Charge de la preuve sur l’employeur

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 3 juin 2021, 19-26.262, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 2

N° de pourvoi : 19-26.262
ECLI:FR:CCASS:2021:C200537
Non publié au bulletin
Solution : Cassation

Audience publique du jeudi 03 juin 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Rouen, du 30 octobre 2019

Président
M. Pireyre (président)
Avocat(s)
SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

CIV. 2

MF

COUR DE CASSATION


Audience publique du 3 juin 2021

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 537 F-D

Pourvoi n° P 19-26.262

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 JUIN 2021

L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de [Localité 1], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 19-26.262 contre l’arrêt rendu le 30 octobre 2019 par la cour d’appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l’opposant à Mme [C] [M], épouse [O], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’URSSAF de [Localité 1], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [M], et l’avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l’audience publique du 14 avril 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rouen, 30 octobre 2019), à la suite d’un contrôle ayant permis, le 3 décembre 2014, le constat d’un travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, Mme [M] (l’employeur), qui exploite une entreprise individuelle sous l’enseigne [Établissement 1] de casse de véhicules, a reçu notification par l’URSSAF de [Localité 1] (l’URSSAF) d’un redressement de cotisations et contributions, calculées sur une rémunération évaluée forfaitairement.

2. L’URSSAF lui ayant notifié une mise en demeure le 4 septembre 2015, l’employeur a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L’URSSAF fait grief à l’arrêt de dire qu’elle devra recalculer le montant du redressement et des majorations sur la base d’un travail à mi-temps et que chacune des parties conservera la charge des dépens et autres frais qu’elle a exposés alors « que pour faire obstacle à l’application de l’évaluation forfaitaire de la rémunération servant de base au calcul du redressement, l’employeur doit apporter la preuve de la durée réelle d’emploi du travailleur dissimulé et du montant exact de la rémunération versée à ce dernier pendant cette période ; qu’en l’espèce, pour dire que l’URSSAF ne pouvait procéder à un redressement forfaitaire, la cour d’appel s’est contentée de relever que le procès-verbal d’audition de Mme [Y] donnait à penser qu’elle avait évalué à un jour sur deux la présence de M. [O] au sein de l’entreprise ; qu’en statuant de la sorte quand il ressortait de ses constatations que Mme [O] ne rapportait pas la preuve de la durée réelle d’emploi de M. [O], et encore moins du montant exact de la rémunération versée, la cour d’appel a violé l’article L. 242-1-2 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le moyen est recevable en ce qu’il n’est pas incompatible avec la position soutenue par l’URSSAF devant la cour d’appel.

Bien fondé du moyen

Vu l’article L. 242-1-2 du code de la sécurité sociale :

5. Selon ce texte, pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale, les rémunérations versées ou dues à un salarié en contrepartie d’un travail dissimulé sont, à défaut de preuve contraire, évaluées forfaitairement.

6. Pour accueillir partiellement le recours de l’employeur et juger que l’URSSAF devait recalculer le redressement forfaitaire sur la base d’un mi-temps, l’arrêt énonce que les déclarations de Mme [Y] sont utilisées par l’URSSAF comme un moyen de preuve du bien-fondé de son redressement et que la transcription que cet organisme en donne, puisque le procès-verbal d’audition n’est pas produit, donne à penser que Mme [Y] a évalué à un jour sur deux la présence de M. [O] pour l’ensemble de son activité au profit du garage.

7. En statuant ainsi, alors que pour faire obstacle à l’application de l’évaluation forfaitaire de la rémunération servant de base au calcul du redressement, l’employeur doit apporter la preuve non seulement de la durée réelle d’emploi du travailleur dissimulé, mais encore du montant exact de la rémunération versée à ce dernier pendant cette période, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 octobre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Caen ;

Condamne Mme [M] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [M] et la condamne à payer à l’URSSAF de [Localité 1] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l’URSSAF de [Localité 1]

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le redressement en son principe et d’AVOIR dit que l’URSSAF devra recalculer le montant du redressement et des majorations sur la base d’un travail à mi-temps et d’AVOIR dit que chacune des parties conservera la charge des dépens et autres frais qu’elle a exposés,

AUX MOTIFS QUE : « Mme [O] conteste subsidiairement le calcul du redressement sur la base d’un temps plein en rappelant qu’elle évalue le temps d’acheminement des véhicules au garage à 1,6 jour par mois et en relevant que les déclarations de Mme [Y] sur lesquelles se fonde en particulier l’URSSAF font état d’une présence de M. [O] un jour sur deux. L’article L. 242-1-2 du code de la sécurité sociale dispose que pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale et par dérogation à l’article L. 242-1, les rémunérations qui ont été versées ou qui sont dues à un salarié en contrepartie d’un travail dissimulé au sens des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail sont, à défaut de preuve contraire, évaluées forfaitairement à six fois la rémunération mensuelle minimale définie à l’article L. 3232-3 du même code en vigueur au moment du constat du délit de travail dissimulé. L’URSSAF fait valoir que Mme [O] n’apporte pas la preuve de ce que M. [O] n’aurait pas effectué un travail dissimulé équivalant à un temps plein et que si Mme [Y] a évoqué la présence de M. [O] un jour sur deux, elle a indiqué qu’il avait deux autres tâches que l’acheminement des véhicules au garage. Toutefois, les déclarations de Mme [Y] sont utilisées par l’URSSAF comme un moyen de preuve du bien-fondé de son redressement et la transcription que cet organisme en donne (voir supra), puisque le procès-verbal d’audition n’est pas produit, donne à penser que Mme [Y] a évalué à un jour sur deux la présence de M. [O] pour l’ensemble de son activité au profit du garage. C’est dès lors à juste titre que Mme [O] soutient que le redressement qui lui a été notifié ne peut pas être confirmé sur la base d’un travail à temps plein et il convient de dire que l’URSSAF devra recalculer le redressement forfaitaire sur la base d’un mi-temps. Les considérations qui précèdent justifient de laisser à chacune des parties, qui obtient partiellement gain de cause, la charge de ses dépens et autres frais. »

1/ ALORS QUE pour faire obstacle à l’application de l’évaluation forfaitaire de la rémunération servant de base au calcul du redressement, l’employeur doit apporter la preuve de la durée réelle d’emploi du travailleur dissimulé et du montant exact de la rémunération versée à ce dernier pendant cette période ; qu’en l’espèce, pour dire que l’URSSAF ne pouvait procéder à un redressement forfaitaire, la cour d’appel s’est contentée de relever que le procès-verbal d’audition de Mme [Y] donnait à penser qu’elle avait évalué à un jour sur deux la présence de M. [O] au sein de l’entreprise ; qu’en statuant de la sorte quand il ressortait de ses constatations que Mme [O] ne rapportait pas la preuve de la durée réelle d’emploi de M. [O], et encore moins du montant exact de la rémunération versée, la cour d’appel a violé l’article L. 242-1-2 du code de la sécurité sociale,

2/ ALORS QUE les juges du fond ne peuvent statuer par un motif hypothétique ou dubitatif ; qu’en retenant que le procès-verbal d’audition donnait à penser que Mme [Y] avait évalué à un jour sur deux la présence de M. [O] pour l’ensemble de son activité au garage, la cour d’appel qui s’est prononcée par un motif hypothétique a violé l’article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:C200537