Restaurant - annulation arrêté préfectoral - nécessaire conformité aux suites judiciaires

CAA de LYON, 7ème chambre, 29/07/2021

N° 19LY03442
Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 29 juillet 2021
Président
M. ARBARETAZ
Rapporteur
Mme Christine DJEBIRI
Rapporteur public
M. CHASSAGNE
Avocat(s)
SELARL CAYSE - AVOCATS
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Grys a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler la décision du 8 janvier 2016 par laquelle le préfet du Rhône a ordonné la fermeture administrative pour une durée de deux mois de l’établissement de restauration qu’elle exploite à l’enseigne " Le Carmelina ", et de condamner l’État à lui verser la somme de 89 941 euros en réparation des préjudices ayant résulté de l’exécution de cette décision.

Par jugement n° 1600452, 1701333 lu le 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Lyon, réformant la décision du 8 janvier 2016, a réduit à un mois la durée de la fermeture administrative et a condamné l’État à verser à la société Grys une indemnité de 44 970,50 euros.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 2 septembre 2020, la ministre du travail demande à la cour d’annuler ce jugement en tant qu’il a réformé la décision du 8 janvier 2016 prononçant la fermeture administrative de l’établissement " Le Carmelina " a condamné l’État au versement de la somme de 44 970,50 euros.

Elle soutient que :
 la sanction de deux mois est proportionnée au nombre de salariés concernés par les manquements relevés, au nombre et à la durée de ceux-ci, à la situation financière de l’entreprise ;
 en l’absence d’illégalité, la société Grys ne doit pas être indemnisée, et à titre subsidiaire le chiffre d’affaires de la société a été surestimé et le préjudice n’est pas établi dès lors qu’il est financé par abondement de compte courant d’associé.

Par mémoire enregistré le 23 janvier 2020, la société Grys, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l’appel incident :
1°) d’annuler le jugement qui rejette le surplus de ses demandes, d’annuler totalement la sanction de fermeture administrative et de porter la condamnation de l’État à la somme de 89 941 euros en indemnisation des conséquences dommageables de la fermeture provisoire, effective du 18 janvier au 17 mars 2016 ;
2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
 aucun moyen de la requête n’est fondé, la ministre ne fait que reprendre les arguments invoqués en première instance ;
 à l’appui de son appel incident, la décision du 8 janvier 2016 est insuffisamment motivée ;
 elle ne pouvait être assujettie à une fermeture administrative provisoire après que la juridiction judiciaire s’était prononcée sur les infractions relevées lors du contrôle ;
 la sanction méconnaît les dispositions de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, inapplicable à des faits constatés en juin 2015 ;
 elle méconnaît les dispositions de l’article L. 8272-2 du code du travail et est entachée de disproportion quant au nombre de salariés non déclarés et au degré de gravité des faits constatés ;
 elle méconnaît le principe du non bis idem ;
 elle a subi un préjudice résultant de la perte de marge sur coûts variables, déduction faite de l’économie de charges, évalué à la somme de 89 941 euros.

Par ordonnance du 8 septembre 2020, la clôture de l’instruction a été fixée au 8 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
 le code du travail ;
 le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
 le rapport de Mme A..., première conseillère ;
 les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
 et les observations de Me B..., pour la société Grys ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 juillet 2021, présentée par la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Grys exploite un restaurant à Lyon sous l’enseigne " Le Carmelina ". Au cours d’un contrôle effectué conjointement, le 25 juin 2015, par l’URSSAF et la DIRECCTE Rhône-Alpes, a été relevée la présence de quatre personnes travaillant sans avoir fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche. Après avoir saisi l’autorité judiciaire aux fins de poursuite pour délit de travail dissimulé, le préfet du Rhône a, par décision du 8 janvier 2016, prononcé la fermeture provisoire de l’établissement pour une durée de deux mois. Le tribunal administratif de Lyon, saisi par la société Grys, a réduit à un mois la durée de cette sanction et condamné l’État à lui verser la somme de 44 970,50 euros correspondant à la moitié du montant des préjudices que l’entreprise soutenait avoir subis à raison de la mise à exécution des deux mois de fermeture, du 18 janvier au 17 mars 2016. La ministre du travail et la société Grys relèvent appel et appel incident de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 8211-1 du code du travail : " Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : 1° Travail dissimulé (...) ". Aux termes de l’article L. 8272-2 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l’article L. 8211-1, elle peut (...) ordonner par décision motivée la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre provisoire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Elle en avise sans délai le procureur de la République. La mesure de fermeture provisoire est levée de plein droit en cas de classement sans suite de l’affaire, d’ordonnance de non-lieu et de décision de relaxe ou si la juridiction pénale ne prononce pas la peine complémentaire de fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions, d’une part, que la fermeture administrative provisoire doit permettre à l’autorité administrative de sanctionner l’employeur en attendant que l’autorité judiciaire ne se prononce sur la répression des infractions relevées au cours du contrôle, d’autre part, que la mesure perd tout objet lorsque ladite autorité s’est prononcée, ou bien a renoncé aux poursuites et qu’elle n’a pas le caractère d’une sanction supplétive que l’administration pourrait prononcer a posteriori lorsqu’elle estime insuffisantes ou incomplètes les condamnations prononcées par le juge pénal. Or, il est constant que l’autorité judiciaire a renoncé à poursuivre la société Grys, seul son gérant ayant été condamné par jugement du tribunal correctionnel, lu le 10 décembre 2015. Il suit de là qu’au 8 janvier 2016, le préfet du Rhône n’a pu sans méconnaître les articles L. 8211-1 et L. 8272-2 précités du code du travail, infliger à la société Grys une fermeture provisoire, quelle qu’en ait été la durée.

4. Il résulte de ce qui précède, d’une part que la ministre du travail, n’est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal a réduit à un mois la durée de la fermeture administrative du restaurant " Le Carmelina " et, d’autre part que la société Grys est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le même jugement, le tribunal a rejeté le surplus de sa demande d’annulation de la décision du 8 janvier 2016. Ledit jugement doit, en conséquence être annulé en tant qu’il n’a annulé que partiellement la décision du 8 janvier 2016 et la fermeture administrative réduite à un mois doit être annulée.

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Il résulte de l’instruction que la fermeture administrative illégale ayant été exécutée pendant deux mois, l’État doit en indemniser la société Grys dès lors que les préjudices invoqués sont liés à cette fermeture et sont établis dans leur existence et leur montant.

6. La société Grys a été indemnisée par le tribunal administratif du préjudice résultant de la perte d’un mois de chiffre d’affaires par application d’un taux de marge sur coût variable sous déduction de la part de frais épargnés à raison de la fermeture. La somme de 44 970,50 euros, ainsi obtenue, représente les charges de l’entreprise, non couvertes par les recettes pendant cette période d’inactivité forcée. Par nature, ce préjudice découle directement de l’illégalité de la fermeture, donc de la faute de l’administration. Si la ministre du travail soutient que le chiffre d’affaires prévisionnel 2015, sur lequel reposerait la liquidation de la condamnation, a été surestimé, le tribunal s’est fondé sur le chiffre d’affaires effectivement réalisé en 2015, affecté d’une minoration par rapport aux prévision. Dès lors que la fermeture était illégale dans son principe, la société Grys doit être indemnisée du même préjudice pour le second mois de fermeture, selon les mêmes bases de liquidation, ce qui porte le montant de l’indemnisation due à 89 941 euros.

7. La ministre soutient, il est vrai, que la société Grys n’a pas eu à supporter ce préjudice, financé par un apport de 105 000 euros en compte courant d’associé. Toutefois, cette source de financement, affectée à hauteur de 89 941 euros à la perte de couverture de charges fixes du 18 janvier au 17 mars 2016, correspond à un endettement de l’appelante à l’égard du prêteur, donc à une diminution de ses actifs. Il suit de là que la décision de gestion ayant consisté à recourir à un prêt d’associé, plutôt qu’à un prêt bancaire ou à un financement sur fonds propres, n’a pas pour effet de transférer à un tiers ledit préjudice et que la société Grys est fondée à soutenir qu’elle doit en être indemnisée.

8. Il résulte de ce qui précède d’une part que la ministre du travail n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a condamné l’État à verser la somme de 44 970,50 euros à la société Grys et, d’autre part, que la société Grys est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal a limité à 44 970,50 euros, à demander qu’elle soit portée à la somme de 89 941 euros et à demander que le jugement attaqué soit réformé à cette hauteur.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État une somme au titre des frais exposés par la société Grys et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la ministre du travail est rejetée.
Article 2 : L’article 1er du jugement n° 1600452, 1701333 lu le 7 novembre 2017 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu’il n’a annulé que partiellement la décision du 8 janvier 2016.
Article 3 : La décision du 8 janvier 2016, réformée par le jugement n° 1600452, 1701333, par laquelle le préfet du Rhône a prononcé la fermeture administrative de l’établissement " Le Carmelina " pour une durée d’un mois, est annulée.
Article 4 : La somme de 44 970,50 euros que l’État a été condamnée à verser à la société Grys est portée à la somme de 89 941 euros.
Article 5 : L’article 2 du jugement n° 1600452, 1701333 lu le 7 novembre 2017 du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu’il a de contraire à l’article 4 ci-dessus.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la société Grys est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion et à la société Grys.
Délibéré après l’audience du 8 juillet 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juillet 2021.