Application du droit commun

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 janvier 2022
N° de pourvoi : 20-17.817
ECLI:FR:CCASS:2022:SO00120
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle

Audience publique du mercredi 26 janvier 2022
Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar, du 25 avril 2019

Président
M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SCP Gaschignard, SCP Lesourd, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION


Audience publique du 26 janvier 2022

Cassation partielle

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 120 F-D

Pourvoi n° E 20-17.817

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [N].
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 juin 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 JANVIER 2022

M. [T] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 20-17.817 contre l’arrêt rendu le 25 avril 2019 par la cour d’appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Partnaire 67, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Rhenus Logistics Satl, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. [N], de la SCP Lesourd, avocat de la société Rhenus Logistics Satl, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Partnaire 67, après débats en l’audience publique du 1er décembre 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Colmar, 25 avril 2019), suivant plusieurs contrats de mission conclus entre le 2 décembre 2010 et le 11 juillet 2014, la société Partnaire 67 (l’entreprise de travail temporaire) a mis M. [N] à la disposition de la société Rhenus Logistique Satl (l’entreprise utilisatrice).

2. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 29 septembre 2014 de diverses demandes dirigées contre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l’arrêt de rejeter toutes ses demandes dirigées contre la société Partnaire 67, alors « que les dispositions de l’article L. 1251-40 du code du travail qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice, des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main d’oeuvre est interdite n’ont pas été respectées ; qu’en rejetant la demande de requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée formée à l’encontre de la société Partnaire 67, alors qu’il résultait de ses propres constatations qu’en violation des dispositions de l’article L. 1251-16 du code du travail, les quatre contrats conclus à compter du 1er août 2011 ne mentionnaient pas la qualification du salarié remplacé, ce dont il résultait que la société de travail temporaire s’était placée en dehors du champs d’application du travail temporaire et que la relation contractuelle de travail avec le salarié relevait du droit commun, la cour d’appel a violé l’article L. 1251-16 du code du travail dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Sur la recevabilité du moyen

5. L’employeur conteste la recevabilité du moyen en ce qu’il inclut toutes les demandes formées par le salarié à son encontre, alors qu’au-delà de la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée, elles ont des fondements différents et n’ont pas de lien de dépendance nécessaire avec celle-ci.

6. Cependant, le moyen critique au moins un chef de dispositif faisant grief au salarié.

7. Le moyen est donc recevable.

Sur le bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1251-16 et L. 1251-43 du code du travail :

8. Selon le premier de ces textes, le contrat de mission est établi par écrit. Il comporte, notamment, la reproduction des clauses et mentions du contrat de mise à disposition énumérées à l’article L. 1251-43.

9. Selon le second, le contrat de mise à disposition établi pour chaque salarié comporte, notamment, le motif pour lequel il est fait appel au salarié temporaire. Cette mention est assortie de justifications précises dont, notamment, dans les cas de remplacement prévus aux 1°, 4° et 5° de l’article L. 1251-6, le nom et la qualification de la personne remplacée ou à remplacer.

10. Pour débouter le salarié de sa demande de requalification des contrats de mission dirigée contre l’entreprise de travail temporaire, l’arrêt retient que le salarié ne démontre pas le non-respect par cette dernière des prescriptions des dispositions des articles L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, lesquelles ont pour objet de garantir qu’ont été observées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main d’oeuvre est interdite. Il relève, en particulier, que l’intéressé ne justifie pas que les seize premiers contrats de mission n’ont pas été transmis dans le délai de deux jours ouvrables. Il ajoute que le salarié n’apporte pas la preuve qui lui incombe d’une entente illicite de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice, de nature à permettre à cette dernière de contourner l’interdiction qui lui est faite de recourir au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente. Il en déduit que l’entreprise de travail temporaire n’est pas tenue d’assumer les conséquences de la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er août 2011.

11. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses énonciations, à l’occasion de l’examen de la même demande dirigée contre l’entreprise utilisatrice, que quatre contrats de mission pour remplacement ne comportaient pas la qualification du salarié remplacé, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation prononcée sur le second moyen est sans incidence sur le rejet de la demande de dommages-intérêts pour préjudice d’obstruction au droit de recours à la justice, sans lien de dépendance nécessaire avec elle.

Mise hors de cause

13. La cassation prononcée sur le second moyen rend sans portée la demande de mise hors de cause de l’entreprise de travail temporaire.

14. Et il y a lieu de rejeter la demande de mise hors de cause de l’entreprise utilisatrice dont la présence devant la cour d’appel de renvoi apparaît nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les demandes de mise hors de cause ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute M. [N] de ses demandes liées à la requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée et au titre de l’article l’article 700 du code de procédure civile du code de procédure civile vis-à-vis de la société Partnaire 67, l’arrêt rendu le 25 avril 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Nancy ;

Condamne la société Partnaire 67 aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Partnaire 67 à payer à la SCP David Gaschignard la somme de 3 000 euros et rejette le surplus des demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour M. [N]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Monsieur [N] fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté ses demandes tendant à ce que la société Rhenus Logistics soit condamnée à lui verser les sommes de 3 100 euros au titre de la prime de performance mensuelle et 11 362 euros au titre de la prime de gratification de fin d’année,

AUX MOTIFS QUE non seulement M. [N] ne justifie pas du caractère général du versement de ces primes à l’ensemble des salariés, mais il ressort du compte rendu de la réunion du comité central d’entreprise du 30 novembre 2015, ainsi que du procès-verbal d’accord du 20 juin 2016 relatif aux négociations obligatoires 2016, que ces primes sont des gratifications bénévoles accordées aux salariés constants et performants, que l’employeur décide en toute liberté de l’opportunité de leur versement et de leur montant, ainsi que des conditions d’octroi et de maintien, et que leur versement n’a pas de caractère obligatoire ;

1° - ALORS QUE le salarié faisait valoir (p. 16) que l’employeur ne pouvait se prévaloir, sans méconnaître le principe « à travail égal, salaire égal », d’un doit discrétionnaire à verser les primes de son choix aux salariés de son choix, sans critère objectif préétabli ; qu’en violation de l’article 455 du code de procédure civile, l’arrêt attaqué ne répond pas à ces conclusions

2° ALORS QUE si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique puissent en bénéficier et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définis et contrôlables ; que pour débouter Monsieur [N] de sa demande l’arrêt retient que les primes litigieuses sont accordées aux salariés « constants et performants » et que « l’employeur décide en toute liberté de l’opportunité de leur versement et de leur montant ; qu’en statuant par de tels motifs, la cour d’appel a violé l’article L. 1132-1 du code du travail et le principe « à travail égal, salaire égal ».

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Monsieur [N] fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté l’ensemble des demandes qu’il dirigeait contre la société Partnaire 67,

AUX MOTIFS QU’à l’appui de sa demande de requalification dirigée contre de l’Eurl Partnaire 67, M. [N] fait valoir le non-respect des délais de carence, le retard dans la transmission des contrats de mission et des renouvellements, le fait de l’avoir fait travailler sans conclusion d’un contrat de mise à disposition, les mentions erronées de recours à l’intérim dans les contrats de mission, et sa complicité de la société utilisatrice ; que d’une part, M. [N] ne démontre pas le non-respect par l’Eurl Partnaire 67 de l’une des prescriptions des dispositions des articles L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail, lesquelles ont pour objet de garantir qu’ont été observées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main d’oeuvre est interdite ; qu’ainsi, et comme exposé ci-dessus, il ne justifie pas que les 16 premiers contrats de mission n’ont pas été transmis dans le délai de deux jours ouvrables ; que d’autre part, il n’apporte pas la preuve qui lui incombe d’une entente illicite de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice, de nature à permettre à cette dernière de contourner l’interdiction qui lui est faite de recourir au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente ;

ALORS QUE les dispositions de l’article L. 1251-40 du code du travail qui sanctionnent l’inobservation par l’entreprise utilisatrice, des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n’excluent pas la possibilité pour le salarié d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main d’oeuvre est interdite n’ont pas été respectées ; qu’en rejetant la demande de requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée formée à l’encontre de la société Partnaire 67, alors qu’il résultait de ses propres constatations qu’en violation des dispositions de l’article L. 251-16 du code du travail, les quatre contrats conclus à compter du 1er août 2011 ne mentionnaient pas la qualification du salarié remplacé, ce dont il résultait que la société de travail temporaire s’était placée en dehors du champs d’application du travail temporaire et que la relation contractuelle de travail avec le salarié relevait du droit commun, la cour d’appel a violé l’article L. 1251-16 du code du travail dans sa rédaction applicable à la cause.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00120