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Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 17 novembre 2015

N° de pourvoi : 14-82224

ECLI:FR:CCASS:2015:CR04875

Publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
 L’association Eva,

 M. Roger X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 25 février 2014, qui, pour, travail dissimulé et infraction au code des transports, a condamné la première à 10 000 euros d’amende et le second à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 6 octobre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Larmanjat, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller LARMANJAT, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CUNY ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que l’association Eva, ayant, initialement, pour objet d’assurer ou faciliter à ses adhérents leurs déplacements, a proposé à ceux-ci, entre janvier 2011 et juin 2012, sur son site internet, sous un nouveau titre “ association Eva, D..., capitaine de soirée “, de les raccompagner à l’issue de soirées selon des tarifs annoncés ; qu’initialement bénévoles, les conducteurs des véhicules, sérigraphiés au nom de l’association, ayant son siège au domicile de son président, M. Roger X..., dit D..., sont devenus, après le lancement de cette nouvelle activité, des salariés à temps partiel, rémunérés par l’association au pourcentage des courses effectuées ; que des contrôles de police ont permis de constater que plusieurs passagers n’étaient pas membres de l’association et que, selon certains chauffeurs, sur l’incitation de son président, celle-ci, qui avait conclu un partenariat avec un établissement de nuit et avait établi des devis pour le transport de groupes, fonctionnait comme une entreprise ; que, pour deux des employés, les bulletins de paie mentionnaient un nombre d’heures de travail inférieur au nombre réellement accompli ; que, l’association et son président ayant été poursuivis pour infraction au code des transports et travail dissimulé, le tribunal a condamné la première et a relaxé le second ; que, sur appels du ministère public, par l’arrêt attaqué, la cour d’appel a déclaré les deux prévenus coupables de l’ensemble des faits ;
En cet état ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 112-1, 121-1 et 121-2 du code pénal, L. 8224-5, L. 8224-1, alinéa 1er, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5 du code du travail, L. 3452-6, alinéa 1er, L. 3113-1 du code des transports, du décret n° 85-891 du 16 août 1985, du décret n° 87-242 du 7 avril 1987, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que la cour d’appel a déclaré M. Roger X...coupable des faits visés à la prévention ;
” aux motifs que l’association Eva, association loi 1901 déclarée le 3 octobre 2006 à la préfecture de la Gironde, dont M. X...est le président et dont le siège social est situé au domicile de celui-ci, a pour objet de promouvoir les échanges culturels et assurer ou faciliter à ses adhérents leurs déplacement au sein du club ; qu’elle a commencé l’exercice de son activité en janvier 2007 et s’est placée sous le régime fiscal des associations régies par la loi de 1901 (exonération des impôts commerciaux) ; que, pour la période comprise dans la prévention, l’association Eva a proposé sur son site internet « associationeva. fr », un accompagnement à la personne en journée (7 heures à 19 heures) et un accompagnement à la personne de nuit (19 heures à 7 heures), ce dernier sous son nouveau titre « association Eva, D..., Capitaine de soirée », déclaré en préfecture de la Gironde le 19 octobre 2010, les prix pratiqués étant compris entre 10 et 35 euros et répartis en cinq zones tarifaires et deux types de véhicules (5 ou 7 places), en sus du coût de l’adhésion obligatoire fixé à 2 euros/ an ; qu’elle a proposé aussi un service sur mesure pour des événements, des particuliers ou des entreprises ainsi qu’une présence permanente pour l’accompagnement de personnes âgées dans le but d’améliorer leur quotidien ; qu’avant l’année 2011, les conducteurs des véhicules lui appartenant étaient des bénévoles percevant seulement des indemnités kilométriques pour se rendre depuis leur domicile au siège de l’association, situé ... à Bordeaux ; qu’à compter du 1er janvier 2011, ces mêmes conducteurs, devenus salariés à temps partiel de l’association, ont été rémunérés au pourcentage des courses effectuées, soit 33 % des sommes encaissées par eux ; que l’association disposait alors de onze véhicules, tous sérigraphiés avec son logo, les chauffeurs arrivant à 22 heures dans les locaux de celle-ci et finissant leur travail le lendemain matin entre 7 et 9 heures ; que, le 29 juillet 2011, trois véhicules sérigraphiés au nom de l’association Eva ont été aperçus par une patrouille de police à Lege Cap Ferret à proximité immédiate de discothèques ; qu’un de ces véhicules, conduit par Mme Islem Y..., a été contrôlé sans passagers ; que le 10 juillet 2011, un véhicule de l’association Eva a été contrôlé quai Sainte Croix à Bordeaux ; qu’un des trois passagers n’avait pas de carte de membre et celles des deux autres étaient vierges de toute inscription ; que le conducteur, M. Guillaume Z...a expliqué ne pas contrôler systématiquement l’adhésion préalable de la personne transportée et avoir remis les deux cartes vierges aux personnes qu’il venait de charger dans le véhicule ; que, le 15 novembre 2011, un véhicule de l’association Eva a été contrôlé par la police de la route 18 quai de Paludate à Bordeaux ; que son conducteur, M. X..., n’a pu présenter immédiatement la liste des trois personnes transportées ainsi que l’adhésion de celles-ci à l’association ; que chaque personne transportée a produit une carte de membre sur laquelle étaient inscrits sur une bande autocollante ses nom et prénom, ce document lui ayant été remis dans le véhicule en échange du paiement d’une somme totale de 28 euros correspondant au prix de la course pour les trois passagers ; que d’autres véhicules appartenant à cette association ont été contrôlés à Bordeaux entre le 6 avril 2012 et le 1er juin 2012 ; que certains passagers transportés n’étaient pas en possession d’une carte de membre de l’association, notamment les sept personnes transportées dans un même véhicule conduit par M. X...le 13 avril 2012 ; que, le 1er juin 2012 un contrôle au siège de l’association Eva, situé ... à Bordeaux, a été réalisé par les services de police assistés d’un inspecteur à la DIRECCTE 33 et d’un inspecteur du recouvrement à l’URSSAF de la Gironde ; que M. Benjamin A..., employé depuis le 15/ 03/ 2012, a confirmé aux enquêteurs que tout « capitaine de soirée » était tenu de vérifier sur le listing des adhérents en sa possession si la personne transportée était ou non membre de l’association et, dans la négative, avant de démarrer la course, d’établir une carte d’adhésion à l’aide d’un appareil de type « Dymo » ; que M. Daniel B..., employé par l’association Eva en qualité de chauffeur pour la période du 14 octobre 2011 à la mi-janvier 2012, a été entendu le 20 juin 2012 : il a déclaré avoir travaillé au moins 24 heures/ semaine, soit au moins 8 heures/ soir du jeudi au samedi, et n’avoir pas été payé sur la base du SMIC horaire mais au pourcentage des courses effectuées, soit 1/ 3 des recettes, d’où des salaires inférieurs au temps de travail effectué hebdomadaire ; que, Mme Jennifer C..., employée par l’association Eva en qualité de standardiste du 13 octobre 2011 au 18 janvier 2012, a été entendue le 21 juin 2012 ; qu’elle a confirmé que les chauffeurs étaient payés au pourcentage, soit 30 % de la totalité de la recette réalisée, et a précisé que ce système avait été mis en place pour inciter les « capitaines de soirée » à travailler plus ; qu’elle a indiqué que des contrats de travail n’avaient été rédigés qu’à compter du début de l’année 2011 sans pour autant que la totalité des heures effectuées soient réglées ; que tous deux ont déclaré qu’Eva était une entreprise et non une association, D...les incitant à « faire des sous » ; que, M. X..., président de l’association Eva, dit D..., a été entendu le 26 juin 2012 ; qu’il a confirmé le système de calcul des salaires (le tiers de la recette réalisée par le chauffeur étant ensuite converti en heures de travail pour le calcul du salaire mensuel) en précisant qu’il avait pour but de « responsabiliser les collaborateurs » de l’association, selon lui chargée d’une mission de service public ; qu’il a contesté devoir inscrire l’association au registre du commerce ainsi qu’à celui des transporteurs, celle-ci ayant pour mission « l’accompagnement de personnes dans le cadre de la réduction des risques liés à l’alcool » et les véhicules utilisés n’étant pas loués mais mis à la disposition des adhérents « quand ils le souhaitent », il a déclaré que certaines erreurs avaient pu se produire lors de la prise en charge de personnes non adhérentes il a reconnu avoir, à compter du mois de septembre 2011, réalisé des devis pour le transport de groupes et avoir conclu un partenariat avec un établissement de nuit pour l’accompagnement et le raccompagnement d’artistes s’y produisant ou de ses salariés ; qu’en vertu de l’article 121-2 du code pénal, la responsabilité pénale d’une personne morale pour des faits commis pour son compte par ses organes ou représentants, n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ; que les témoignages recueillis auprès du personnel ainsi que les déclarations faites par lui lors de l’enquête précitée établissent que M. X...n’était pas seulement le représentant légal de l’association Eva, mais était aussi le principal animateur de cette structure qu’il avait installée au ... à Bordeaux dans son propre logement, dont il gérait le personnel avec l’aide de quelques collaborateurs salariés et dont il a étendu l’activité à compter de l’année 2011 pour qu’elle devienne rentable ; qu’il a ainsi démarché des entreprises et des particuliers pour des prestations distinctes de celle de « capitaine de soirée », eu recours à des moyens publicitaires pour attirer une nouvelle clientèle et proposé à celle-ci la location de véhicules appartenant à l’association ; qu’il a en outre conduit à plusieurs reprises ces mêmes véhicules sans respecter les directives définies par lui pour l’exercice de l’activité de « capitaine de soirée » ; qu’il est ainsi établi que M. X...a, personnellement et en connaissance de cause, participé aux infractions commises entre le 1er janvier 2011 et le 26 juin 2012 par la personne morale qu’il représente et qui est devenue son employeur à compter du mois de février 2002 ; qu’entre le 1er janvier 2011 et le 26 juin 2012, il a commis le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité, en exerçant volontairement le transport de personnes avec des véhicules sérigraphiés stationnant ou maraudant sur la voie publique et en louant des véhicules avec ou sans chauffeurs, sans requérir son immatriculation du répertoire des métiers ou des entreprises, ou au registre du commerce et des sociétés, ainsi que le délit d’exercice de l’activité de transporteur public routier de personnes sans inscription au registre des transporteurs ; qu’il a aussi, entre les mois d’octobre 2011 et de janvier 2012, commis au préjudice de M. B...et de Mme C...le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés, en mentionnant volontairement sur les bulletins de paie remis à ces deux salariés un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; qu’il y a lieu en conséquence de réformer la décision déférée et statuant à nouveau sur l’action publique, de déclarer M. X...coupable des faits reprochés et de le condamner à la peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, sous le régime de la mise à l’épreuve pendant deux ans, avec obligation de ne pas se livrer à l’activité de transporteur public routier de personnes dans l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ;
” 1°) alors que nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; que M. X...a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir exercé l’activité de transport de personnes ; qu’il résulte néanmoins des mentions mêmes de la décision que le demandeur n’a jamais organisé de transport de personnes à titre personnel, agissant au nom et pour le compte de l’association Eva ; qu’en le déclarant néanmoins coupable des infractions reprochées, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a méconnu le principe visé au moyen ;
” 2°) alors qu’il résulte des pièces de la procédure et des mentions mêmes de la décision que le demandeur n’était pas l’employeur de Mme C...et de M. B..., salariés de l’association Eva ; qu’en le déclarant néanmoins coupable de dissimulation d’emploi salarié, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a de plus fort méconnu le principe selon lequel nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ;
” 3°) alors qu’il résulte des dispositions des articles 2 et 3 du décret n° 87-242 du 7 avril 1987 que sont considérés comme des services privés lorsqu’ils répondent à leurs besoins normaux de fonctionnement les transports organisés par des associations pour leurs membres, sous réserve que ces déplacements soient en relation directe avec l’objet statutaire de l’association et qu’il ne s’agisse pas d’une association dont l’objet principal est le transport de ses membres ou l’organisation de voyages touristiques ; que ces services privés sont exécutés soit avec des véhicules appartenant à l’organisateur, soit avec des véhicules pris par lui en location sans conducteur ; qu’ainsi, l’association Eva n’était ni soumise à l’obligation d’inscription au registre des transports, ni à l’obligation de requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou des entreprises, ou au registre du commerce et des sociétés ; qu’en déclarant néanmoins M. X...coupable des faits reprochés, la cour d’appel a méconnu les textes visés au moyen ;
” 4°) alors qu’une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s’appliquer à des faits commis antérieurement à sa promulgation lorsqu’elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ; qu’en déclarant le demandeur coupable de l’exercice d’une activité de transport de personnes sans inscription au registre des transporteurs, lorsque la définition de « l’entreprise de transport public routier de personnes » résulte du décret n° 2011-2045 du 28 décembre 2011, entrée en vigueur postérieurement à une partie des faits, commis entre le 1er janvier 2011 et le 26 juin 2012, la cour d’appel a méconnu l’article 112-1 du code pénal ;
” 5°) alors que la cour d’appel ne pouvait déclarer le prévenu coupable des faits reprochés aux motifs qu’il maraudait sur la voie publique sans répondre au moyen de défense qui faisait valoir que les véhicules étaient provisoirement à l’arrêt dans l’attente des membres à raccompagner ;
” 6°) alors que la cour d’appel ne pouvait déclarer le prévenu coupable des faits reprochés aux motifs qu’il a autorisé les conducteurs à prendre des adhésions dans les véhicules avant de les accompagner ou de les raccompagner de soirée, sans répondre au moyen de défense qui faisait valoir que les nouveaux membres commençaient toujours par téléphoner à l’association pour solliciter leur adhésion et demander à être transportés, conformément aux statuts de l’association ;
” 7°) alors que le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés n’est pas constitué lorsque les heures non mentionnées ne correspondent pas à un travail effectif ; qu’en s’abstenant de démontrer en quoi, lorsqu’elle y était expressément invitée par les conclusions, M. X...aurait volontairement mentionné sur les fiches de paie de Mme C...et de M. B...un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué, la cour d’appel a privé sa décision de base légale “ ;
Sur le moyen pris en ses 1ère, 2e, 3e, 5e, 6e et 7e branches :
Attendu qu’en déclarant M. X...coupable de travail dissimulé, après avoir démontré, sans insuffisance ni contradiction, d’une part, sa participation personnelle aux faits poursuivis, et, d’autre part, qu’il dirigeait une association dont l’activité principale était le transport, à titre onéreux, par des salariés, de personnes, qui n’en étaient pas membres, ce dont il résulte que ladite activité ne pouvait être considérée comme relevant de services privés de transport, au sens de l’article 2 du décret n° 87-242 du 7 avril 1987, la cour d’appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;
D’où il suit que les griefs qui tendent à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause doivent être écartés ;
Sur le moyen pris en sa 4e branche :
Attendu que la définition de l’expression “ entreprise de transport public routier de personnes “, résultant du décret n° 2011-2045 du 28 décembre 2011 et insérée à l’article 1-2 du décret n° 85-981 du 16 août 1985, n’a pas eu pour effet de modifier la portée de l’article 1er de ce texte, quant aux catégories d’entreprises de transport de personnes entrant dans ses prévisions, ni, en conséquence, l’incrimination applicable ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept novembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 25 février 2014