restauration rapide - suspension arrêté préfectoral par juge des référés - urgence reconnue car établissement déficitaire

, par Hervé

Conseil d’État

N° 433168

ECLI:FR:CEORD:2019:433168.20190816

Inédit au recueil Lebon

Juge des référés

SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA, avocat(s)

lecture du vendredi 16 août 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Maestro a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 3 juillet 2019 par lequel le préfet du Val-de-Marne a prononcé la fermeture de son établissement exploité sous l’enseigne “ DFC-Maestro “ pour une durée d’un mois. Par une ordonnance n° 1906394 du 17 juillet 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu l’exécution de cet arrêté.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 juillet et 15 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’intérieur demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Maestro ;

Le ministre de l’intérieur soutient que l’ordonnance attaquée est entachée :

 d’inexactitude matérielle des faits et de dénaturation des pièces du dossier quant à l’urgence à suspendre la décision contestée ;

 d’erreur de droit en ce que l’insuffisance de motivation ne saurait être utilement invoquée devant le juge administratif statuant sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative ;

 d’erreur de fait et d’erreur d’appréciation en ce qu’elle juge que la motivation de l’arrêté ne permettait pas au gérant de la société de connaître l’identité des salariés visés par le contrôle.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 et 16 août 2019, la société Maestro conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que ses moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

 le code du travail ;

 le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le ministre de l’intérieur et, d’autre part, la société Maestro ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du 15 août 2019 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

 la représentante du ministre de l’intérieur ;

 Me Ricard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Maestro ;

et à l’issue de laquelle le juge des référés a décidé que l’instruction serait close le 16 août 2019 à 15 heures ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “ Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures “.

2. Il résulte de l’instruction que, par une ordonnance du 17 juillet 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l’article L.521-2 du code de justice administrative, a suspendu l’exécution de l’arrêté du 3 juillet 2019 par lequel le préfet du Val-de-Marne avait, sur le fondement des dispositions de l’article L.8272-2 du code du travail, décidé la fermeture pour un mois de l’établissement de restauration rapide exploité, à Fresnes, par la société Maestro. Le ministre de l’intérieur relève appel de cette ordonnance.

Sur l’urgence :

3. Il résulte de l’instruction, notamment des documents comptables présentés par la société Maestro, que l’exploitation de son établissement de restauration rapide, qui était déficitaire en 2017 et légèrement excédentaire en 2018, la place en situation financière précaire. La perte de toute recette, pendant un mois, lors de la période d’été qui correspond à un moment de plus forte activité, est par suite, compte tenu du niveau de ses charges fixes et de sa situation de trésorerie négative, de nature à caractériser en l’espèce une situation d’urgence au sens des dispositions de l’article L.521-2 du code de justice administrative.

4. Le ministre de l’intérieur n’est, par suite, pas fondé à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Melun a regardé cette première condition comme remplie.

Sur l’atteinte à la liberté du commerce et l’industrie

5. Aux termes de l’article L. 8211-1 du code du travail : “ Sont constitutives de travail illégal (...) les infractions suivantes : /1° Travail dissimulé ; / (...) 4° Emploi d’étranger non autorisé à travailler “. Aux termes de l’article L.8272-2 du même code : “ Lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l’article L8211-1 ou d’un rapport établi par l’un des agents de contrôle mentionnés à l’article L.8771-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4° elle peut, si la proportion de salariés concernés la justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois “.

6. Il résulte de l’instruction que la décision du 3 juillet 2019 du préfet du Val-de-Marne décidant la fermeture de l’établissement de la société Maestro est motivée par le fait que, lors d’un contrôle de son établissement, il a été constaté “ la présence de deux salariés au niveau de la cuisine et de la caisse et ne possédant aucun titre les autorisant à exercer une activité salariée “. Pour suspendre l’exécution de cette décision, le juge des référés du tribunal administratif a, par l’ordonnance dont il est fait appel, jugé que l’absence de mention, dans cette motivation, de l’identité exacte des deux salariés en question constituait, dans les circonstances de l’espèce, une irrégularité portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie.

7. Il résulte tant des termes de l’article L.521-2 du code de justice administrative que du but dans lequel la procédure qu’il instaure a été créée que doit exister un rapport direct entre l’illégalité relevée à l’encontre de l’autorité administrative et la gravité de ses effets au regard de la liberté fondamentale en cause. A ce titre, la circonstance qu’une sanction administrative de fermeture d’établissement prise sur le fondement de l’article L.8272-2 du code du travail méconnaîtrait l’obligation de motivation prévue par cet article n’est pas, par elle-même, de nature à caractériser une atteinte grave à la liberté du commerce et de l’industrie.

8. Toutefois, il résulte de l’instruction que, après que le préfet du Val-de-Marne ait fait état, dans son courrier adressé le 5 juin 2019 au gérant de l’établissement, de “ deux personnes (...) ne possédant aucun titre de travail “, puis que, dans le rapport d’enquête du 9 avril 2019 joint au courrier du 7 juin 2019 du directeur départemental de la protection de la population du Val de Marne, aient été mentionnés “ deux salariés (...) non déclarés et en situation irrégulière “, le préfet n’a plus, dans son mémoire en défense devant le tribunal administratif fait état que d’un seul salarié de nationalité tunisienne qui, bien qu’en situation régulière sur le territoire et régulièrement déclaré, n’aurait pas été autorisé à travailler. Enfin, lors de l’audience devant le même tribunal, l’autorité administrative a indiqué que les deux salariés mis en cause étaient deux autres salariés, détenteurs de cartes d’identité italiennes dont elle estimait l’authenticité douteuse.

9. En l’état de l’instruction, notamment à la suite des échanges lors de l’audience publique, et alors que la société Maestro soutient que ses salariés de nationalité étrangère étaient autorisés à travailler en France, l’identité des deux salariés dont la situation administrative a, au vu de la motivation critiquée, fondé la décision de fermeture, ne peut être établie.

10. Dans ces circonstances propres à l’espèce, le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, pour suspendre l’exécution de la décision contestée, le juge des référés s’est fondé sur ce que l’absence de mention, dans la motivation de cette sanction administrative, de l’identité des salariés qui l’avaient justifiée, portait une atteinte manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l’appel du ministre de l’intérieur doit être rejeté. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement à la société Maestro d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :


Article 1er : La requête du ministre de l’intérieur est rejetée.

Article 2 : L’Etat versera à la société Maestro une somme de 2 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l’intérieur et à la société Maestro.