Requalification en CDI avec utilisateur - double instance possible oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 10 avril 2019

N° de pourvoi : 18-16668

ECLI:FR:CCASS:2019:SO00620

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Me Balat, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1251-6, L. 1251-7 dans leur rédaction applicable au litige, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail ;

Attendu que les dispositions de l’article L. 1251-40 du code du travail qui sanctionnent l’inobservation, par l’entreprise utilisatrice, des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35 du même code, n’excluent pas la possibilité, pour le salarié, d’agir contre l’entreprise de travail temporaire lorsque les conditions, à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite, n’ont pas été respectées ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Adia, entreprise de travail temporaire, aux droits de laquelle vient la société Adecco France, dans le cadre de contrats de mission intérim ; qu’entre le 17 août 2009 et le 24 décembre 2010, il a notamment été mis à la disposition de la société Logidis comptoirs modernes ; qu’après avoir obtenu, par un jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 22 octobre 2013, la requalification de ses contrats de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée et le versement de sommes en conséquence à l’encontre de l’entreprise utilisatrice, il a, le 20 janvier 2014, saisi la juridiction prud’homale de demandes identiques à l’encontre de la société de travail temporaire ;

Attendu que, pour le débouter de ses prétentions, l’arrêt retient que le salarié a fait choix de solliciter, et a obtenu, la requalification de ses contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice par jugement devenu définitif, que les contrats de mission ayant ainsi déjà été requalifiés, la demande de requalification est dès lors sans objet ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que la société de travail temporaire, qui avait conclu des contrats de mission en violation des dispositions de l’article L. 1251-16 du code du travail, s’était placée hors du champ d’application du travail temporaire ce dont elle avait déduit que la requalification des contrats de travail intérimaire en contrat à durée indéterminée était possible, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute M. X... de sa demande de requalification de contrats de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée, de versement d’indemnité de requalification, de condamnations en conséquence d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt rendu le 10 février 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;

Condamne la société Adecco France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Adecco France à payer la somme de 3 000 euros à Me Balat ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. X....

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir débouté M. K... X... de ses demandes dirigées contre la société Adecco France ;

AUX MOTIFS QU’ en concluant avec une entreprise utilisatrice, un contrat qui méconnaît les dispositions régissant le recours au travail temporaire, l’entreprise de travail intérimaire se place en dehors du champ d’application du travail intérimaire ; que la requalification du contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée, à la demande du salarié, est encourue lorsque le contrat de mission n’a pas été conclu dans le respect des conditions de forme imposées par les articles L. 1251-16, L. 1251-17 du code du travail destinées à garantir qu’ont été observées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite, ces conditions ayant le caractère d’une prescription d’ordre public, sans respecter le délai de carence prévu par l’article L. 1251-36 pour un motif rentrant dans le champ d’application de l’article L. 1251-37, et lorsque la succession d’un nombre important de missions sans interruption ou espacées d’un court laps de temps révèle l’existence d’un emploi durable, de sorte qu’un contrat de mission conclu pour le remplacement d’un salarié absent ne peut être immédiatement suivi d’un contrat de mission conclu pour un accroissement temporaire d’activité ; qu’il résulte des articles L. 1251-16, L. 1251-17 du code du travail, que le contrat de mission doit être établit par écrit comportant notamment la reproduction des clauses et mentions du contrat de mise à disposition énumérées à l’article L. 1251-43, la qualification professionnelle du salarié, les modalités de rémunération, y compris celles de l’indemnité de fin de mission et la durée de la période d’essai éventuellement prévue, et doit être transmis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant la mise à disposition ; que M. X... verse aux débats 77 « exemplaires » de contrats de mission, conclus avec la société Adia devenue Adecco, dont certains ne comportent pas sa signature ; que si la signature du contrat écrit est imposée par les dispositions ci-dessus rappelées de l’article L. 1251-6 afin de garantir qu’ont été observées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main d’oeuvre est interdite, pour autant il est établi que ces contrats de mission ont bien été transmis au salarié, et les bulletins de paye que M. X... verse aux débats démontrent que ces contrats de mission ont bien été exécutés, dans les conditions de temps fixées, sans qu’il soit justifié que des observations quelconques n’aient été émises ; que dès lors ce grief ne peut justifier la requalification des contrats de mission ; que la décision des premiers juges en ce qu’elle a retenu, pour ce motif, l’irrégularité contrats de mission des 7 septembre 2009, 28 décembre 2009, 15 février 2010, 18 janvier 2010, 4 janvier 2010, 22 mars 2010 et 12 avril 2010 sera infirmée ; que la cour constate que sur les 77 exemplaires de contrats de missions versés aux débats par M. X..., 76 mentionnent la société Logidis comme entreprise utilisatrice, et un la société Easydis Eurocentre, qui semble totalement distincte (contrat du 5 juillet 2010), et que ce contrat conclu pour pourvoir à l’absence d’un salarié, précise bien son nom et sa qualification et respecte par ailleurs les conditions de forme imposées par les articles L. 1251-16, L. 1251-17 du code du travail ; que sur les 76 exemplaires de contrats de mission mentionnant la société Logidis Comptoirs Modernes comme entreprise utilisatrice, conclus entre le 17 août 2009 et le 5 juillet 2010, certains sont en quelque sorte des doublons, puisque M. X... est manifestement en possession à la fois de l’exemplaire « à conserver par le salarié » et de celui « à retourner signé dans les 48h à l’agence Adia », qu’il est précisé qu’ils ont tous pour motif le remplacement d’un salarié absent, dont le nom est mentionné ainsi que la qualification de cariste , sauf sur les deux contrats de mission, tous deux en date du 7 décembre 2009, dont un portant la mention « à retourner signé

 » qui indique « remplacements partiels de W... S... le 7, R... N... le 8 et 9/12 et F... J... les 10 et 11/12/2009 », sans préciser les qualifications de ces salariés remplacés, le contrat de mission en date du 6 septembre 2010 qui indique « remplacement partiel de I... D... détaché à l’opération spécial foire aux vins », qui ne précise pas davantage la qualification du salarié remplacé, et le contrat de mission en date du 8 octobre 2010 qui indique « remplacement partiel de I... D... détaché à l’opération spécial foire aux vins », qui ne précise pas non plus cette qualification ; que la qualification des salariés dont il doit ainsi être pourvu au remplacement n’est donc pas précisée sur ces contrats de mission, en violation des dispositions ci-dessus rappelées de l’article L. 1251-16 du code du travail ; que la société de travail temporaire en concluant ainsi au cours de cette période de onze mois, à plusieurs reprises, des contrats de mission en violation des dispositions de l’article L. 1251-16, du code du travail s’est placée hors champ d’application du travail temporaire, ce qui peut justifier qu’elle se trouve liée au salarié par un contrat de droit commun à durée indéterminée ; que M. X... a fait choix de solliciter, et a obtenu, la requalification de ses contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice la société Logidis Comptoirs Modernes, par jugement devenu définitif du conseil de prud’hommes de Toulouse, en date du 22 octobre 2013 ; que les contrats de mission ayant ainsi déjà été requalifiés, la demande de requalification est dès lors sans objet ; que les demandes indemnitaires de M. X... étant toutes fondées sur la requalification des contrats de mission, la décision des premiers juges qui l’a débouté de ses demandes sera confirmée par substitution de motifs ;

ALORS QU’ un salarié peut solliciter la requalification de ses contrats à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée en dirigeant son action à la fois contre l’entreprise de travail intérimaire et contre l’entreprise utilisatrice ; que cette action peut être exercée simultanément ou concurremment à l’encontre de ces deux entreprises ; qu’en l’espèce, après avoir rappelé que « M. X... a fait choix de solliciter, et a obtenu, la requalification de ses contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice la société Logidis comptoirs modernes, par jugement devenu définitif du conseil de prud’hommes de Toulouse, en date du 20 octobre 2013 », la cour d’appel a considéré que « les contrats de mission ayant ainsi déjà été requalifiés, la demande de requalification est dès lors sans objet » (arrêt attaqué, p. 5 in fine et p. 6 in limine) ; qu’en statuant ainsi, cependant que les actions en requalification du contrat de travail peuvent être exercées concurremment à l’encontre de l’entreprise utilisatrice et à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire, de sorte que M. X... pouvait formuler sa demande de requalification à l’encontre de la société de travail temporaire Adecco après l’avoir dirigée contre l’entreprise utilisatrice Logidis Comptoirs Modernes, la cour d’appel violé les articles L. 1251-6, L. 1251-7, L. 1251-16 et L. 1251-17 du code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse , du 10 février 2017