est cependant pas fondé en sa demande d’indemnité pour travail dissimulé alors qu’il a bénéficié des dispositions de l’article L. 8252-2 du code du travail qui lui sont plus favorables, les indemnités prévues par les articles L. 8252-2 ne se cumulant pas avec d’autres indemnités ;

ALORS QUE les indemnités prévues par l’article L. 8252-2 au titre de la période d’emploi illicite en cas de rupture du contrat et celles prévues par l’article L. 8223-1 du code du travail au titre du travail dissimulé, ne se cumulent pas, mais le salarié doit bénéficier de la disposition la plus favorable ; que l’article L. 8223-1 prévoit une indemnité forfaitaire équivalente à 6 mois de salaire ; qu’en l’espèce la cour d’appel a accordé une indemnité forfaitaire équivalente à 3 mois de salaire prévue par l’article L. 8252-2 quand l’indemnité au titre du travail dissimulé était plus favorable à M. V... ; qu’elle a ainsi violé l’article L. 8252-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige. Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 29 juin 2017