Pratique du wwoofing - bénévoles non

CAA de PARIS, 3ème chambre, 04/05/2021
N° 20PA03720

Lecture du mardi 04 mai 2021
Président
M. BERNIER
Rapporteur
Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public
Mme PENA
Avocat(s)
SELARL REDLINK
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association Caribou Aventure a demandé au tribunal administratif de Paris, qui a transmis sa demande au tribunal administratif de Melun, d’une part, d’annuler la décision du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) du 16 février 2018 ainsi que la décision du 5 mai 2018 rejetant son recours gracieux ; d’autre part, d’annuler le titre de perception émis le 10 juillet 2018 en vue du recouvrement de la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail mise à sa charge par une décision du 16 février 2018 de l’OFII ainsi que la décision implicite de rejet de sa réclamation préalable.

Par un jugement n° 1806071-1903311 du 2 octobre 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 décembre 2020, l’association Caribou Aventure, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1806071-1903311 du 2 octobre 2020 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d’annuler les décisions du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration du 16 février 2018 et du 5 mai 2018 ;

3°) d’annuler le titre de perception émis le 10 juillet 2018 d’un montant de 106 200 euros au titre de la contribution spéciale ;

4°) d’annuler la décision implicite de rejet de la direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne du 3 mars 2019 portant rejet de sa réclamation préalable ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
 elle n’est pas redevable de la contribution spéciale dès lors qu’il n’y a pas de lien de subordination entre l’association, dont le but est non lucratif, et les " helpers " qui sont des bénévoles non rémunérés ;
 s’agissant du titre de perception, c’est à tort que le tribunal administratif a considéré que la requête n’avait pas été précédée d’une réclamation préalable ;
 ce titre est irrégulier ; il ne mentionne pas les nom et prénom de son auteur, la qualité de celui-ci, il n’est pas signé ni motivé, il ne mentionne pas les modalités et bases de calcul.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2020, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l’association Caribou Aventure sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Le directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne n’a pas produit de mémoire.

Par ordonnance du 11 février 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 26 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
 le code du travail ;
 le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable ;
 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de Mme A...,
 et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Lors d’un contrôle effectué 8 juillet 2017 sur le site exploité par l’association Caribou Aventure qui propose notamment à ses membres des activités multisports de plein air, l’inspection du travail de Seine-et-Marne a constaté la présence en action de travail de six ressortissants étrangers dépourvus de titres les autorisant à travailler en France. Le procès-verbal d’infractions établi le 27 septembre 2017 à la suite de ce contrôle a été transmis à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) en application de l’article L. 8271-17 du code du travail. Par une décision du 16 février 2018, le directeur général de l’OFII a mis à la charge de l’association la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 106 200 euros. Le recours gracieux formé contre cette décision a été rejeté le 4 mai 2018. Le 10 juillet 2018, un titre de perception a été émis pour le recouvrement de cette somme. L’association requérante relève appel du jugement du 2 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant à l’annulation des décisions de l’OFII des 16 février et 4 mai 2018 et du titre de perception.

Sur le bien-fondé de la contribution :

2. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France " et en vertu de l’article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la contribution prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail a pour objet de sanctionner les faits d’emploi d’un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée, sans qu’un élément intentionnel soit nécessaire pour que le manquement soit caractérisé. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l’article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l’article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions.

3. Pour contester le bien-fondé de la contribution mise à sa charge dont elle conteste uniquement le principe, l’association requérante soutient qu’il n’existait aucun lien de subordination au sens des dispositions des articles L. 1221-1 du code du travail et 1108 du code civil avec les étrangers présents sur les lieux. Elle fait valoir qu’il s’agissait en effet de bénévoles qui n’exécutaient pas un travail, qui n’étaient pas placés sous l’autorité d’un employeur qui avait le pouvoir de leur donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner leurs manquements et que le logement et la nourriture qui leur étaient fournis ne présentaient pas le caractère d’une rémunération.

4. L’association Caribou Aventure propose des activités hôtelières, de restauration et d’animation. Si sa main d’oeuvre est constituée de volontaires appelés " helpers " qui renoncent à une rémunération en espèces moyennant le gîte et le couvert qui leur sont assurés par l’association, et s’ils ont la possibilité de partager des repas avec les clients et de participer avec eux aux activités sportives, leur contribution aux activités de Caribou Aventure consiste en des tâches d’entretien, de nettoyage, de cuisine et de service de table sous le contrôle étroit et les directives du dirigeant de l’association. Il résulte de l’instruction que le bénéfice des avantages offerts aux " helpers " est subordonné à l’accomplissement des services ancillaires qu’ils sont requis d’accomplir dans une situation de subordination. Les activités de l’association Caribou, alors même qu’elle indique être à but non-lucratif, étant de nature quasi-commerciale, et la contribution des " helpers " à ses activités étant essentiellement motivée par la recherche d’un hébergement et de repas gratuits, le travail qu’ils fournissent et les facilités dont ils bénéficient en contrepartie de ce travail sont dépourvues de part et d’autre de caractère désintéressé et ne sauraient en aucune manière relever du bénévolat. C’est donc sans erreur que l’Office national de l’immigration et de l’intégration a pu considérer que la pratique du " Wwoofing ", dépourvue de statut légal en France, telle qu’elle était pratiquée en l’espèce par l’association Caribou Aventure, présentait le caractère d’un emploi de main d’oeuvre étrangère rémunérée en nature et non pas celui d’une participation à des activités bénévoles désintéressées qui ne relèveraient pas du champ d’application des dispositions précitées du code du travail.

5. Il résulte de ce qui précède que l’association Caribou Aventure n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande sa demande tendant à l’annulation des décisions de l’OFII des 16 février et 4 mai 2018.

Sur le titre de perception :

6. Aux termes de l’article 117 du décret du 7 novembre 2012 alors applicable : " Les titres de perception émis en application de l’article L. 252 A du livre des procédures fiscales peuvent faire l’objet de la part des redevables : 1° Soit d’une opposition à l’exécution en cas de contestation de l’existence de la créance, de son montant ou de son exigibilité ;(...) / L’opposition à l’exécution et l’opposition à poursuites ont pour effet de suspendre le recouvrement de la créance. ". Aux termes de l’article 118 du même décret : " Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l’ordre de recouvrer. / La réclamation doit être déposée, sous peine de nullité : 1° En cas d’opposition à l’exécution d’un titre de perception, dans les deux mois qui suivent la notification de ce titre ou du premier acte de poursuite qui procède du titre en cause ; (...)/ L’autorité compétente délivre un reçu de la réclamation, précisant la date de réception de cette réclamation. Elle statue dans un délai de six mois dans le cas prévu au 1° et dans un délai de deux mois dans le cas prévu au 2°. A défaut d’une décision notifiée dans ces délais, la réclamation est considérée comme rejetée. " Aux termes de l’article 119 : " Le débiteur peut saisir la juridiction compétente dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision prise sur sa réclamation ou, à défaut de cette notification, dans un délai de deux mois à compter de la date d’expiration des délais prévus à l’article 118. ".

7. Si l’association Caribou Aventure fait valoir que le courrier adressé le 3 septembre 2018 à la direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne présentait le caractère d’une réclamation au sens des dispositions précitées de l’article 118 du décret du
7 novembre 2012, il résulte de ses termes mêmes que cette correspondance avait pour seul objet d’informer son destinataire de ce que la décision de l’OFII mettant à la charge de l’association la contribution spéciale faisait l’objet d’un recours contentieux afin que le recouvrement soit suspendu. Cette lettre ne présentait pas, dès lors, le caractère d’une réclamation administrative préalable obligatoire, ainsi que l’a jugé à bon droit le tribunal administratif de Melun. Par suite, l’association Caribou Aventure n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l’annulation du titre de perception du 10 juillet 2018.

Sur les frais liés à l’instance :

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’OFII, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l’association Caribou Aventure au titre des frais liés à l’instance. Par ailleurs, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association la somme que demande l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l’Association Caribou Aventure est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’Association Caribou Aventure, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration et à la Direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne.

Délibéré après l’audience publique du 20 avril 2021 à laquelle siégeaient :
 M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative,
 Mme A..., premier conseiller,
 Mme Mornet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2021.
Le rapporteur,
M-D. A...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.