Présomption oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 12 octobre 2010

N° de pourvoi : 10-80283

Non publié au bulletin

Cassation

M. Louvel (président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
 l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens, partie civile,
contre l’arrêt de la cour d’appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 20 novembre 2009, qui l’a déboutée de ses demandes après relaxe de M. Volker X... du chef de travail dissimulé ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex-article 49 TCE), des articles L. 7121-2, L. 7121-3, L. 7121-5, L. 8221-5 du code du travail en vigueur à compter du 1er mai 2008, des anciens articles L. 762-1, L. 324-10 du code du travail abrogés à compter du 1er mai 2008, des articles 121-3 et 122-3 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. X... non coupable de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation de salariés, l’a débouté des fins de la poursuite et, en conséquence, a débouté l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens, partie civile, de toutes ses demandes ;
”aux motifs que la cour relève que la société Who n’est pas citée ; qu’il est reproché à M. X... un travail dissimulé par dissimulation de salariés ; que le problème posé est de savoir, si les musiciens étaient salariés de Volker X..., ou s’ils étaient des « indépendants » simples prestataires de service article L. 7121-5 du code du travail pouvant ainsi exercer dans la CEE sans déclarations spéciales et selon de plus la législation allemande ; que les textes du code du travail français sont seuls applicables en l’espèce selon une jurisprudence constante tant française qu’européenne ; que la cour relève que de plus M. X... avait été échaudé par sa condamnation en 2007 suite à l’« affaire » de Nice en 2004 a pris soin de prendre attache avec la DDTE de Strasbourg bien avant le concert pour connaître les règles et déclarations à effectuer ; qu’il a même commencé à cotiser ; que la DDTE après avoir donné par écrit des autorisations de travail les retirait par courrier du 16 février 2005 compte tenu du statut de travailleur indépendant des musiciens ; que le ministère public qui a l’obligation de rapporter la preuve que les musiciens étaient salariés de M. X... et de sa société non présente à la procédure, ce qui est pour le moins surprenant, ne la rapporte pas, les factures n’étant pas des contrats, de même que les feuilles de route et de frais ; que bien plus seulement 15 musiciens ont été entendus dans des conditions rocambolesques avant la fin du concert, vers 22h30, à Strasbourg, par les policiers ; que le juge d’instruction n’a pas recherché, par commission rogatoire internationale, le statut exact de ces musiciens, n’a pas écrit à l’ensemble des musiciens pour avoir des précisions ; que si l’on peut reprocher à M. X... une certaine « légèreté » avec l’emploi de ses musiciens, possesseurs d’aucun document prouvant leur travail d’indépendant, pendant leurs concerts en France, la cour ne peut qu’écarter la mauvaise foi de M. X... et son intention délictuelle ; que l’élément matériel fait défaut, le contrat de concert ne pouvant être qualifié de contrat de travail ; qu’en conséquence l’infraction n’apparaît nullement caractérisée en tous ses éléments ; que la culpabilité de M. X... n’est pas prouvée ; que, sur la peine, la cour infirmera le jugement en toutes ses dispositions pénales, déclarera M. X... non coupable et le renverra des fins de la poursuite ; que la partie civile sera déboutée de l’ensemble de ses demandes du fait de la relaxe intervenue ;
”1) alors que l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié suppose l’existence d’un travail salarié ; qu’il doit être présumé que l’artiste exerce une activité salariée et est lié à l’organisateur de spectacle par un contrat de travail, à moins qu’il ne soit établi qu’il exerce son activité dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ou qu’il est reconnu comme prestataire de services établi dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen où il fournit habituellement des services analogues et qu’il vient exercer son activité en France, par la voie de la prestation de services, à titre temporaire ou indépendant ; qu’en renvoyant le prévenu des fins de la poursuite aux seuls motifs que le ministère public n’établissait pas que les musiciens exerçaient une activité salariée, en vertu d’un contrat de travail et après avoir elle-même relevé qu’aucun document n’établissait leur travail d’indépendant, quand la présomption de salariat devait trouver application en l’absence de preuve, rapportée par le prévenu, que les musiciens auraient été reconnus comme prestataires de service dans un Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et a violé les textes susvisés ;
”2) alors que la présomption de salariat de l’artiste ne peut être écartée que lorsque celui-ci exerce son activité dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ou qu’il est reconnu comme prestataire de services établi dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen où il fournit habituellement des services analogues et qu’il vient exercer son activité en France, par la voie de la prestation de services, à titre temporaire ou indépendant ; que cette présomption ne saurait dès lors être écartée lorsque les artistes en cause sont originaires d’un Etat non membre de l’Union européenne ou non partie à l’accord sur l’Espace économique européen ; qu’en renvoyant le prévenu des fins de la poursuite aux seuls motifs que le ministère public n’établissait pas que les musiciens exerçaient une activité salariée sans répondre à l’articulation essentielle du mémoire de la partie civile, qui soutenait que la présomption de salariat devait à tout le moins s’appliquer aux musiciens originaires d’Etats tiers, majoritairement présents dans l’orchestre de M. X..., la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
”3) alors qu’en toute hypothèse l’élément matériel de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié est caractérisé lorsqu’il existe un contrat de travail salarié et que l’employeur s’est soustrait aux formalités de déclaration préalable à l’embauche ou de délivrance d’un bulletin de paie ; qu’en jugeant que l’élément matériel de cette infraction reprochée à M. X... faisait défaut, en l’absence de contrat de travail, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les déclarations des musiciens au service de police n’établissaient pas qu’ils étaient intervenus en qualité de travailleurs salariés et non de travailleurs indépendants, puisqu’ils déclaraient eux-mêmes être salariés et ne pouvoir bénéficier du statut de travailleurs indépendants, le prévenu n’ayant quant à lui jamais offert de rapporter la preuve de ce qu’ils exerçaient à titre libéral, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;
”4) alors que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3 du code pénal ; qu’en écartant toute intention coupable de M. X... bien que celui-ci ait violé les prescriptions légales de déclaration à l’embauche et ait eu conscience de ce que cette formalité s’imposait, puisqu’il avait pris soin de prendre attache avec la DDTE de Strasbourg avant le concert, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
”5) alors que l’erreur sur le droit n’entraîne une exonération de responsabilité que si la personne n’a pas elle-même incité l’administration à lui délivrer des informations erronées pour ensuite s’en prévaloir ; qu’en écartant l’intention délictuelle de M. X... au motif que la DDTE de Strasbourg avait donné par écrit des autorisations de travail avant de les retirer, par courrier du 16 février 2005, compte tenu du statut de travailleur indépendant des musiciens, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si le prévenu n’avait pas sciemment cherché à échapper à la législation française en fournissant des informations erronées à l’administration, qui l’avaient conduite à considérer, à tort, que les musiciens étaient des travailleurs indépendants, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés” ;
Vu les articles L. 7121-3, L. 7121-5, L. 8221-5 du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ;
Attendu que, selon le second de ces textes, cette présomption ne s’applique pas aux artistes reconnus comme prestataires de services établis dans un état membre de la Communauté européenne ou dans un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen où ils fournissent habituellement des services analogues et qui viennent exercer leur activité en France, par la voie de la prestation de services, à titre temporaire et indépendant ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., chef d’un orchestre implanté à Cologne (Allemagne), et gérant d’une société de droit luxembourgeois ayant pour objet l’organisation de concerts, est poursuivi du chef de travail dissimulé, par dissimulation d’emploi salarié, pour avoir omis intentionnellement de souscrire la déclaration préalable à l’embauche des musiciens composant son orchestre, lesquels avaient, selon lui, le statut de travailleurs indépendants en Allemagne ;
Attendu que, pour infirmer le jugement de condamnation, relaxer le prévenu et débouter la partie civile, les juges prononcent par les motifs reproduits au moyen ; qu’ils énoncent notamment que le ministère public, qui a l’obligation de rapporter la preuve que les musiciens avaient la qualité de salariés, ne la rapporte pas, des factures, des feuilles de route ou de frais ne pouvant s’analyser en contrats de travail ; qu’ils considèrent que l’emploi de musiciens ne détenant aucun document de nature à établir l’exercice de leur activité à titre indépendant, ne constitue de la part du prévenu, déjà “échaudé” l’année précédente pour des faits similaires ayant entraîné sa condamnation pénale, qu’une simple légèreté ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartenait au prévenu d’établir, qu’en application de l’article L. 7121-5 du code du travail, la présomption de salariat ne s’appliquait pas aux artistes en cause, la cour d’appel, qui a renversé la charge de la preuve et qui a estimé, par des motifs empreints de contradiction, que l’élément intentionnel du délit de travail dissimulé n’était pas constitué, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Colmar, en date du 20 novembre 2009, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, sur les seuls intérêts civils,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Finidori conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Villar ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar du 20 novembre 2009