Sous-traitance fictive à une entreprise étrangère - même dirigeant

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 18 septembre 2012

N° de pourvoi : 11-89218

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

Me de Nervo, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

 M. Thierry X...,

 Mme Maria Y..., épouse X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 4 octobre 2011, qui, pour prêt de main d’oeuvre à but lucratif hors du cadre légal du travail temporaire, a condamné le premier à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende, et la seconde à un mois d’emprisonnement avec sursis ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, du principe de la légalité des délits et des peines, des articles L. 8241-1, L. 8243-1, alinéas 1, 2 et 4 du code du travail, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et violation de la loi ;

” en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. et Mme X... coupables de prêt illégal de main-d’oeuvre à des fins lucratives hors du cadre légal du travail temporaire et les a respectivement condamnés à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’au paiement d’une amende de 5 000 euros et à la peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis ;

” aux motifs qu’il a été soutenu par les prévenus que la société Goudronnage Heraultais serait en réalité une agence commerciale qui sous-traiterait ensuite les contrats obtenus à une société espagnole, en l’occurrence Espacio europeo de pavimiento y obras publicas ; que cette présentation des faits ne résiste pas à l’analyse, si l’on considère l’étroite continuité, entre les différentes sociétés successivement animées par M. X... ; qu’il ressort en effet des pièces de la procédure qu’après la déconfiture de la société Espace TP à Béziers, dont il était le gérant, M. X... a poursuivi la même activité, avec pour une large part les mêmes moyens, tant en personnel qu’en matériel, mais en les répartissant entre deux sociétés créées quasi-simultanément ; que ces deux structures ont été créées sur son initiative, l’attribution de la gérance de droit de la société française à Mme X... n’intervenant qu’après la phase de lancement ; que la domiciliation espagnole de la société de main d’oeuvre apparaît en outre comme singulièrement artificielle alors qu’il est démontré que ses salariés sont pour la quasi-totalité Français, résidant en France et y travaillant ; quant à l’existence d’un lien de sous-traitance entre les deux sociétés, il ne résulte en rien des pièces du dossier, en l’absence d’un contrat les liant à ce titre, et en l’état de la production tardive de quelques factures libellées sous-traitance mais ne comportant absolument aucun renseignement sur la nature, la consistance et la date des opérations sous-traitées ; que la cour observe, en outre, que ces factures portent la mention “ non soumise à la TVA “ alors qu’il s’agit de prestations industrielles intra-communautaires, ce qui empêche toute certitude quant à leur matérialité et à la réalité de leur date d’émission ; que l’argument selon lequel les charges sociales sont régulièrement acquittées en Espagne ne saurait faire échapper les intéressés aux liens de la prévention, l’article L. 8241-1 réservant le prêt de main d’oeuvre à certaines catégories d’entreprises limitativement énumérées afin d’assurer une protection des salariés contre la précarité du travail que permettent des mises à disposition incontrôlées, et ceci, distinctement des dispositions visant le travail dissimulé qui ne sont pas en cause ici ; que les éléments matériels, légaux et intentionnels de l’infraction commise par M. et Mme X..., agissant en concours actif, sont ainsi établis et valident l’analyse conduite par les premiers juges ; que ceux-ci ont, en outre, établi à bon droit une distinction entre les périodes de prévention, selon que M. ou Mme X... étaient juridiquement gérants de la société française ; que c’est donc à juste titre que le tribunal, tirant de circonstances de la cause les conséquences juridiques qui s’imposaient, a déclaré les prévenus coupables des faits qui leur sont reprochés ; qu’il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine, qui constitue une juste application de la loi pénale ;

1°) “ alors que, pour dire M. X... représentant de la société de droit espagnol Espacio europeo de pavimiento y obras publicas, et Mme X..., gérante de droit de la société française Goudronnage Héraultais, coupables du délit de prêt illicite de main-d’oeuvre, l’arrêt et le jugement qu’il confirme sur ce point, se bornent à relever que les sociétés Espacio europeo de pavimiento et Goudronnage Héraultais ont été créées à l’initiative de M. X... pour poursuivre l’activité d’une précédente société gérée par ce dernier et faisant l’objet d’une liquidation judiciaire, avec pour une large part les moyens tant en personnel qu’en matériel, mais en les répartissant entre les deux sociétés créées quasi-simultanément ; que les salariés sont pour la quasi-totalité français et demeurent en France qu’aucune des factures produites n’est de nature a permettre de reconnaître un lien de sous-traitance entre les deux sociétés ; que la cour d’appel en déduit que les éléments du délit reproché étaient réunis ; qu’en se déterminant par ces seuls motifs, sans caractériser le but lucratif de l’opération de prêt de main-d’oeuvre conclue entre des entreprises liées par des intérêts communs, qui peut consister, au profit de l’utilisateur ou du prêteur de main-d’oeuvre, en un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard de l’article L. 8241-1 du code du travail visant l’opération illicite de prêt de main-d’oeuvre ;

2°) “ alors que, dans leurs conclusions régulièrement déposées devant la cour, M. et Mme X... faisaient valoir que la constitution d’entreprises juridiquement distinctes peut être parfaitement licite ; que le fait d’avoir une ou plusieurs entreprises différentes, des dirigeants communs, voire des capitaux ou du matériel de même origine, n’est pas à lui seul constitutif d’une violation de l’article L. 8241-1 du code du travail ; qu’il importe de savoir si l’activité commerciale de la société Espacio europeo de pavimiento y obras publicas est distincte de l’activité de la société Goudronnage Héraultais ; que M. X... a rapporté la preuve par les pièces qu’il a versé contradictoirement aux débats que la société Espacio europeo de pavimiento y obras publicas a bien sa clientèle propre et qu’en particulier la société Espacio exerce principalement son activité en Espagne et que le montant global des charges salariales pour la période incriminée est supérieur au total des factures payées par la société Goudronnage Héraultais ; que cette dernière emploie régulièrement ses propres salariés ; qu’en déduisant de la constitution de plusieurs sociétés que les prévenus avaient pour objet de faire échec aux prescriptions de l’article L. 8241-1 du code du travail, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions de ces derniers, la

cour d’appel n’a pas, derechef, donné de base légale à sa décision ;

3°) “ alors que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que, si les juges du second degré peuvent se prononcer par adoption de la motivation des premiers juges, encore faut-il que celle-ci soit exempte d’insuffisance et de contradiction ; que, pour retenir la responsabilité pénale de M. et Mme X..., la cour énonce que « Les élément matériels, légaux et intentionnels de l’infraction commise par M. et Mme X..., agissant en concours actif, sont ainsi établis et valident l’analyse conduite par les premiers juges » ; qu’en se prononçant ainsi, alors que le jugement entrepris était dépourvu de toute motivation sur les différents éléments nécessaires pour retenir la responsabilité pénale des prévenus du chef du délit de prêt de main-d’oeuvre illicite, et notamment de la circonstance que les salariés de l’entreprise espagnole n’étaient pas placés sous l’autorité de l’entreprise française et n’ont pas utilisé le matériel de cette dernière, la cour d’appel a méconnu les principes susvisés “ ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Téplier ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Montpellier , du 4 octobre 2011